Située en plein cœur de la ville de Tahoua, la mare de Babayé est le terminus de toutes les eaux de ruissellement de la ville. Cette célèbre mare située précisément dans le quartier Koweït a une superficie de 5 ha dont 2 ha de fond, avec une profondeur moyenne d’environ 4 mètres. Mare sacrée, jadis caverne oasienne et socle de révérence des aznas, Babayé devait symboliser une merveille touristique à même d’immortaliser l’histoire de la ville. Sauf qu’aujourd’hui, elle se trouve dans une sérieuse situation d’insalubrité et représente malheureusement non pas un monument fièrement attractif mais plutôt un dépotoir sauvage. Cela, malgré les efforts des autorités locales, en vue d’assainir et de protéger le bas- fond contre les déchets polluants.
De façade, le site semble bien redoré en lieu de loisir : une large clôture, un portique, une guérite, des éléments de la police municipale sous un hangar bien aménagé et quelques bancs sur la berge, font belle impression. Aussi, un forage a été installé pour alimenter la mare et lui permettre d’avoir permanemment un niveau équilibré d’eau. Des cérémonies de réjouissance s’organisaient par les jeunes, sous le hangar aménagé et sur son esplanade au «sable propre». Ceci, suite à des travaux d’aménagement de la mare, réalisés dans le cadre de la fête tournante du 18 décembre ‘’Tahoua Sakola’’. Tout un marché anarchique de bétail a été déguerpi des berges de la mare pour la circonstance. Et suite à l’empoissonnement de la mare, quelque 3,5 tonnes de poissons a été pêchés lors de la première séance de pêche, en 2020.
Tout était bien parti pour faire de Babayé un lieu de loisir et un fleuron d’aquaculture urbaine. Mais, c’est sans compter avec l’incivisme qui caractérise les attitudes et comportements de certains citoyens de la ville de Tahoua. Tous ces efforts, à l’occasion de Tahoua Sakola, n’ont pas été consolidés. En moins de 3 années seulement, Babayé est méconnaissable. La mare est accessible de toute part, avec des passages créés par vandalisme. Loin de la vue de la police municipale, des hommes et des animaux entrent à tort et à travers et défèquent à l’air libre, transformant ainsi quelques endroits en des fosses septiques à ciel ouvert.
Les efforts sont presque réduits à néant. Le reste du pourtour est envahi par des déchets de toute sorte. Sur les koris, l’on constate aussi que les ruissellements n’apportent pas que des eaux, les saletés des ménages et des marchés convergent également vers le bas-fond. D’autre part, le forage pour le maintien du niveau idéal des eaux ne fonctionne plus. Le groupe qui le faisait tourner aurait été volé. Le défi est loin d’être relevé. Babayé n’est plus ! «Cette mare, est alimentée par toutes les eaux de ruissellement de la ville. Sa position en plein centre de la ville a exposé les arbres qui l’entourent. Même les mares qui sont en pleine forêt aujourd’hui, en tout cas, n’ont plus des arbres de contour qui les protèges contre l’ensablement et la pollution. Les arbres sont progressivement coupés par les populations. A l’époque où la mare était bien entourée d’arbre de toute espèce, la ville n’était pas autant peuplée. La mare est laissée depuis lors sans protection», explique le Commandant des Eaux et Forêts Dodo Garba, chef de service de l’environnement de la Ville de Tahoua.
La biomasse menacée
La disparition de la végétation qui abritait la mare de Babayé l’a donc exposée à servir même de dépotoir sauvage pour certains riverains. Selon le chef de service de l’environnement de la Ville de Tahoua, des chariots et tricycles déversent souvent des déchets jusque dans le lit de la mare. A ce rythme, si rien n’est fait, Babayé bien que naturellement intarissable, risque de disparaitre dans un futur pas si lointain. «Le lit a déjà diminué de profondeur», déplore le Commandant des Eaux et Forêts Dodo Garba. Cette situation a d’ailleurs favorisé la catastrophe d’inondation, à la suite de pluies diluviennes enregistrées, en juillet 2018. Plusieurs quartiers ont été inondés et des dizaines de maisons se sont effondrées notamment dans le quartier Nassarawa. La mare de Babayé avait, alors, complètement débordée suite à l’afflux des eaux qui ont fini par envahir les habitations.
«Nous avons été surpris, l’année dernière lors d’une séance de pêche, de trouver un poisson qui s’est abrité dans un sachet de solani. Ce poisson était à tout point de vue, piégé dedans depuis tout petit et c’est là qu’il a grandi. Cela lui a fait changer sa couleur. Parce que nous avons trouvé une couleur bizarre en tout cas, inhabituelle pour le genre d’espèce. Ce qui témoigne en tout cas de l’ampleur de la pollution de cette mare par des déchets», relate le Commandant des Eaux et Forêts. Depuis la première et grosse extraction de 3,5 tonnes de poissons après l’empoissonnement de la mare, la productivité de la mare a beaucoup régressé. En 2021, la prise a pesé 0,7, tonne, puis 0,6 tonne en 2022.
D’après le chef de service de l’environnement de la Ville de Tahoua, des mesures sont prises mais ne sont pas suffisantes pour protéger la mare. L’on note à cet effet, quelques plantations du côté de l’entrée dorée. «Nous n’avons pas en tout cas les moyens matériels et financiers pour faire ce qui est nécessaire et suffisant. Il devrait y avoir un petit programme de collecte de déchets, pour les acheminer aux dépotoirs appropriés ou les utiliser à des fins idéales telle que la fabrication des pavés. C’est difficile de curer la mare, mais on peut freiner le déversement des déchets», estime le commandant Dodo Garba.
L’environnementaliste préconise d’améliorer le suivi et la surveillance des lieux, afin de sauvegarder ce qui reste en attendant d’autres travaux d’aménagement de la mare dont il a eu vent avec les services de la mairie.
«La mare de Babayé devrait être exploitée dans sa totalité. Toutes les possibilités sont là au niveau de ce cours d’eau. Dans des grandes villes, des ressources pareilles, sont des joyaux tant en termes de loisir que pour l’économie et l’environnement. Babayé peut aussi être une véritable merveille pour la population de Tahoua», dixit le Commandant des Eaux et Forêts Dodo Garba.
Ismaël Chékaré,ONEP-Tahoua