De tous les sports pratiqués dans le monde, la lutte traditionnelle est le sport favori des Nigériens. En effet, la lutte revêt une importance capitale pour les Nigériens car, elle est considérée comme l’un des piliers de notre culture et une source de fierté nationale qui attire les foules et suscite l’enthousiasme des supporters. Discipline connue depuis la nuit des temps, la lutte traditionnelle gagne de plus en plus en termes de popularité au Niger.
De nombreux lutteurs exceptionnels ont marqué l’histoire de la lutte par leurs exploits inoubliables, laissant un héritage mémorable aux Nigériens. Il est essentiel de rendre hommage à ces anciens lutteurs qui ont conquis et séduit leur époque. Aujourd’hui, bien que certains d’entre eux aient pris leur retraite, d’autres continuent à servir le sport en tant qu’encadreurs, formant la jeune génération en introduisant de nouvelles techniques et tactiques de lutte. Parmi ces légendes vivantes, on retrouve Kadadé Zambo, Laouali Abdou (surnommé Langa Langa), Balla Harouna, et Alio Salaou, qui ont accepté, dans les couloirs de l’arène Aboubacar Djibo d’Agadez, de partager leurs sentiments sur ce sport tant aimé des Nigériens.
Kadadé Zambo
Il est une des figures emblématiques de la lutte traditionnelle qui a sans doute marqué les esprits au Niger. Kadadé Zambo est originaire de la commune de Bambaye, région de Tahoua. Il manifeste un vif intérêt pour la lutte traditionnelle dès son jeune âge et choisit d’y faire carrière. Aujourd’hui, la légende Kadadé a atteint les 80 ans. Pendant sa carrière, il a participé à 10 championnats de lutte traditionnelle au cours desquels il s’est mesuré, avec témérité et acharnement, à tous les grands de son époque. Malheureusement, malgré ses performances impressionnantes dans les différentes arènes et ses techniques qui ont traumatisé plusieurs grands lutteurs de son époque, ce terrible lutteur de Tahoua n’a jamais eu la chance d’être couronné champion du Niger.
Kadadé affirme que la lutte a connu une transformation majeure au fil des ans. Il souligne que la lutte actuelle est remarquable à bien des égards, notamment en ce qui concerne la cohésion sociale, la forte affluence du public lors des événements, et de nombreux autres aspects qu’il a appréciés.
Il a également évoqué plusieurs aspects qu’il trouve désagréables dans cette nouvelle évolution de la lutte traditionnelle. « Chaque fois que je rencontre un journaliste, je lui exprime franchement mon opinion. La compétition actuelle est vraiment décevante. À mon époque, on n’a jamais refusé de se battre correctement pour soutenir un lutteur invaincu. C’était une question de victoire ou de défaite jusqu’au bout. Après deux jours de combats interrégionaux, les jeunes d’aujourd’hui trouvent un arrangement entre eux. Lorsqu’ils comptent deux lutteurs invaincus parmi les dix, ils s’arrangent pour donner huit victoires aux adversaires afin de permettre à leurs lutteurs de continuer. Certains en profitent même pour gagner de l’argent grâce à cette pratique. Chacun des anciens combattants luttait autrefois pour avoir de la renommée, pour honorer sa région et son pays. Les sanctions ont également compromis la compétition », a-t-il expliqué.
Kadadé a souligné que lorsqu’il a commencé la lutte, les sommes en jeu n’étaient pas colossales comme celles d’aujourd’hui. Il a ajouté que le champion remportait 70.000 fcfa, le vice-champion 50.000 fcfa et le 3è 25.000 fcfa. C’est à l’édition de Dosso, en 1990, que la récompense du champion a été rehaussée à 150.000f.
Kadadé a grandement apprécié la dernière édition de son début à sa fin, malgré quelques petits incidents liés à l’arbitrage. Il a exprimé le souhait que la prochaine édition, qui se tiendra à Dosso, démarre dans de meilleures conditions et se termine dans le même état d’esprit. De plus, il a encouragé les autorités à apporter davantage d’aide aux lutteurs, qu’ils soient anciens ou nouveaux. Malgré ses ressources modestes, il soutient activement certains lutteurs en leur offrant des cadeaux tels que des vaches ou des moutons pour les encourager dans leur détermination et leur engagement à atteindre le sommet de la lutte. « Chers Arbitres, nous vous prions de rester concentrés sur votre objectif, en maintenant réellement votre neutralité et en évitant de mettre les sentiments dans cette tâche. Nous sommes tous Nigériens et cette lutte est pour nous tous. L’objectif est d’unir les Nigériens, ne vous détournez pas de cet objectif », a-t-il dit à l’endroit du corps arbitral.
Laouali Abdou dit Langa-langa
Parmi les anciennes gloires de la lutte traditionnelle au Niger, on compte aussi Laouali Abdou, surnommé Langa Langa. Originaire de la région de Zinder, il est le détenteur du Sabre National de 1982. Il a atteint la finale à deux reprises. Il l’a remportée une fois et l’a concédée une autre fois face à son coéquipier, Balla Kado. Langa Langa a relevé les multiples évolutions organisationnelles, pratiques et techniques de la discipline. Lorsqu’il s’agit de la dimension financière, ajoute-il, la lutte actuelle est plus avantageuse. Il précise qu’à son époque, les lutteurs se battaient pour l’honneur de leurs familles, de leurs régions et de leur pays.
« Ma première finale était avec Elhaj Balla Kado en 1981, à Niamey. Balla Kado était mon patron et il était aussi mon mentor et mon bienfaiteur. Ensemble, nous avons vaillamment combattu pour atteindre la finale. Notre lien était très fort, je ne pouvais pas me résoudre à le combattre, donc j’ai préféré lui laisser la victoire. L’année suivante, la 8è édition s’est déroulée à Tahoua, en 1982, grâce à Dieu, j’ai finalement remporté le sabre à mon tour », a-t-il précisé.
Langa Langa a représenté le Niger avec bravoure lors de plusieurs compétitions internationales. Il a évoqué sa sélection en équipe nationale pour représenter le Niger au Sénégal, où l’équipe a décroché la 2è place. Ensuite, ils se sont rendus en Côte d’Ivoire, à Abidjan, où l’équipe a été sacrée championne. L’équipe s’est rendue en Guinée, où elle a de nouveau brillé en remportant la première place ainsi que plusieurs exploits individuels et collectifs.
« J’éprouve de la fierté d’avoir accompli tous ces exploits. Nous avons combattu pour notre pays, et même si nous ne sommes pas devenus riches, nous remercions le ciel, car, grâce à la lutte traditionnelle, nous avons pu bénéficier de nombreux privilèges et d’autres bienfaits que procure particulièrement la lutte traditionnelle. Nous avons ensuite transmis cet amour de la lutte à la génération de Balla Harouna », a-t-il dit avec fierté.
Le champion de 1982 déclare que les lutteurs de son époque étaient extrêmement disciplinés. Ils étaient attentifs aux précieux conseils prodigués par leurs supérieurs et leurs entraîneurs. En revanche, il estime que les lutteurs d’aujourd’hui sont trop arrogants et indisciplinés. Ils agissent suivant leurs propres désirs.
« Nous avons constaté de nombreux changements dans la lutte traditionnelle que nous ne jugeons pas satisfaisants, comme la mort subite et des avertissements inappropriés, ainsi que certains arbitres qui n’accomplissent pas bien leur tâche. Cette affaire de caméra me contrarie, avez-vous déjà vu une caméra siffler une fois ? Honnêtement, la lutte d’autrefois était meilleure que celle d’aujourd’hui. Il y a une grande différence ! La lutte est devenue comme une petite école et les règlements ont ruiné l’aspect de la lutte traditionnelle. Les avertissements sont une décision regrettable et sont mal exécutés. Les arbitres ne sont plus des arbitres, ce sont des étudiants », a expliqué Langa Langa.
Balla Harouna
Balla Harouna a vu le jour en 1970 dans le département de Matameye, à Zinder. Il est sans aucun doute l’un des plus grands lutteurs ayant marqué l’histoire de la lutte traditionnelle au Niger car, Balla Harouna a défendu les couleurs de la nation nigérienne plus que tout autre lutteur à l’international. Balla Harouna ne sous-estime jamais ses adversaires lors de ses combats. Il fait preuve de calme, de dynamisme, de technicité et d’une grande agilité doublée d’une analyse stratégique pointue.
Il est largement reconnu au Niger et à l’étranger pour ses performances exceptionnelles en lutte traditionnelle. « Safana » a laissé une empreinte indélébile dans ce sport, marquant son époque par des exploits exceptionnels. Il a dédié les 35 ans de sa vie à cette lutte et continue toujours de mettre ses connaissances à son service. Il a été entraîneur de la région de Zinder pendant un certain temps, avant de devenir entraîneur national.
Il est important de souligner que Balla Harouna a aujourd’hui 54 ans. Il a commencé sa carrière dès son plus jeune âge en participant à des compétitions mineures, puis il a progressivement gravi les échelons. En 1992, il a participé pour la première fois au championnat national et quatre ans plus tard, en 1996, il a remporté son premier Sabre à Agadez. Il a ensuite remporté un deuxième en 1999 à Dosso, et enfin un troisième en 2002 à Maradi. Grâce à ses nombreuses prouesses, il a su captiver le public nigérien. Sa technique et sa détermination sont indéniables. Il a révolutionné la lutte avec des innovations dans les techniques. Balla a conquis le cœur des supporters Nigériens. Il s’est fixé pour objectif de conquérir l’international, ce qu’il a brillamment réalisé, devenant six fois champion d’Afrique et une fois champion du monde en Turquie.
Il a souligné que la lutte a beaucoup changé depuis ses débuts, en 1976. Il a noté que ses prédécesseurs, ainsi que ceux de sa génération, ont accompli un travail exceptionnel qui a fait la fierté de la nation nigérienne à l’époque. Néanmoins, il a observé que les jeunes d’aujourd’hui ont des difficultés à s’exprimer, mettant en évidence des différences entre les lutteurs de la génération précédente et ceux d’aujourd’hui. Il a indiqué que la lutte a pris un nouveau tournant après la victoire d’Elhaj Balla Kado en 1981, à Niamey, contre Langa Langa en finale, où le tirage au sort a été initié. Il a précisé qu’auparavant, il n’y avait aucun avertissement et il fallait se battre jusqu’à ce que l’un des adversaires soit terrassé, il n’y avait pas non plus de combat nul, ni de temps mort. Il a également mentionné que toutes ces nouvelles règles diminuent la qualité et la beauté de la lutte traditionnelle.
« Avant, les lutteurs remportaient en finale 250.000 Fcfa, voire 500.000 Fcfa. À notre époque, nous avons eu de 1.000 000 à 2.000.000 Fcfa. Mais aujourd’hui, c’est jusqu’à 12 millions. Ce qui est très positif et encourageant. Nous souhaitons que la lutte nous apporte une autonomie complète. Il est essentiel d’établir une structure visant à soutenir financièrement les anciens lutteurs. Beaucoup d’entre nous souffrent actuellement par manque de moyens. Beaucoup d’anciens lutteurs ne bénéficient plus des privilèges d’antan. Nous souhaitons ardemment que cette discipline, après la retraite, prenne en charge nos familles, à l’instar de ce qui se fait au Sénégal. La lutte, c’est la seule discipline que nous avons apprise et dans laquelle nous avons brillamment représenté notre pays », a-t-il dit. Pour conclure, le champion Bala Harouna a exhorté tous les lutteurs à faire preuve de patriotisme, à être attentifs, combatifs, techniques et endurants, tout en évitant les comportements préjudiciables à leur carrière. Il a exprimé ses vœux de réussite aux nouvelles autorités du Niger dans cette mission difficile, tout en encourageant les Nigériens à s’unir comme des frères et sœurs en rejetant le régionalisme et en renforçant leur unité.
Alio Salaou
Alio Salaou de Zinder est aussi une des figures emblématiques de la lutte traditionnelle, récemment couronné champion de la 34è édition à Niamey. Sa maîtrise des techniques, son courage et son dynamisme ont conquis les jeunes de sa génération.
En outre, Alio Salaou a remporté la coupe Airtel 2012 ; il a eu la médaille d’argent en Algérie ; il a été médaillé à deux reprises en Russie ; il a remporté trois fois la médaille d’Or à la Coupe de la CEDEAO et a été médaillé deux fois au TOLAC au Niger. Le technicien Salaou a atteint les demi-finales du Sabre National à trois reprises et a eu plusieurs autres succès dans son palmarès.
Aujourd’hui, il exerce la fonction d’entraîneur à Zinder où il enseigne aux jeunes lutteurs de son écurie la maîtrise des techniques de combat. En plus de son statut d’entraîneur, il travaille en tant que coiffeur dans son propre salon et exerce par ailleurs le métier de tailleur.
« Il existe une énorme disparité entre notre lutte d’antan et celle d’aujourd’hui. À notre époque, nous donnions le meilleur de nous-mêmes, avec une réelle passion qui venait du cœur. De nos jours, la plupart des jeunes luttent, mais mettent davantage l’accent sur le côté financier. Quant aux techniciens, ils modifient constamment les règles de la lutte traditionnelle. A notre époque, les combats duraient 10 minutes suivies d’une minute de pause. Aujourd’hui, les combats durent 5 minutes avec 2 minutes de pause, ce qui rend les lutteurs paresseux et sans rythme, la plupart n’ont pas la condition physique nécessaire. La pause est trop longue, parfois, on voit le lutteur s’ennuyer pendant la pause », a-t-il dit.
Alio exhorte les techniciens de la table technique à revoir leurs textes afin d’améliorer certains aspects de la lutte traditionnelle. En tant qu’entraîneurs, dit-il, les anciens lutteurs ont amené beaucoup d’amélioration à travers des techniques, des tactiques et des stratégies pour révolutionner la lutte et c’est dans une union totale et une collaboration parfaite que chaque entraîneur a amené sa contribution pour l’évolution de cette lutte traditionnelle.
« Le problème des jeunes lutteurs aujourd’hui, c’est que la plupart n’ont pas vraiment l’amour de cette discipline, certains ne s’entraînent qu’à l’approche des compétitions, ce n’est pas comme ça la lutte. Ils doivent s’adonner corps et âme à ce sport. Avec l’aide de Dieu, ils bénéficieront des bienfaits que procure le métier de lutteur. Parfois, c’est même de notre faute, nous les entraîneurs. Car c’est à nous les coachs de les guider. Quelconque exerce cette lutte avec discipline, travail et abnégation, évoluera tôt ou tard », a-t-il expliqué.
Assad Hamadou (ONEP)