«J’étais là un matin quand une voisine maouri a soudainement fait son entrée dans notre concession, un balai en main. Aussitôt, la visiteuse commence à balayer la cour et au bout de quelques secondes, ma maman lui tend quelques pièces de monnaie », raconte Fati Amadou une peulhe du quartier Karadjé dans l’arrondissement communal Niamey 5. Ce geste symbolique est communément appelé ‘’habouyan noorou’’ ou ‘’les frais du balayage’’.
Pendant cette période de l’année, les cousins à plaisanterie se rendent visite munis de balai et même des mots taquins pour recueillir des fonds destinés à cette pratique ancrée dans nos traditions. C’est un signe de considération et de respect dans la mesure où ce type de cousinage a le mérite de cimenter les relations entre les communautés et renforcer la cohésion sociale. Ce sont là les fondements du cousinage à plaisanterie.
Le cousinage à plaisanterie couvre tout le Niger et concerne toutes les communautés car chaque groupe ethnique a son (ou ses) cousin (s) à plaisanterie. C’est un ensemble de liens conviviaux permanents qui fonctionnent sur la base de l’humour et de la dérision courtoise », selon M. Moctar Seyni, sociologue, consultant indépendant.
D’après ses explications, le cousinage à plaisanterie est une ancienne pratique cultivée par nos grands-parents pour maintenir les liens familiaux et fraternels au sein d’une même communauté. Pour cela, elle occupe une place prépondérante dans nos sociétés nigériennes et africaines. Plusieurs ethnies entretiennent ces bons rapports pour maintenir la quiétude sociale et la paix.
Au Niger, on peut citer les peulhs, les Maouris, les Kanuris ; les Gobirawas, les Zarmas, les Touaregs ; les Sonraïs, les Gourmantchés). Le plus connu et le plus fréquent, c’est surtout à l’endroit des peulhs qui constituent les cousins à plaisanterie de plusieurs ethnies car, il est rare au Niger de voir quelqu’un qui n’a pas de liens de parenté avec les peulhs. Et cela se manifeste à travers plusieurs facteurs ; par ces éléments distinctifs, nous avons le shaara ou le haabou yan, cette pratique se fait entre deux cousins.
Cette pratique est en voie de disparition. Elle se fait à l’époque après la fête de Tabaski où il est fréquent d’entendre des cousins se demander cet argent de ‘’habou yan’’ en zarma ou ‘’Shaara’’ en haoussa. Le cadeau peut être de l’argent, des noix de cola, des volailles… Tout dépend de la bourse du donneur. Et selon plusieurs sources, cette pratique est très répandue au Niger le mois correspondant aux périodes des fêtes surtout celles de Tabaski. Mais force est de constater qu’elle n’avait plus le même engouement d’antan. La génération actuelle accorde peu d’importance aux us et coutumes, à nos valeurs traditionnelles.
Selon les explications du sociologue, « Quelle que soit son appellation et sa forme d’expression (entre les membres d’une même famille, groupes professionnels et ethniques), le cousinage à plaisanterie concourt toujours à l’instauration d’une culture de la paix et de la concorde entre les individus et les communautés. Les cousins à plaisanterie, malgré les insultes et autres actes désobligeants les uns à l’égard des autres, s’accordent tolérance et respect mutuel ». De cette manière, la violence des faits se désarme et s’éteint dans la violence des mots.
Les mécanismes traditionnels de prévention et de gestion des conflits sont des règles instaurées par les populations à travers notamment les relations sociales, des règles tacites et des comportements qui aident à éviter la survenance des conflits. Par exemple l’eau ne peut pas être refusée à quelqu’un qui en a besoin pour lui-même et à ses animaux. Mais de toutes les astuces sociales servant à prévenir et préserver la paix sociale, le cousinage à plaisanterie reste le plus répandu et constitue une véritable institution immatérielle de prévention des conflits.
Par Aïssa Abdoulaye Alfary(onep)