
Un pont d’écriture sur notre passé glorieux
Pour boire à la source de nos dignes aïeux
Saraounia ou le drame d’une reine magicienne n’est pas un livre d’histoire. L’important dans ce roman c’est le symbolisme à travers lequel Abdoulaye Mamani nous propose un tremplin imaginaire pour relire, à la loupe de la littérature, l’héroïsme singulier de la reine des Aznas de Lougou (dans l’actuel département de Doutchi, région de Dosso) ; une bravoure aux relents anticolonialistes, un héroïsme donc inspirant pour le Niger et l’Afrique, à l’heure des luttes actuelles contre l’impérialisme sous toutes ses formes, à l’heure de « l’Afrique des libertés » pour paraphraser un certain Franklin Nyamsi. En effet, dans la réalité comme dans l’œuvre imaginaire du romancier originaire de Zinder, la reine Saraounia Mangou de Logou est une résistante à la pénétration coloniale française.
Le 02 janvier 1899, une colonne française, sous le commandement du Capitaine Voulet, quitte le Soudan (actuel Mali). « En cette fin du XIXe Siècle, la colonisation de l’Afrique bat son plein. Anglais, Allemand, Français, Portugais et Belges s’en donnent à cœur joie ». En partant de Ségou sur les bords du fleuve Niger, la tristement célèbre mission Voulet et Chanoine avait pour objectif de rallier le Tchad et faire jonction avec deux autres missions françaises de conquête : Foureau Lamy de l’Afrique du nord et la Mission Gentil du centre du continent, afin de mettre fin à la résistance de Rabah, maitre des territoires alentours du Lac Tchad.
Sur sa route, le sanguinaire capitaine tue les Hommes, brule les villages et pille vivres et bétails ; sur presque toute la bande sud du Niger : « Les hommes, les femmes et les enfants sont décimés avec une rare sauvagerie ». Sans compter les exactions sexuelles sur les femmes des villages détruits par les missionnaires blancs et leurs mercenaires noirs. « Sous une tente triangulaire faite de nattes grossièrement tressées, un Blanc, bedonnant et velu comme un mulet, caresse d’une main distraite la croupe d’une petite foulah aux yeux sombres où se lisent la peur et la tristesse ». Plutôt, Mamani avait déjà écrit « Un à un, les mercenaires de la colonne émergent des buissons où ils ont forniqué toute la nuit avec les captives passives comme des rôniers ». La mission Voulet et Chanoine butte alors « en pays haoussa, sur un petit royaume gouverné par une reine magicienne : Sarrounia, la reine des Aznas ».
C’est l’histoire de cette bataille qui a inspiré l’œuvre Sarraounia à Abdoulaye Mamani. Un délice de roman à travers lequel, le grand homme de lettres Nigérien répond à un certain Jacques Francis Roland qui, dans un livre précédent, intitulé Le Grand Capitaine, n’a consacré qu’une modeste page à la reine de Lougou alors que le face-à-face avec la Saraounia, dont la farouche résistance a surpris la mission française, a constitué à n’en point douter, l’un des principaux faits qui ont marqué cette épisode sombre de l’histoire de notre contact avec le colonisateur français.
Par ces vents d’indépendance qui soufflent sur l’espace nigérien correspondant au territoire actuel de l’Alliance des Etats du Sahel (A.E.S), par ces temps où la lutte pour la souveraineté totale de notre pays et de tous les Etats de l’A.E.S est la principale question de l’heure qui vaille au Niger, au Mali et au Burkina Faso, relire Saraounia ou le drame d’une reine magicienne, c’est revenir à une tradition, celle perpétuée par la mémoire collective de nos sociétés qui, à travers les ans, a fait de la Reine de Lougou, une icône, une référence culturelle séculaire des peuples sahéliens à la liberté et à disposer d’eux-mêmes en toute souveraineté.
Dans cette saga, digne d’un livre d’histoire (d’ailleurs la principale référence au Niger, encore aujourd’hui, sur cette résistance), l’écrivain Nigérien se découvre, à la fois, historien, romancier, poète, conteur… Il y a eu beaucoup de débats à propos du genre de cette œuvre qui a fait connaitre le vaillant combattant Sawabiste pour l’indépendance du Niger, natif de Goudoumaria. Sarraounia est plus qu’un roman, c’est une épopée, « une histoire romancée » selon l’auteur, bref un texte à lire pour sa portée mais aussi pour sa beauté, comme c’est toujours le cas chez Mamani, une plume libre au but libérateur mais une plume simple et exquise :
« Tu es l’œil et l’honneur des Aznas
Douce Sarraounia aux griffes de fer
Tu brises tes ennemis aussi sur que La panthère brise les os de sa proie. »
Retenons juste que Mamani a écrit Saraounia pour immortaliser l’image de El Mangou, ce faisant, il est lui-même entré dans l’histoire. Comme il le dit d’ailleurs : « Celui qui meurt, sans laisser de trace, a vécu inutilement. » Saraounia ou le drame d’une reine magicienne, un véritable chef d’œuvre à lire et à relire paru en 1980 aux éditions L’Harmattan. Saraounia, un roman engagé qui nous rappelle que les Nigériens et les peuples du Sahel, depuis Saraounia Mangou, depuis Oumarou Karma et Kaocen avec sa révolte touarègue, en passant par des combattant de l’indépendance totale comme Djibo Bakary, Abdoulaye Mamani ou encore le révolutionnaire voltaïque Thomas Sankara, les Sahéliens n’ont jamais accepté la domination sans se battre.
Hamidou Idrissa Moussa,
Professeur de Français au CES III de Tahoua