À Niamey, dans le quartier Bandabari, non loin de Sonitrav, se trouve un centre d’apprentissage de métiers variés et multiples qui regroupe des artisans en menuiserie métallique et bois, maroquinerie, tapisserie et couture, mais hélas peu connu du grand public. La spécificité de ce centre réside en ses hommes et femmes qui l’animent. En effet, comme le dit un adage, « le handicap n’est pas une fatalité et n’est pas non plus synonyme de mendicité ». Ainsi, dans ce centre nommé Dr Sako, spécialement créé pour les personnes handicapées physiques, des hommes et des femmes démontrent cela à travers la dextérité de leurs mains et la qualité de leurs articles qui n’ont rien à envier à ceux des autres artisans. Toutefois, malgré sa mission première de contribuer à la réduction de la mendicité, le centre peine à atteindre son objectif.
Parmi les difficultés qui freinent l’atteinte de ces objectifs, il y a la question cruciale de l’argent, liée à l’absence des partenaires financiers, mais également à un manque d’appui conséquent de l’État. En effet, ce centre ne perçoit que cinq cent mille (500 000) francs CFA de subvention par trimestre, soit cent soixante-six mille (166 000) francs par mois. Un apport dérisoire, selon M. Alzouma Maiga Idriss, président de la Fédération Nigérienne des Personnes Handicapées. « Imaginez un centre comme celui-ci, qui bénéficie d’une telle somme. Rien qu’en eau et en électricité, l’argent est fini », décrie-t-il, avant de préciser que le centre était à l’origine créé pour accueillir les personnes handicapées physiques non scolarisées afin qu’elles apprennent un métier. « C’est comme ça qu’au lieu d’avoir une école, on a demandé un centre de formation où nous initions les personnes handicapées qui sont en ville en train de mendier à un métier de la vie. Cette année, nous sommes dans un programme dans lequel 20 jeunes handicapés seront formés en soudure, tissage, menuiserie métallique et bois durant un à trois ans et qu’on va reverser dans la vie active », note-t-il.
Mahamadou Abdoulaye, la cinquantaine, est un handicapé physique qui excelle dans la tapisserie pour salon, pour voiture et le cartonnage des portes. Fier de son expérience de plusieurs années, il dit avoir appris le métier au Ghana et l’exerce depuis 1981. « J’ai appris le métier parce que la mendicité me dégoutait. Je suis contre la mendicité », clame-t-il haut et fort. C’est pour cela qu’il interpelle l’État à venir les appuyer pour participer activement à la lutte contre la mendicité. « On maîtrise le métier, mais l’État nous a abandonnés. Si ce n’est pas grâce aux appuis des gens de la ville, on allait souffrir. Parce que ce sont les mécaniciens et les tauliers qui nous apportent les voitures, et les autres nous apportent des salons. Les gens prennent l’avion pour aller commander des salons et, après quelque temps, c’est chez nous qu’on les ramène pour les retaper », dit-il avec dépit.
« La personne qui part mendier peut se retrouver avec dix mille francs par jour et nous, nous sommes là à attendre des contrats et avant de finir, on souffre. Les autres sont habitués à la facilité ; même si on les amène au centre, si on ne leur donne pas au moins deux à trois mille par jour, ils ne restent pas. C’est la seule manière de les empêcher de retourner dans la mendicité. Mais venir attendre jusqu’à ce qu’il y ait du travail, ils en sont incapables », ajoute-t-il.
Pluridisciplinaires, c’est la vocation première du centre pour permettre à chacun de trouver un métier qui lui convient. Mahamadou Mounkaila, un autre handicapé physique, a réussi dans la confection des grillages. Ce métier qu’il a débuté en 2004, après cinq années de formation, lui a permis de se marier et de prendre soin de sa famille. « Après l’obtention de mon diplôme, je me suis mis à mon propre compte. J’ai une douzaine d’apprentis. En fonction de la commande, ils travaillent tous, mais ces derniers temps, il y a un manque de commandes, parce que nos plus grands clients sont les projets. Les prix du rouleau de grillage de 25 mètres varient de 18 000 jusqu’à 150 000 francs CFA », explique-t-il.
Un centre soucieux du genre
Ici, dans ce centre, les femmes sont prises en compte à travers un atelier spécialement dédié à la transformation agroalimentaire et à la fabrication de produits cosmétiques tels que les savons durs, les savons liquides, les pâtes d’arachide, l’huile. Des articles comme des sacs, des paniers pour les courses de marché, des perles et bien d’autres produits y sont confectionnés par les artisanes du centre. « Nous accueillons, à bras ouverts, les mendiants concernés par l’opération de lutte contre la mendicité dans la capitale et nous les invitons à venir travailler dans le centre, avec dignité », confie Mme Zeinabou Hamadou, formatrice du centre.
Ces braves artisanes vendent le bidon du savon liquide à 500 FCFA et la boîte de pâte d’arachide à 1500 FCFA. « Nous avons commencé à fabriquer du tapioca et du gari grâce à une formation que nous avons reçue. Par le passé, ces produits étaient importés d’autres pays, mais maintenant, nous les fabriquons nous-mêmes, mais pour les écouler c’est très difficile ces derniers temps », indique Mme Zeinabou Hamadou, qui souligne avoir plus de 20 ans d’expérience dans ce centre, et arrive grâce à ces activités à subvenir à ses besoins et à payer la scolarité de ses enfants. « Nous appelons nos sœurs handicapées à comprendre que le handicap n’est pas une fatalité. Il faut avoir un métier, plutôt que de mendier, avec tout le déshonneur que cela implique. Et grâce à nos sensibilisations, plusieurs mendiants ont rejoint le centre et travaillent avec nous », dit-t-elle avec enthousiasme.
En termes d’appui et de contribution de l’État à leurs efforts, ces femmes désirent que les autorités passent des commandes de certains produits pour leurs services afin de les aider à écouler leurs marchandises. « Lorsque nous formons de nouvelles arrivantes, c’est pour qu’elles restent avec nous et continuent à travailler ensemble. Plusieurs d’entre elles ont ouvert leurs propres ateliers dans lesquels elles forment d’autres personnes. D’autres ont l’intention d’ouvrir leurs ateliers, mais c’est le manque de moyens qui les démotive », affirme Mme Ramatou Ousseini, l’une des formatrices du centre.
Elle lance un appel pressent à ses sœurs handicapées qui n’ont aucune activité à les rejoindre au centre, afin qu’elles puissent être à l’abri de l’humiliation. En étant handicapé, on peut travailler comme toute autre personne pour subvenir à ses besoins, sans dépendre de quelqu’un d’autre. « Moi, j’exerce ce métier au centre depuis plus de 30 ans et j’ai formé plusieurs femmes handicapées, sans aucun frais. Avant de commencer à former, j’ai moi-même reçu une formation sanctionnée par un diplôme dans ce domaine. Nous avons beaucoup bénéficié de ces activités. Nous arrivons à subvenir à nos besoins et à ceux de nos familles, mais aussi à contribuer à l’économie de notre pays », affirme-t-elle, le sourire aux lèvres.
Hawa Amadou est l’une des apprenties en couture du centre. Son vœu, c’est d’obtenir son diplôme et d’ouvrir son propre atelier. « Cela fait quelques années que je suis ici, et nous faisons de la couture pour hommes et femmes. Nous souhaitons vraiment qu’on nous mette dans de meilleures conditions pour améliorer la qualité de notre formation», souhaite-t-elle.
Hamissou Yahaya et Boureima Hassane(stagiaire)
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Mahamadou Hamidou : un pur talent dans la menuiserie métallique malgré le handicap
Dans le centre des handicapés locomoteurs « Dr Sako Amadou » à Niamey évolue Mahamadou Hamidou, un jeune en situation de handicap, spécialisé dans la soudure métallique. Avec une mobilité réduite, il utilise des béquilles pour se déplacer. Ce handicap ne l’a pas empêché de s’imposer dans le domaine de la menuiserie métallique grâce à son courage, sa bravoure et son dévouement.
Âgé de 31 ans, Mahamadou Hamidou a débuté cette activité à l’âge de 17 ans. De stature moyenne, Mahamadou n’est pas né avec le handicap, mais il l’a développé à l’âge de 7 ans après avoir été frappé par la polyarthrite, coïncidant avec son âge d’inscription à l’école. Cette maladie a bouleversé son enfance et compromis son parcours académique. Après plusieurs années de convalescence, nous apprend-il, il a été inscrit à l’école coranique où il a acquis une solide base en enseignement religieux.
« C’est l’influence de mes frères et sœurs des différents centres de formation des handicapés, qui ont choisi de travailler plutôt que de mendier, qui m’a poussé à me lancer dans une activité génératrice de revenus après mes études coraniques. Je me suis intéressé à la pratique au détriment de la mendicité parce qu’on ne m’a pas appris à compter sur les autres », confie Mahamadou Hamidou. Sous la tutelle de son centre d’accueil, le jeune artisan propose des services de conception et de soudure métallique, en particulier la modification de motocyclettes pour ses pairs handicapés.
Arrivé au centre des handicapés locomoteurs, Mahamadou s’est orienté vers la menuiserie métallique, un domaine où il excelle et démontre une incroyable indépendance et une capacité de résilience par son métier. « Depuis que j’ai commencé cette activité, je n’ai jamais tendu la main à personne. Grâce à elle, j’ai fondé une famille que j’entretiens en toute indépendance », affirme M. Hamidou.
« Avec mon expérience, j’encadre des jeunes novices, comme j’ai été formé par le chef de l’atelier », ajoute-t-il. Cependant, il déplore le manque de gros contrats. « Le public ne nous accorde pas beaucoup de crédit et préfère ne pas nous confier des travaux, probablement à cause de notre handicap », se pleint-il.
Grâce à son caractère très sociable, Mahamadou est apprécié de tous ses collègues et amis. Son patron, Soumana Magagi, tout comme ses collègues, parlent en termes élogieux de lui. « Mahamadou Hamidou est spécial dans cet atelier en raison de sa simplicité et de son amour du travail. Depuis sa période d’apprentissage, il n’a jamais failli dans les tâches qui lui sont confiées, et il a conservé cette éthique jusqu’à aujourd’hui. Parfois, des clients viennent ici en réclamant uniquement ses services », confie son patron. « Handicapé il l’est certes, mais il maitrise le métier mieux que certaines personnes bien portantes », conclut-il.
Bachir Djibo (stagiaire)