La route n’est pas si longue, mais pas facile à parcourir ; c’est une vielle latérite sur une distance d’environ 25 km. De l’aile ouest de la ville de Tahoua, la route tend légèrement vers le sud et mène à Bambeye. Sablonneuse et rocailleuse à certains endroits, cette route est, pour le moins qu’on puisse dire difficile ! Au bout de trois quarts d’heure nous y sommes enfin, le véhicule tout couvert de poussière. Du haut d’une colline, la vue panoramique est impressionnante sur l’étendue du village. Une architecture typique du monde rural nigérien. Au cœur des toits d’habitations en banco se hissent les édifices symboliques du palais du chef du canton et la grande mosquée.
En cette matinée du Lundi 9 janvier 2023, c’est non seulement jour du marché hebdomadaire du village, mais aussi et surtout un jour de fête qui consacre l’ouverture de la 7ème édition du festival annuel Sarho. A environ 200m de la mare dont les eaux ceinturent le village où des troupeaux de gros et petits ruminants s’abreuvent paisiblement, le site du festival est plein de monde enthousiaste. Ils sont des milliers : hommes, femmes et enfants. Agriculteurs, éleveurs, artisans, artistes, griots, dépositaires de la tradition et admirateurs se sont fortement mobilisés autour du chef de canton et des chefs des villages pour magnifier et célébrer les valeurs traditionnelles, en présence de plusieurs invités de marque, parmi lesquels les autorités administratives régionales et locales, les chefs de canton de Tahoua, Kalfou et Illela, les chefs de groupement peulh de Tahoua et touareg de Telemces.
Avec une population estimée à plus de deux cent mille (200.000) habitants, le canton de Bambeye exalte à travers le festival Sarho sa culture dans toute sa splendeur, richesse et diversité et renforce la cohésion sociale entre ses communautés. En effet, ici, on retrouve presque toutes les ethnies du Niger. Haoussas, Peulhs, Touaregs, Djermas, Kourfayawas, Goubés, Kanouris etc. vivent en communion, depuis plus d’un siècle et demi ; bien avant que la contrée ne devienne canton en 1946. Avec ses trois communes rurales, à savoir : la commune de Bambeye, la commune de Takanamat et celle de Tébaram, le canton compte environ 300 villages et hameaux. Il est limité à l’Est par les communes de Tahoua, Kalfou et Affala; à l’Ouest par les départements de Filingué et Bagaroua ; au Nord par le département de Tillia et au Sud par le département d’Illéla. Le canton se trouve dans le département de Tahoua et la région du même nom. L’honorable Elh Hamza Assoumane Bayéré en est le 4ème chef.
Le Sarho, pour la consolidation de la cohésion sociale, la gouvernance locale…
Le festival est dénommé « Sarho » dans la langue du terroir. Le concept renvoie aussi à quelque chose de souhaitable, quelque chose à admirer de tous. Cela exprime ainsi tout ce qui est valeurs positives, bien évidemment, tirées du patrimoine culturel de la localité. C’est une manifestation qui est fédérative de différentes cultures des populations du canton de Bambeye qui est une mosaïque des communautés nigériennes constituées de différentes ethnies.
« L’une des fonctions du festival Sarho, c’est la création des moments de retrouvailles, de synergie à travers les échanges entre les différentes cultures. C’est aussi une rencontre entre les chefs de villages et hameaux autour du chef de canton pour parler des préoccupations communautaires et envisager évidemment des solutions. C’est surtout un outil fondamental dans la consolidation de la cohésion et de la communion entre les populations qui composent le canton », explique le chef du Canton de Bambeye, Elh Hamza Assoumane Bayéré. Cette fonction, selon lui, le festival la remplit pleinement, dans la mesure où pendant les sept jours que durent les manifestations, les chefs des villages et hameaux créent, sous sa conduite, des échanges, des dialogues pour prévenir ou gérer d’éventuels conflits communautaires.
« Nous avons hérité de cette tradition, de cette culture, de cette valeur positive, pour notre cohésion. Nous pensons, dans notre âme, que l’expression et le langage libèrent et servent de thérapie pour juguler les ressentiments, les incompréhensions et établir la confiance et la fraternité entre les uns et les autres », poursuivi-t-il. Ainsi, à l’occasion du Sarho, les leaders traditionnels s’asseyent ensemble et discutent de manière directe et ouverte des préoccupations de l’heure. Et, au-delà de ces leaders, ce sont toutes les populations qui se retrouvent à cœur joie et s’organisent à participer ou du moins à assister aux festivités qui les rassemblent et unissent. Qui pour des courses hippiques, des courses de chameaux, d’autres pour le championnat cantonal de lutte traditionnelle, le « charo », d’autres pour les spectacles culturels variés. Bref, tout est au programme pour le plus grand rassemblement annuel de l’ensemble du canton.
« Même si nous sommes une diversité d’à peu près une dizaine d’ethnies, nous n’avons que deux principales professions, l’agriculture et l’élevage. Et cette fête de Sarho intervient chaque année au moment où les champs sont libérés en faveur du pâturage. Nous leur rappelons qu’ils dépendent les uns et les autres », mentionne le chef du canton.
La seconde fonction du festival Sarho qui est en réalité un outil de gouvernance locale prônant la cohésion sociale, est qu’il sert de tribune aux autorités locales pour passer des messages relatifs aux défis actuels. A cette 7ème édition, l’honorable Elh Hamza Assoumane Bayéré a accentué son discours solennel sur les questions de l’éducation et de la sécurité. « C’est un constat : les enfants de sexe masculin sont plus à même de suivre une scolarité normale, jusqu’au secondaire pour pouvoir aller au-delà dans les universités. Tandis que les filles bénéficient moins du soutien des parents et de la société en général. Rien que lors des inscriptions au primaire, c’est une réalité que nous constatons. Et plus on avance de moins en moins on a des filles. Ce sont des signes forts qui démontrent le déséquilibre, la discrimination qui persistent dans le traitement de nos enfants. Ce qui nous interpelle et nous amène à attirer une fois de plus l’attention de la population et des parents en particulier, sur la nécessité de réparer cette injustice », indique le chef de canton. D’autant plus que les femmes, c’est plus de la moitié de la population du canton, «Bambeye ne devrait pas tourner le dos à cette réalité et espérer la prospérité et le bien-être. Nous tenons à corriger ce déséquilibre », déclare le chef traditionnel.
La sécurité, est aussi un grand défi dans le canton, en particulier en ce qui concerne l’ouest et le nord du canton qui font face à des menaces constantes. Pour Elh Hamza Assoumane Bayéré la sécurité est une affaire sociale qui implique toutes les composantes de la société. « Ce n’est pas seulement les forces de défense et de sécurité (FDS) qui ont le devoir d’assurer la sécurité, la population aussi a le devoir moral de veiller autour d’elle-même, de dénoncer et de fournir les informations nécessaires par rapport à toute situation qui paraitrait suspecte », estime le chef de canton, dans l’entretien qu’il nous a accordé à la 2ème journée du Sarho.
La diversité culturelle, une fierté, une identité
Le jeu des wazams, la danse des « yan bori », la démonstration des « yan gardi », les prestations des artistes traditionnels du terroir (tendé, tamtam, tiguédima, molo), dans des impressionnants déguisements de carnaval, ont planté un décor très riche en couleur à l’ouverture du festival. « Ces éléments identitaires, nous ne saurions les perdre sans perdre les repères de notre société. Ils nous rappellent qui nous sommes et nous guident vers l’avenir. Nous sommes fiers de notre diversité. Nous sommes fiers des traditions de nos communautés. Cela fait partie de notre identité », insiste Elh Hamza Assoumane Bayéré.
Parmi les couches socio-traditionnelles du canton, dont la parade, à l’ouverture de cette 7ème édition du Sarho, témoigne aisément de la diversité et de la complémentarité des communautés de Bambeye, l’on note également les agriculteurs, les éleveurs et les artisans. En effet, l’agriculture et l’élevage représentent les principales activités de la majorité de la population. En plus le commerce représente une activité secondaire pour les populations de Bambeye qui le pratiquent au niveau des marchés locaux hebdomadaires très animés, à savoir Edir, Garanga Marké, Inkarkada, Mogheur, Guilleye et Danfan. Les commerçants de Bambeye s’approvisionnent en grande partie à partir des marchés des localités voisines comme Badaguichiri, Tahoua et Chanyassou. Des camions, des tricycles, des chariots, dont le trafic est assez visible sur l’axe Tahoua-Bambeye, desservent quotidiennement le canton.
S’agissant de l’artisanat qui est une activité à laquelle s’adonne un nombre important de personnes, il est pratiqué aussi bien par les femmes que par les hommes. Il y a la tannerie, la sculpture, le tissage, le tressage, la maroquinerie, le tricotage, la poterie etc.
Par Ismaël Chékaré, ONEP-Tahoua