Monsieur le Maire, il a été enregistré, il y a quelques jours, au niveau de la commune de Karma, une montée exceptionnelle des eaux menaçant ainsi d’inonder tous les villages et les aménagements hydro-agricoles. Comment avez vous géré cette situation qui a pris à un moment des allures d’une urgence humanitaire ?
Effectivement, au début de la première semaine du mois de septembre, nous étions réellement sur le qui-vive. En effet, presque tous les villages situés au bord du fleuve ainsi que dans les iles étaient sous la menace d’inondation du fait de la montée exceptionnelle des eaux du fleuve Niger. Informé de cette situation, j’ai personnellement effectué des visites dans les localités concernées, et j’ai pu constater que la menace était réelle notamment à Kondi Tondi, Koutoukalé, Kourté, et dans les villages insulaires où l’eau a déjà débordé de tous les côtés.
Ayant compris la portée de la menace d’inondation, nous avons demandé aux populations de quitter ces localités en leur indiquant des lieux d’accueil, notamment dans les écoles. C’est ainsi que, après quelques moments d’hésitation, les habitants des îles et des villages inondés ont accepté de quitter leurs habitations et ils ont été relogés dans les établissements scolaires de la commune de Karma.
D’autre part, les eaux menaçaient dangereusement les rizières au niveau des deux aménagements hydro-agricoles, à savoir ceux de Koutoukalé et de Karma, qui constituent le plus grand espoir pour les habitants de la commune de Karma, étant entendu que la culture du riz est leur principale source de revenu.
Aussi, nous nous sommes mis à pied d’œuvre, de concert avec le Préfet du département de Kolo, le Chef de Canton de Karma et les responsables des deux coopératives, en vue de voir dans quelles conditions nous pouvons sauver ce qui peut l’être. Il se trouve que les digues de protection étaient déjà au même niveau que le niveau du fleuve. Devant cette situation, nous avons mobilisé la population pour aider les exploitants des périmètres de Koutoukalé et de Karma à ériger des barrages de fortune par un travail de colmatage, sachant qu’il est pratiquement impossible de faire monter des engins sur les digues.
Comment comptez-vous assurer la prise en charge des sinistrés, sachant que ces derniers ont enregistrés des dégâts matériels du fait de l’inondation de leurs maisons ?
Nous comptons sur la solidarité nationale et internationale afin d’aider les personnes sinistrées à faire face à cette épreuve difficile. Nous pensons notamment à l’aide de l’Etat à travers le Ministère en charge de la gestion des catastrophes, des organismes humanitaires, les ONG nationales et internationales, ainsi que d’autres bonnes volontés intervenant dans le domaine humanitaire.
Pouvez-vous nous faire, Monsieur le Maire, une présentation de la commune rurale de Karma ?
La commune rurale de Karma, bien que relevant du département de Kollo (région de Tillabéri), est située pratiquement dans la bande périphérique de Niamey, la capitale, avec tout ce que cela peut comporter en termes de handicap, mais aussi d’avantage. La commune s’étend sur une superficie de 1 313 km2 et compte 60 villages administratifs, pour une population d’environ 100.000 habitants. Le Conseil communal est composé de 20 membres, dont les 17 conseillers élus et les trois membres de droit, à savoir deux députés et le Chef de canton.
Quelles sont les principales réalisations qu’on peut mettre à l’actif de la commune ?
S’agissant des réalisations, si on prend l’exemple du domaine de la santé, où la commune de Karma compte sept (7) Centres de Santé Intégré (CSI), la mairie a fait l’effort de doter, sur fonds propres, les quatre (4) CSI d’une ambulance chacune ainsi que des chauffeurs qui sont entièrement pris en charge par la mairie.
Toujours dans le domaine de la santé, lorsque nous avons pris fonction, en août 2017, nous avons trouvé des cases de santé déjà construites, mais sans le moindre équipement donc hors d’état de fonctionnement. Dès notre arrivée, nous nous sommes occupés de cette situation. C’est ainsi que nous avons fait l’effort d’équiper quatre (4) cases de santé, puis de les ouvrir aux patients.
Dans le domaine de l’Education, l’école centre de Karma, qui est la première école du village, a été dotée l’année dernière d’un mur de clôture sur fonds propres de la mairie. Lorsque nous avons pris fonction, nous avions trouvé beaucoup de salles de classe dans un état de délabrement total, et l’année dernière, toutes ces classes ont été réhabilitées.
Cependant, notre plus grand problème, qu’on n’a d’ailleurs pas pu résoudre, reste et demeure celui lié à notre fonds de fonctionnement en l’occurrence le paiement des salaires du personnel. La Mairie de Karma est certes une commune rurale, mais nous avons plus de 2 millions de FCFA de salaires a payé chaque mois. Et pour une commune, c’est vraiment un défi.
Sur le plan des lotissements, c’est avec mon arrivée que j’ai pu mettre de l’ordre en freinant un certain nombre de pratiques qui frisent le désordre. C’est d’ailleurs pourquoi les lotisseurs sont réticents à venir vers nous puisque j’ai jugé utile de mettre un terme à toute cette pagaille.
Sauf omission de ma part, il y a vraiment beaucoup de réalisations qu’on peut mettre à l’actif de la commune. Et je puis vous assurer que toutes ces activités sont exécutées sur fonds propres de la Mairie.
Quels sont les projets de développements et les ONG qui interviennent dans la commune ?
Dieu merci, il y a beaucoup de projets de développement qui interviennent dans la commune. Vous avez par exemple le Programme d’Actions Communautaire (PAC3) qui intervient dans le traitement des koris, au niveau du système de la Régénération Naturelle Assistée des terres. Le PAC3 appuie également les groupements féminins.
Il y a aussi le FICOD qui a construit une salle au profit des services techniques de la commune. Vous avez aussi le CSI de Goubey qui a été construit par le FICOD. Actuellement, nous sommes très avancés, on a, à notre possession un chèque signé du FICOD, pour le financement de l’électrification du siège de la Mairie, et cela sur décision propre du FICOD.
S’ajoutent aussi les appuis du PRODEC, de Qatar Charity et du CADEV. Pour ce qui est du PRODEC, il intervient notamment dans le renforcement des capacités, mais nous appuie aussi dans la réalisation du budget participatif auquel nous avons adhéré et cela jusqu’à un certain niveau. Quant à Qatar Charity, il intervient dans le domaine de l’hydraulique.
Enfin, il y a le CADEV qui intervient directement au profit d’un certain nombre de villages qui ont toujours des difficultés. En effet, il y a au moins deux ou trois villages administratifs qui n’ont pas de champs à cultiver, et le CADEV intervient de façon continuelle et ponctuelle pour leur donner de quoi survivre. Cependant, il faut retenir que le principal partenaire de la Mairie de Karma demeure l’Etat du Niger qui nous apporte ses appuis indispensables dans plusieurs secteurs.
Comment se présente actuellement la situation agricole, phytosanitaire et pastorale ?
Sur ce plan, on peut se réjouir du fait que tous les villages administratifs ont semé, même si, il y a eu un retard par rapport à l’année dernière. Il est vrai qu’à un moment, il ya eu un problème de pluviométrie qui a inquiété tout le monde, mais ces derniers moments, la situation s’est améliorée et les pluies sont fréquentes.
Néanmoins, une visite au niveau de certaines localités qui constituaient le grenier de la commune m’a permis de constater qu’il ya de réelles inquiétudes, puisque les gens ne peuvent pas semer très tardivement et espérer tirer quelque chose de très réconfortant en termes de récoltes.
Sur le plan phytosanitaire, sans doute à cause des moments de sécheresse enregistrés, des chenilles ont attaqué les cultures à la racine, et c’est très dangereux. Du point de vue couverture de pâturage, les effets de la sécheresse ont été ressentis sur la couverture herbacée. Mais depuis une semaine, on peut dire la situation a plutôt tendance à se normaliser, avec quand même une certaine insuffisance.
Concernant le lotissement des terres, l’on constate que presque tous les champs aux alentours de Niamey jusqu’à Karma sont en train d’être vendus et lotis. N’est-ce pas là une menace pour la commune et pour la population ?
Avant d’arriver au lotissement, moi j’aimerais surtout qu’on aborde la question relative à la vente des champs, parce que moi je suis entièrement contre cette pratique. Vous savez, depuis que je suis à la tête de la Mairie de Karma, j’ai constaté que les lotisseurs privés, peut-être avec la complicité de certains chefs de villages, font des bonnes affaires en abusant de la naïveté des propriétaires coutumiers. Ainsi, on trouve des cas où des champs dont la valeur avoisine les 50 millions de FCFA sont bradés à 15 millions de FCFA. Sur cette somme, l’acheteur verse environ deux (2) millions de FCFA et pour le reste, on leur dit que le paiement interviendra après travaux de lotissement. Mais là aussi, il y a problème parce que quand on donne à quelqu’un une somme qu’il ne pourra jamais rembourser même en cas de non-respect des engagements pris, on se dit que ces propriétaires terriens sont piégés.
Alors, quelles sont les mesures que vous avez prises pour contrecarrer ces dérives ?
Devant cette réalité qui n’arrange pas les propriétaires des champs, nous avons jugé utile de contacter les chefs des villages pour leur expliquer que dans le processus de la vente des champs, il faudrait nécessairement passer par le chef de canton pour avoir la détention. C’est vrai que dans l’esprit du code rural, il est dit que c’est au président du COFO et le Secrétaire Général qui signent et que c’est la mairie qui établit l’acte de la détention, mais ça, c’est dans le cas normal des choses. Maintenant, il se passe qu’à Karma et à ses alentours, des gens vendent souvent jusqu’à 6000 hectares sur la base de la signature du chef de village et de deux témoins.
Franchement, où est-ce qu’un chef de village peut avoir sous son emprise jusqu’à 6000 hectares ? C’est au regard de cette situation que nous avons estimé utile de prendre des dispositions en impliquant le Chef de canton. Et aujourd’hui, même pour la vente de deux(2) hectares, il. faudra absolument passer par le chef de canton pour qu’il mette son visa.
Il s’agit par cette mesure de sécuriser le bien des gens. En effet, en cas de soupçon le Chef de canton dépêche une équipe sur le terrain pour faire le constat et vérifier si le terrain appartient réellement à celui qui veut le vendre. Et si il n’y a pas d’attestation avec le visa du chef de canton, le présumé propriétaire ne peut pas être détenteur d’une attestation coutumière lui permettant d’avoir ce papier qu’il va mettre dans le dossier de lotissement ?
Autre problème, aujourd’hui, quand vous prenez les plans de lotissement de la plupart des lotisseurs privés, vous constaterez que ce qu’il y a sur ces plans est totalement différent de la réalité sur le terrain. De même, il y a des lotisseurs qui ont un champ par-ci et un autre par-là de façon disparate. Il y en a même qui détiennent l’arrêté de l’autorisation de lotissement sans même être possesseur du terrain.
Donc pour revenir à votre question, il est vrai qu’on est en face d’un véritable désordre, dont le seul responsable est l’Etat du simple fait des manquements observés au niveau du suivi du processus en vue du respect des conditions imposées par la loi. D’autre part, en elle-même, la création des lotisseurs privés constitue un sérieux problème du fait qu’elle a eu pour conséquence de créer un monstre incontrôlable.
Aujourd’hui, les lotisseurs privés sont extrêmement puissants que personne n’arrive à mettre au pas. Et lorsque l’Etat a constaté la gravité des problèmes qui entourent les affaires des lotissements privés, les autorités ont pris un décret pour interdire les lotissements privés. Mais est-ce que ce décret a permis réellement d’arrêter la pratique des lotissements privés ?
Finalement, quelles sont les retombées de ces spéculations sur les terres pour la Mairie de Karma ?
Il se trouve hélas, que ceux qui ignorent ces réalités continuent de penser que ce sont les Mairies qui tirent de gros bénéfices des lotissements. Ce n’est pas le cas ! Il est vrai qu’il y a beaucoup de lotissements dans la zone de Karma, mais tous sont des lotissements privés. Vous mesurez alors ce que cela comporte comme manque à gagner pour la mairie qui, en fin de compte, ne se fait que des frais de signature des actes de cessions et des places publiques réservées à la collectivité.
Réalisée par Assane Soumana(onep) et Mahamane Hadi Mahamane(onep)