Ankara a accueilli le 27 octobre dernier, le forum international sur la correspondance de guerre et le reportage en zones de crises. Organisé par l’académie de l’information de l’Agence Anadolu en collaboration avec la direction des communications de la présidence de la Turkiye, le programme du forum, qui s’est étalé sur une semaine, a inclus plusieurs innovations allant de la mise en forme des participants avec des exercices pratiques de survie dans les montagnes de Bolu, a des échanges constructifs avec des vétérans aguerris, en passant par la découverte de plusieurs sites touristiques à Istanbul et Ankara. Le forum a réuni, autour de leurs collègues turques, quinze (15) journalistes étrangers venus de la Géorgie, du Pakistan, de l’Ethiopie, de l’Albanie, de l’Azerbaïdjan, de l’Ukraine, du Niger, de l’Algérie, du Tchad, du Kenya, de la Bosnie-Herzégovine et du Kirghizistan.
L’objectif du forum d’Ankara est de créer un cadre propice d’échanges entre les correspondants de guerre des medias invités et ceux de la Türkiye, ce qui permettra de renforcer l’intercompréhension entre leurs pays respectifs à travers la mise en réseau des participants. Les échanges ont essentiellement porté sur le partage d’expériences de terrain et d’astuces pour faire face aux difficultés que rencontrent les reporters sur les terrains de conflits et de catastrophes, ainsi que sur la réactualisation des règles à observer.
Lors du forum, le directeur des communications de la présidence Turque, M. Fahrettin ALTUN, a souligné le caractère payant dans d’autres pays de la formation en faveur des correspondants et qui est essentiellement dispensée par des entreprises privées contre payement d’une somme exorbitante, le plus souvent. Depuis le lancement du programme de formation pour les correspondants de guerre en 2012 grâce à une coopération entre l’Agence Anadolu et l’Académie de la Police, 487 journalistes de plus de 50 pays ont été formés, dont 224 étrangers.
Dispenser gratuitement cette formation à ceux qui en ont le plus besoin, qu’ils soient citoyens turques ou de pays étrangers, a poursuivi le premier responsable de la direction des communications, est « une fierté sociale » pour le pays et les structures étatiques impliquées dans son organisation. Il a également précisé que la forte demande actuelle qui parvient à la Türkiye pour la formation prouve que les guerres et les conflits sont devenus des réalités de nos jours. « Ces crises sont malheureusement inévitables en ces temps modernes. J’aurai aimé qu’il n’y ai plus de guerres, de disputes, de crises, pour que nous n’ayons pas à organiser de tels programmes de formations pour les journalistes », a dit M. Fahrettin ALTUN
Il s’est aussi félicité de la matérialisation de la formation par l’Agence Anadolu et l’Académie de la Police car, a-t-il déclaré, les conflits sont devenus de plus en plus violents et il est plus difficile d’être correspondant de guerre aujourd’hui qu’il ne l’était auparavant. Il est important, selon lui, que les correspondants de guerre ne se laissent pas manipuler et qu’ils s’imposent d’être des témoins justes. « C’est la chose la plus importante parce qu’une seule photo, un seul article, peut montrer tellement de choses de la guerre, tellement de larmes, mais cela peut aussi changer le cours de la guerre. Je pense qu’il est plus approprié de parler de journalisme de paix que de journalisme de guerre car, ceux qui sont conscients et qui risquent leurs vies sur le terrain peuvent aussi apporter la paix », s’est-il justifié.
Pour sa part, le directeur général de l’Agence Anadolu, M. Serdar KARAGOZ, a souligné que les correspondants de guerre issus des 22 promotions du programme de formation de son agence sont à mesure de faire face aux difficiles conditions de terrain grâce à leur préparation à affronter tous les défis qu’ils pourraient rencontrer. Il a relevé que lors de leur stage, les reporters ont suivi «des cours théoriques et pratiques qui vont du journalisme en situation d’urgence à la sécurité individuelle, en passant par les attaques chimiques et biologiques et la gestion des medias» en période de crise.
Des échanges fructueux entre différentes générations
Le jour du forum, les 15 journalistes étrangers ont rejoint dans la grande salle de conférence du siège de l’Agence Anadolu à Ankara, plusieurs anciens stagiaires turques du même programme de formation et qui opèrent dans plusieurs zones de conflits hors de leur pays. Les échanges intergénérationnels et entre les journalistes turques et leurs invités se sont intensifiés au sein des sessions du forum sur le changement des conditions de conflits et de correspondance de guerre, les correspondants de guerre en Turquie et la communication globale en temps de guerre. Cette dernière session, qui s’est tenue en deux panels successifs, a mis en exergue les bienfaits des nouvelles technologies d’informations, la pression que cela accentue sur les journalistes et aussi le double revers des réseaux sociaux qui peuvent atteindre positivement, en un temps record, une large audience, où piéger les journalistes.
Les échanges entre la vielle garde, considérée comme pionnière dans le domaine en Türkiye et dont la plupart des membres ont appris le métier de correspondant de guerre sur le terrain, et la nouvelle génération qui a bénéficié d’une formation adéquate, ont porté sur des partages d’expériences de terrain, des échanges d’idées sur les difficultés et les dangers de la profession, ainsi que sur les nouvelles technologies et la réactualisation des règles apprises. Ce qui a permis de faire ressortir l’importance de la formation des correspondants de guerre.
Larmes aux yeux, Anastasia Fedchenko, journaliste Ukrainienne, a détaillé comment est-ce que, depuis le début de la guerre entre son pays et la Russie, elle voit ses amis mourir sous les bombes. Devant tant de souffrances engendrées par cette guerre, elle a expliqué qu’il est difficile pour les journalistes ukrainiens de faire preuve d’impartialité, même si l’objectivité elle demeure. « Je suis avant tout un citoyen qui vit et travaille dans son pays en proie à une guerre atroce qui nous est imposée. Il est très difficile, dans ce cas, de ne pas prendre parti dans le conflit », a-t-elle dit. Pour plusieurs panelistes émus, cette situation de tiraillement entre le citoyen et son devoir professionnel est compréhensible mais, la justesse de l’information et le désir d’informer sur les situations de crises doivent être les boussoles du correspondant de guerre.
Les ainés ont surtout parlé de plusieurs anecdotes vécues sur le terrain qui vont des crashes d’hélicoptères aux différentes menaces et arrestations, en passant par les erreurs commises et les blessures par balle pour certains. Le très célèbre correspondant de guerre spécialisé en photojournalisme, M. Coskun Aral, a avoué que le manque de formation en son temps, c’est à dire dans les années 80, a rendu le travail de sa génération plus risqué, même si les conflits étaient moins complexes, de même que la technologie permet aujourd’hui de faciliter le travail sur le terrain. «Si j’avais reçu une formation comme celle qu’organise l’Agence Anadolu, je me serai rendu dans les zones de guerre mieux préparé et équipé», a-t-il avoué.
Plusieurs formateurs et encadreurs étaient présents au forum pour écouter attentivement ceux parmi les anciens stagiaires qui étaient dans des zones de guerres ou de conflits, ou de catastrophe après avoir reçu leurs certificats de correspondants de guerre issus du programme de formation de l’Agence Anadolu et de l’Académie de Police. Les interventions des panelistes issus de la 21ème promotion, qui constitue également l’avant dernier groupe issu du programme, ont eu l’air d’une seconde vie sous les yeux attentifs du Vice-Président de l’Académie de la Police et de M. Erhan Sevenler, formateur et cadre du département de photographie de l’Agence Anadolu.
La multiplication des crises, plus violentes et complexes à chaque fois, impacte aujourd’hui plus que jamais, les journalistes et les medias dans leurs missions pour informer le public. Dans ce contexte, l’Agence Anadolu et ses partenaires dont l’Etat Turque ont fait le choix de mettre sur pieds un programme continu de recyclages des anciens stagiaires les plus méritants et de leur mise en réseau avec des correspondants de guerres turques internationalement reconnus dans la profession. Plusieurs autres séances de formations sont prévues dans le futur, avec notamment la mise en place d’un programme intensif sur la prise en charge médicale d’urgences, y compris l’auto-prise en charge médicale, dans les zones de conflits.
S’adapter à la complexité des nouveaux conflits violents qui se multiplient sur terre
Le photojournalisme de guerre a été prépondérant lors du forum d’Ankara sur la correspondance de guerre et le reportage en zones de crises car, le reporter se frotte très souvent à des difficultés qui mettent en péril son intégrité physique et aussi, très souvent, une seule photo peut résumer toutes les souffrances d’une guerre. Pendant la formation de la 21ème promotion en août dernier, M. Erhan Sevenler, lors de son module de formation sur le photojournalisme en période de crise, explique d’entrée aux stagiaires que travailler sur le terrain ne s’improvise pas. « Il faut faire attention, une fois déployé, et rester en vie. Car, après être mort vous ne deviendrez qu’une statistique parmi tant d’autres », dit-il. Les mots, sont crus, reconnait-il volontiers, tout comme les autres instructeurs de la promotion, mais la réalité l’est encore plus. Il faut donc savoir exactement « quoi faire et quoi éviter ».
Ce passionné de photojournalisme a parcouru le globe ces deux dernières décennies et s’est rendu dans la plupart des zones de conflits, y compris en Afrique. Son expérience personnelle lui fait dire que la guerre, de même que le travail du correspondant de guerre, ne se résume pas seulement aux bombardements. Une fois dans les zones de guerre, indique-t-il, le correspondant « doit se rendre dans les hôpitaux et dans les cimetières pour palper la vraie réalité de la guerre ».
Avec plus de 900 journalistes tués à travers le monde en une décennie, de 2001 à 2021, M. Erhan Sevenler attire l’attention des stagiaires sur une bonne préparation avant de se rendre dans une zone de guerre. Le choix du fixeur, dit-il, est une clé de la réussite ou non d’une mission car, ce dernier peut bien vous aider tout comme vous mettre dans une situation périlleuse. La loyauté étant susceptible de changer rapidement à cause de la guerre. Le fixeur est donc au cœur de toutes les rencontres, une raison de plus d’être minutieux sur son choix et de se tenir sur ses gardes, une fois le choix accompli, pour ne pas être surpris.
La préservation de l’identité, selon l’instructeur, est aussi importante dans les zones de conflits ou de guerre, surtout dans les zones où les terroristes et les groupes djihadistes sont actifs.
Par Souleymane Yahaya(onep)