Le samedi 2 septembre 2023, la société civile nigérienne a posé son quartier général à la devanture de la base 101 sur laquelle se trouvent les troupes françaises pour exiger leur départ. Depuis cette date, chaque nuit, les animations se succèdent, des artistes nigériens viennent animer gratuitement pour aider les jeunes à passer le temps tandis que d’autres s’occupent de la nourriture et les Oulémas des prêches sur la parole d’Allah.
Il est 21h de la soirée, nous nous engageons sur la voie express, direction la Place de la résistance (rond-point Escadrille). Le long de notre trajet, notamment au niveau de la passerelle, nous commençons à croiser des dizaines de groupes de jeunes les uns en partance et les autres revenant et pointant la direction du rond-point moov.
À quelque trois cents mètres de notre point d’arrivée, la circulation est dense et une foule compacte fait des allers retours. Forcés par les circonstances, nous quittons le véhicule pour nous faufiler dans la foule. Au niveau de la porte principale de la base 101, dans le noir total, nous apercevons sur scène des jeunes qui dansent au rythme des chansons haoussa du Nigeria tandis que tout juste à côté un autre groupe s’est formé, boomer sur la tête, des tamtams de fortune construits avec des bidons d’huile de 25 litres à la main, ils créent leur propre mélodie et se divertissent. Un peu en arrière, aux abords de la voie express, près de la grande porte de la maison Mercedes, ce sont des centaines d’individus qui sont assis sur des tapis et des nattes autour d’une théière sur le feu. A quelque dix mètres, d’autres dégustent des cuisses de poulet et des frites à la manière d’un pique-nique au moment où certains dorment point fermé. Des petits commerces ont poussé au bord du goudron.
En outre, un dispositif impressionnant des forces de défense et de sécurité est mis en place et bien visible sur la voie expresse. Des soldats font des rondes entre la foule pour s’assurer de la sécurité des manifestants ; à chaque cinq mètres, vous tombez soit sur un militaire, un gendarme, un garde national ou un policier.
À gauche de la porte principale sur le goudron menant au quartier Tondigamey se trouve une autre foule dense. En ce vendredi, sur cette deuxième scène des oulémas prêchent la bonne parole, accompagnée des invocations d’Allah et au pied du podium les fidèles sont assis, oreilles attentives les femmes à gauche et les hommes à droite. Ce rassemblement d’Oulémas est conduit par Cheik Barham Aboubacar Hassoumi, coordonnateur national du comité national des dialogues intra et inter religieux du Niger pour manifester leur soutien, leur patriotisme également à notre pays.
Un acte qui s’inscrit dans le cadre d’une série d’activités que les musulmans à travers leurs diverses mosquées ont l’intention de mener ces temps-ci jusqu’à ce que notre pays recouvre sa souveraineté pleine et entière. « Depuis cet après-midi, la disponibilité dont ont fait montre les oulémas, mais aussi l’ensemble des communautés religieuses, y compris la communauté chrétienne qui a envoyé une forte délégation et a pris la parole. Une grande cohésion règne au sein de nos rangs, ce qui fait que nous sommes très fiers de notre pays, nous sommes très fiers de la prise de conscience de nos concitoyens et nous soutenons avec toute notre force cette nouvelle ère qui s’ouvre dans notre pays. Nous sommes pleinement avec les autorités de transition, nous les accompagnons nuit et jour à travers des prières », a ainsi déclaré Cheik Barham Aboubacar Hassoumi.
Il a par ailleurs condamné toute velléité d’intervention contre notre peuple qui est un peuple paisible qui n’a rien fait à personne et qui ne demande qu’à vivre avec ses moyens, ses valeurs, sa culture et avec ses richesses. « C’est ce message que les oulémas et les autres zawiyas de nos mosquées ont tenu à manifester ce soir et ça continue in sha Allah jusqu’au petit matin avec la prière de l’aube », ajoute ce leader religieux.
Cet appel au sit-in lancé il y a de cela une semaine par le front patriotique pour la souveraineté qui est une coalition de presque toutes les organisations de la société civile nigérienne est intervenu suite à l’ultimatum donné aux forces françaises stationnées sur la base 101 de quitter notre territoire. « Voilà pourquoi les structures de la société civile ont décidé d’installer leur quartier général au niveau de la base 101 et nous en tant que front patriotique, le samedi 2 septembre, nous avons lancé un appel à l’endroit du peuple nigérien, ce qui fait qu’à la mobilisation du samedi, vous avez les communes de Doutchi, de Diffa et d’autres de l’intérieur du pays qui sont venues lors cette marche suivie de meeting », déclare le secrétaire général du front Djibril Anass.
Ainsi, toutes les nuits, les artistes nigériens montent sur scène et animent gratuitement pour tenir éveillée la jeunesse. « Aujourd’hui vendredi, nous avons jugé utile de le consacrer aux activités de cultes. Nous sommes un pays musulman à 99%, naturellement la religion musulmane compte dans notre vie », rappelle-t-il. En effet, selon le secrétaire général du Front patriotique, Djibril Anass, les oulémas ont pris la scène pour éveiller les consciences des Nigériens, pour les galvaniser, pour qu’ils comprennent que pour la cause de nation, il n’est pas question qu’ils reculent, il est nécessaire qu’ils se battent pour leur nation. « Tout Nigérien sans exception doit accepter de s’impliquer dans le combat. Prier pour que Dieu nous débarrasse des pourritures et des vermines qui sont tant sur le plan national et aussi des forces extérieures qui veulent attenter à notre nation », ajoute Anass.
La prise en charge des manifestants, une question de solidarité nigérienne
Nourrir ces milliers de bouches n’est pas une chose facile et cette lourde tâche repose sur les épaules de Mme Abdou Mariatou, membre du front patriotique pour la Souveraineté, et membre du mouvement des femmes engagées pour la sauvegarde de la patrie. En effet, selon elle, pour nourrir suffisamment ces jeunes qui sont permanents de jour comme de nuit, elle s’y prend en trois phases. Une première phase qui consiste à apporter mille cinq cents (1 500) plats pour le diner aux environs de 19h à 21h. Une seconde salve de deux mille (2000) plats sans compter la contribution des bonnes volontés arrive à minuit ou une heure du matin pour pouvoir les garder bien éveillés. Et à quatre heures du matin, le plat de résistance fait son entrée, deux mille (2000) plats du fameux riz au haricot tant aimé par la jeunesse nigérienne est préparé sur place.
Ainsi chaque nuit son menu varie du riz avec sauce, au riz sauce noir, ‘faku’ et gombo, le niébé et enfin le riz gras et sauce rouge. Tant de mets succulents, bien servis et bien emballés dans des paquets jetables ; mais suffisent-ils à nourrir tout ce monde ? Pour Mme Abdou Mariatou, satisfaire toute cette immense masse, elle ne peut le dire, « mais on fait le maximum, 89% à 90% des gens sont satisfaits, on arrive à les servir », explique-t-elle.
De plus en plus de bonnes volontés se manifestent pour apporter leur contribution. « Présentement, il y a des gens qui m’ont appelée, ils ont amené des vivres et nos communautés à l’extérieur apportent également leur soutien. Les gens de Yamoussoukro ont cotisé cent mille francs pour nous envoyer comme contribution. Et nous les en remercions », ajoute-t-elle.
À minuit, nous quittons les lieux. Sur la route des dizaines de motos tricycles pleins à craquer se dirigent dans le sens inverse ; des jeunes criant à haute voix le slogan ‘’Saï Tiani’’. Pour ces jeunes la nuit ne fait que commencer. Toutes les précautions sont prises par les organisateurs pour qu’ils ne s’ennuient pas et tiennent le coup jusqu’au petit matin.
Hamissou Yahaya (ONEP)