Dans certains quartiers de Niamey, les dépotoirs sauvages rendent la vie difficile aux populations côtoyant ces endroits où sont déversés de manière anarchique des ordures ménagères et toutes sortes de déchets. Ces lieux répugnants sources d’insalubrité et de pollution existent dans plusieurs quartiers de la ville sous le regard impuissant des habitants, du fait du mauvais comportement de certains d’entre eux et de l’inaction ou du laxisme des autorités municipales concernées par la situation.
Dans le quartier Niamey 2000, juste à la sortie de la ville par la route menant à Hamdallaye précisément à gauche de la voie, une montagne d’ordures trône, offrant un spectacle désolant au passant. Une mauvaise publicité pour la ville auprès du voyageur qui arrive ou quitte. Malgré les incessants appels des résidents, rien n’est encore fait et certains perdent déjà patience. En marchant sur cette montagne d’ordures, la vigilance doit être de mise, le regard au sol, les narines fermées car, il faut savoir où mettre ses pieds au risque de piétiner ces déchets d’une odeur asphyxiante. Les scènes de défécation à l’air libre auxquelles s’adonnent les gens sur ces lieux donnent envie de vomir. C’est à se demander comment vivent ou cohabitent les riverains de cette montagne d’immondices et de déchets, surtout en période d’hivernage. L’air y est très pollué. Un spectacle inconcevable dans la capitale.
L’hygiène et l’assainissement dans la ville de Niamey laissent à désirer et les populations se plaignent du silence des autorités municipales qui ferment les yeux sur certaines pratiques, notamment celle des dépotoirs sauvages crées à tort et à travers dans les quartiers. Nous sortions de cette décharge du quartier Niamey 2000, lorsque l’appareil photo et notre véhicule ont attiré l’attention des femmes qui sont toutes sorties de leurs maisons. Pour elles, nous étions des agents de la mairie venus à leur rescousse. Chacune voulant parler, il était difficile de savoir qui écouter car, les unes sont plus pressées que les autres d’exposer le préjudice que la montagne d’ordures leur inflige au quotidien. Une occasion unique pour elles de dire leur ras-le-bol. « Dans ce quartier, vous n’allez trouver aucune personne qui vous dira que ce dépotoir ne la dérange pas. Quand le vent souffle, je vous jure que l’ensemble de cette allée devient un dépotoir. On dirait que c’est ici que les ordures sont déversées. Ce dépotoir nous rend la vie impossible », lance l’une des femmes.
« Notre maison se remplit des sachets plastiques qui nous compliquent la vie. Si vous voyez la marée de mouches noires qu’il y a dans nos maisons pendant toute l’année. Nous sommes toujours dans des maladies. Même si vous fermez votre maison, le vent transporte les ordures. Sans l’effort que nous faisons tous le temps, notre secteur serait impraticable. Quand le vent souffle, ce voisin, sa femme et leur enfant ramassent plus de vingt brouettes de déchets plastiques pour les incinérer et les ramener sur le dépotoir. Revenez seulement après une tornade ou un coup de vent, vous allez être surpris. Actuellement, vous voyez là-bas, les sachets qu’il y a ; nous avons marre de cette situation. L’ensemble du quartier vient déverser ses ordures ici et si nous leur parlons, ils se mettent à nous insulter. On n’y peut rien, nous sommes impuissants face à ce problème », s’insurge Mme Rakia.
En effet, en plus des odeurs nauséabondes qui dérangent, cet environnement malsain constitue également le lieu par excellence pour la prolifération de certaines maladies. « Nous les mères, nous faisons face à des maladies, à plus forte raison nos enfants. À cause des mouches noires, nous ne pouvons plus déposer de la nourriture. Souvent, tu finis de cuisiner et un sachet plastique transporté par le vent atterrit dans ta nourriture. Quand nous incinérons ces sachets, les gens viennent nous menacer, prétextant que la fumée les dérange », se lamente-t-elle. « Mais, s’interroge cette mère, que peut-on faire » ?
Désespérés par ce désolant spectacle qui perdure et cela au vu et au su des autorités communales, certains habitants du quartier songent à vendre leurs maisons car, pour eux, trop, c’est trop! L’une des femmes a affirmé avoir déjà remis les papiers de sa maison à ses enfants pour trouver un acheteur, parce que selon elle, il vaut mieux vendre, et acheter une nouvelle parcelle ailleurs. « Vous voyez, ici, c’est notre maison, mais à cause de ce dépotoir, elle ne m’intéresse plus. On vend et on quitte. Ça fait aujourd’hui 12 ans que leur père n’est plus. Pire, les gens viennent jeter des animaux morts. Récemment, c’est un cheval qu’ils sont venus jeter ici », déplore-t-elle.
Selon Issa Oumarou, un autre résident de longue date, leur calvaire aurait commencé lorsque le propriétaire d’une station-service située à côté de leurs habitations a voulu acheter et aménager un espace dans le voisinage ; mais l’accord était tombé à l’eau. « Il avait emmené un engin pour ramasser les ordures. Les travaux avaient commencé, mais finalement les deux parties ne se sont pas bien entendues. Les ordures entassées ont été ainsi laissées à l’endroit qui avant n’était pas un dépotoire. Et les gens du quartier ont profité pour venir verser leurs ordures. L’odeur nauséabonde que dégage ce dépotoir est insupportable », explique Issa Oumarou. Malgré le fait qu’il ait été voir les services compétents chargés de la question d’hygiène dans la ville de Niamey, la situation ne semble pas s’être améliorée. « Une autre habitante est allée aussi plus de deux fois à la mairie. Les agents avaient promis de venir, mais ils ne sont jamais arrivés », tonne Issa Oumarou.
La fouille des immondices, un métier qui fait vivre d’autres !
Comme on a coutume de dire, « le malheur des uns fait le bonheur des autres ». En effet, au pied de cette montagne d’immondices, sous un acacia, se trouve un hangar de fortune fait de carton et de plastique. Sous cet abri se trouve Aboubacar Yaou, un homme d’une quarantaine d’années, entouré de plusieurs autres jeunes, sacs en mains. Le leader de ce groupe et ses acolytes se sont donnés pour mission d’inspecter tout au long de la journée la décharge à la recherche de métaux et de tous autres objets ayant une valeur marchande, aussi minime soit-elle. Ainsi, tels des prédateurs affamés guettant leur proie, ils se jettent automatiquement sur la décharge à la vue des jeunes venus déverser des ordures ménagères avec l’espoir de faire la récolte de la journée. Une activité que certains pourraient qualifier de travail de saleté. Et ils n’ont pas totalement tort car, Aboubacar Yaou reconnaît lui-même porter les mêmes vêtements pendant une semaine. Est-il en possession de toutes ces capacités mentales ? Bien sûr car, sans être psychologue, on peut aisément reconnaître que c’est un être raisonnable et capable de raisonner qui était devant nous et répondait aux questions. Pour lui, il vaut mieux gagner sa vie dans les décharges que d’aller voler ou mendier. Pour les moqueries, cela semble ne plus l’atteindre car, il s’est déjà résigné, parce que fier de son travail, puisqu’après tout, c’est ce qui le nourrit. « En ville, lorsque je rencontre des connaissances à cause de cette saleté, si je les salue, ils me regardent bizarrement et pourtant ils n’ont pas ce qu’on a dans les poches. C’est ici au Niger qu’on ne gagne pas beaucoup, sinon au Nigeria on trouve même de l’or dans les décharges. Ici à Niamey, on a plusieurs fois trouvé de l’argent dans des sachets. Sans faire de visite médicale, je ne peux pas savoir les conséquences que ce travail a sur ma santé, mais je sais que je me sens bien dans ma peau. Je peux vous assurer que je n’ai aucun problème de santé, et je peux trouver dans les décharges quelque chose qui me plaît et le manger », raconte Aboubacar Yaou.
Son métier à lui c’est de ramasser et d’entasser des cartons, de la ferraille et des bouteilles pour ensuite les revendre. Ce métier, il l’a appris et exercé pendant neuf ans à Lagos au Nigeria. Avant de commencer ce travail au Niger, Aboubacar Yaou était un apprenti auprès d’un conducteur de camion, mais il a choisi de faire cette activité, dit-il, car c’est moins épuisant et il reste son propre patron. « Quand l’acheteur vient, il choisit ce qui l’intéresse, il me paye et ce que personne ne veut, je le retourne aux ordures, parce que ce n’est pas tout ce que je sors qui est utile aux gens. Quand j’amasse les cartons, je ne les vends pas directement, je les entasse. Je vends le kilo du carton à 15 francs, celui des bouteilles à 50 francs et le métal à 100 francs ou 125 francs. En ville, les acheteurs payent cela jusqu’à 150 francs. Mais nous qui sommes ici, les enfants nous amènent et moi, j’augmente ma marge. Même si je vends ça à 150 francs, il se peut que je gagne ou que je perde », ajoute-t-il.
Quant à la rentabilité de ce travail, Aboubacar précise qu’il y a des bons et des mauvais moments. « Parfois, je n’arrive même pas à avoir 750 francs et d’autres moments, je gagne jusqu’à 1000 à 2000 francs. Une fois, quand la journée est bonne, il est possible d’avoir 4 000 francs, voire 5000 francs CFA. Si les jeunes ne viennent pas déverser les ordures, je prends mon sac et je rentre en ville. Partout où on verse des ordures, je fouille et je ramasse la ferraille », dit-il.
Pour ce dernier, la seule honte, c’est de voler. « Les ordures que les gens versent devant leur maison, nous les fouillons. À cause de ça, certaines personnes peuvent même nous frapper, bien que ce ne soit pas un vol qu’on a commis. Quand on passe, les gens nous insultent et disent que ce sont nous les voleurs. Celui qui est capable de voler ne va pas venir passer son temps dans des déchets », se défend t-il.
Moctar Harouna est un autre jeune qui évolue dans le ramassage des ordures ménagères porte-à-porte. Muni de sa brouette, de son balai et de son râteau, ce jeune sillonne les quartiers à la recherche de son pain quotidien. Le mois, il gagne par ménage entre 500; 1000 ou 2000 francs CFA. Un prix forfaitaire qu’il reçoit des chefs de famille. « Ça fait quatre ans que je suis dans ce travail. Je satisfais à mes petits besoins et c’est mieux que d’aller se coucher. C’est pour ça qu’il est bon de travailler au lieu d’aller prendre pour quelqu’un », affirme-t-il.
Les riverains du dépotoir de Niamey 2000 ne sont pas seuls à souffrir de l’insalubrité et de la pollution. Les habitants d’autres quartiers de la ville vivent malheureusement aussi le même problème.
Hamissou Yahaya (ONEP)