Vous êtes actuellement Représentant Résident de l’OMS au Congo et vous êtes candidat au poste de Directeur Régional de l’OMS pour l’Afrique. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Il faut tout de suite noter que la région Afrique se trouve à un tournant décisif en matière de santé. En plus des crises récurrentes que nous connaissons, tout ceci a été exacerbé par la pandémie de la Covid 19, les effets des changements climatiques sur la santé, les crises qui se sont multipliées dans la région. Après, il y a l’agenda de transformation de la région africaine, agenda auquel j’ai pris part aussi bien au bureau régional que dans beaucoup de pays où j’ai servi. Je me suis dit que nous avons le potentiel d’apporter un plus pour l’amélioration de la santé des populations africaines. De manière ramassée, notre motivation se résume en ce que nous pensons que nous pouvons amener une valeur ajoutée en vue d’améliorer les indicateurs de santé. Si nous considérons les ODD et le 14ème Programme régional de travail qui vient d’être adopté par l’Assemblée Mondiale de la Santé, si vous regardez les ODD et l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, vous allez voir que les objectifs de développement durable en matière de santé sont à la traine. C’est pourquoi, nous voulons donner un certain dynamisme pour aller vers une amélioration substantielle de la santé de nos populations.
Vous parlez, dans votre programme, d’une vision renouvelée pour la région africaine. Mais, en quoi consiste-t-elle exactement ?
Une vision existait déjà, mais nous estimons qu’il faut la renouveler. C’est pourquoi, j’ai retenu cinq (05) priorités pour la renouveler. Je l’appelle Vision renouvelée parce qu’elle est complètement différente de celle qui existait. Avec le recul que nous avons, nous pensons que nous pouvons faire en sorte que cette nouvelle approche fasse en sorte que la santé de nos populations s’améliore véritablement.
Quelles sont les priorités auxquelles vous comptez vous y attaquer une fois élu ?
Ces priorités se résument fondamentalement à cinq. Il s’agit, premièrement de s’attaquer aux principaux facteurs de la charge de morbidité. Il ne s’agit pas seulement de facteurs de risque. Par exemple, nous sommes actuellement en saison des pluies au Niger. Vous savez que de manière récurrente et c’est comme si c’est normal, qu’en cette période nous ayons beaucoup de cas de paludisme. Cela n’est pas une fatalité, on peut changer cette situation en faisant des interventions pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de moustique de manière proliférante et éviter un pic épidémique. Un autre exemple, en ce 21ème siècle, c’est que l’Afrique est connue pour avoir une très grande charge de morbidité et de mortalité due aux maladies transmissibles. Cette charge nous a rattrapés. Et nous avons aujourd’hui ce qu’on appelle le quadri-fardeau. Nous n’avons pas fini avec le fardeau des maladies non-transmissibles, les maladies transmissibles deviennent un fardeau très lourd, les accidents et les traumatismes deviennent aussi un autre lourd fardeau et enfin il y a le fardeau de la santé mentale et les troubles nutritionnels. Ma priorité ici sera d’apporter un soutien au renforcement des capacités des systèmes de santé nationaux et locaux afin de fournir efficacement un accès équitable à des ensembles intégrés d’interventions sanitaires éprouvées et rentables pour tous les âges.
Ma deuxième priorité sera d’améliorer la qualité de vie et promouvoir un mode de vie plus sain. Il n’y a rien qui puisse remplacer un mode de vie sain. Nous avons quatre facteurs de risque pour les maladies non transmissibles. C’est la sédentarité, l’usage du tabac, l’usage nocif de l’alcool et le régime alimentaire. Je compte m’attaquer à ces facteurs pour faire en sorte que nos populations aient un mode de vie sain. Pour ce faire, il est nécessaire de doter les dirigeants politiques, les responsables de la santé et les prestataires de solutions innovantes, d’informations et d’outils dont ils ont besoin pour défendre efficacement la santé dans d’autres secteurs gouvernementaux.
La troisième priorité, l’accès universel à des services de santé de qualité. Il faut faire en sorte que nos structures de santé soient à mesure d’offrir les soins, mais aussi des soins de qualité. Et, ce n’est pas diable parce que beaucoup de pays ont réussi à le faire. Donc, en collaboration avec l’Union africaine et d’autres partenaires, ma priorité sera de partager les données et les meilleures pratiques sur les réformes efficaces des systèmes de santé en fonction du contexte.
La quatrième priorité consistera à renforcer la sécurité sanitaire et parvenir à l’autonomie. Si vous prenez l’exemple du Congo où je sers actuellement, la plupart des maladies qui surviennent sont des zoonoses, c’est à dire des maladies de l’animal qui touchent l’homme. D’où la nécessité de ce qu’on appelle ‘’Une seule santé’’ ou ‘’One Heath’’, c’est à dire le mariage entre l’environnement, la santé humaine et la santé animale. Il y aura toujours des maladies. Mais nous devons faire en sorte que ces maladies soient le plus vite maîtrisées lorsqu’elles surviennent. Sur cet aspect, ma priorité sera la protection contre les menaces. Ma priorité absolue sera de travailler en étroite collaboration avec les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC, AUDA NEPAD et d’autres partenaires afin de prévenir, de détecter et de répondre aux menaces à la grande diversité des situations d’urgence dans la région, Il s’agit de répondre aux besoins sanitaires immédiats, de s’attaquer aux vulnérabilités sous-jacentes, de renforcer la résilience du système et d’œuvrer à l’autosuffisance ou l’autonomie. Nous savons aujourd’hui, 99 % des vaccins que nous utilisons dans notre région sont importés. Nous devons travailler pour développer notre industrie pharmaceutique et manufacturière pour produire nos vaccins et nos médicaments pour dépendre moins de l’extérieur. L’épidémie de la Covid 19 nous a servi de leçon.
Enfin, la cinquième priorité consiste à favoriser les partenariats pour des solutions locales et durables. Sur cet aspect, je compte travailler avec l’Union africaine et ses partenaires pour coordonner les initiatives régionales, approfondir la collaboration et renforcer les capacités institutionnelles afin de produire des preuves et de cultiver des solutions locales. Le partenariat est fondamental. Il peut être intersectoriel (entre plusieurs ministères), il peut être entre le secteur public et le secteur privé. Il est évident qu’aujourd’hui, l’Etat seul ne peut pas tout faire. Nous avons des gens qui sont prêts à investir, donc nous devons travailler pour que le partenariat public-privé puisse fonctionner. A titre illustratif, nous avons des cliniques privées qui se sont développées en Afrique ; nous devons faire en sorte que les Africains ne s’appauvrissent pas en cherchant la santé. Il y a la contribution des foyers à la santé, il y a la contribution de l’Etat et la contribution des partenaires (multilatéraux, secteur privé). Nous devons trouver un équilibre entre ces différentes contributions.
Pour concrétiser ces partenariats, que comptez-vous faire si vous êtes élu ?
L’OMS est une organisation des Etats membres. C’est la raison pour laquelle nous nous adressons, dans le cadre de ces élections, aux Etats membres. Pour l’OMS, c’est les 47 Etats de la région Afrique. Si, nous sommes élus, nous allons discuter avec nos Etats. Quand j’étais au Bureau Régional, j’ai développé des stratégies parce que je suis un spécialiste des maladies non transmissibles. Nous avons d’abord commencé à développer une stratégie régionale sur le diabète, puis sur les maladies cardiovasculaires, sur la drépanocytose. Nous avons pratiquement élaboré des stratégies pour chacune des maladies non transmissibles, y compris la santé mentale. Nous avons réussi à amener la question des maladies non transmissibles à l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2011. Ceci montre comment on met les Etats ensemble, faire en sorte que les efforts conjoints des Etats concourent à impacter la santé des populations de la région Afrique.
Vous avez été reçu le vendredi 19 juin 2024 par le Chef de l’Etat. Quel effet, cela a-t-il eu sur vous et qu’est-ce qu’on peut retenir de l’entretien que vous avez eu avec le Chef de l’Etat ?
Je profite de votre journal pour d’abord remercier le Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le Général Abdourahamane Tiani. Comme vous le dites, à travers ma modeste personne, c’est la candidature du Niger. Ce n’est pas un individu qui se présente. Je suis honoré d’être le candidat du Niger. Je me réjouis aussi de l’engagement pris par le Chef de l’Etat de porter ma candidature. On ne peut pas espérer mieux. Cela va se traduire par les efforts du gouvernement du Niger pour faire tout ce qui est nécessaire, comme le Chef de l’Etat l’a dit, afin de promouvoir cette candidature et arriver à un aboutissement heureux de ce processus. Le langage est assez clair et les instructions données par le Chef de l’Etat ont déjà commencé à être mises en œuvre.
Comme vous l’avez dit, ce sont les Etats qui votent. Alors quels messages avez-vous à adresser aux Etats membres
D’autres facteurs interviennent souvent dans les élections. Nous sommes quatre candidats à ce poste. Tout ce que je demande aux Etats membres de la région Afrique, c’est de voir quel est le candidat dont le profil répond aux défis du 21ème siècle, le candidat qui a fait ses preuves et dont le profil répond mieux, à commencer adresser tous les défis auxquels la Région Africaine fait face. Je prends tous les indicateurs de santé qui me sont chers : c’est la santé de la mère et de l’enfant, c’est la couverture santé universelle, c’est la montée des maladies non transmissibles, c’est les épidémies avec lesquelles on ne finit pas. Il faut choisir parmi les candidats, celui qui va, au-delà de son pays, porter la région africaine. Si nous arrivons à faire cette réflexion, je pense que nous aurons franchi une étape importante. Je pense qu’on le veuille ou non, il y a beaucoup d’autres aspects où le politique joue sauf en santé. Parce que si vous vous rendez dans un cabinet de santé, quelle que soit la couleur politique du médecin que vous trouverez, ce qui va compter au finish, c’est la compétence du médecin. C’est à peu près ce même schéma du point de vue santé publique. On aura besoin de quelqu’un qui pourra porter la santé africaine à un niveau où on pourra améliorer nos indicateurs pour que nous puissions marquer des pas importants en avant. Il y a dix ans, la mortalité maternelle en Afrique est de 940 décès pour 100.000 naissances vivantes. Nous avons progressé et nous sommes aujourd’hui à 531 décès pour 100.000 naissances vivantes. Les ODD nous fixent des caps où on doit arriver. Si on travaille fort, on peut arriver au moins à 100 ou 200 décès pour 100.000 naissances vivantes. Il en est de même pour l’index de couverture sanitaire. Nous étions à 23, aujourd’hui nous sommes à 46. Pourquoi, ne pourrons-nous pas approcher les 90. Ce sont là des aspects qui me guident, parce qu’au-delà des discours en santé, nous travaillons avec des indicateurs. Réalisé par Siradji Sanda (ONEP)