La culture est un des moyens efficaces pour promouvoir la paix et la cohésion sociale. C’est ce que Karimou Hassane a compris. Il a consacré toute sa vie à partager la joie dans son entourage à travers le ‘’bitti harey’’ un genre musical typique du Zarmaganda.
Karimou Hassane est membre d’un groupe de la région de Tillabéri composé de 24 artistes professionnels. Ils contribuent à donner le sourire aux populations même pendant les moments les plus difficiles.
Ce samedi 21 janvier 2023, lors de la fête de la réconciliation entre les communautés de Banibangou, Hassane et deux de ses compagnons ont retenu l’attention du public. Avec leurs petits tamtams accrochés aux épaules, le trio, considéré comme les génies du bitti, ont émerveillé l’assistance. Leur façon de jouer ne laisse personne indifférent.
Selon Karimou Hassane, le ‘’Taka’’ ou ce mini tamtam avec une corde permettant de l’accrocher à l’épaule, est l’instrument de base pour jouer du bitti. Cet instrument existe depuis la nuit des temps, mais il a connu des évolutions au fil des années. «Nous utilisons cet instrument après les récoltes, lorsque les populations se retrouvent autour des bitti pour manifester leur joie. Les demoiselles et les jeunes du village vont se réunir pour danser et partager des bons moments sous le rythme de cet instrument», précise l’artiste.
A l’âge de 64 ans ce maitre de bitti continue encore à jouer, gardant son secret et ses mystères de mobilisation des populations. «Je suis un artiste professionnel de bitti. A la base, je suis un cultivateur. Après les récoltes on nous sollicite pour des prestations un peu partout. Dès que la saison est bonne, on va pour jouer du bitti de village en village. Les ressortissants du Zarmaganda en savent quelque chose. Aujourd’hui avec l’insécurité toutes les activités culturelles sont aux arrêts, car il y a des moments où on n’ose même pas sortir. Que Dieu descende la paix sur notre pays et particulièrement dans notre zone», regrette Karimou Hassane.
Il a beaucoup de morceaux et de créations. Mais ses morceaux de prédilection qu’il utilise pour ragaillardir le public et donner plus d’émotion, c’est le «zountou» et «haddé». Ces deux morceaux ont beaucoup de réputation. «Les rythmes que les femmes aiment beaucoup c’est zountou et haddé. Aucune femme de notre localité en parfaite santé ne peut résister au rythme du bitti. Si elles entendent le rythme de cet instrument, elles ne peuvent pas s’empêcher de danser», témoigne Karimou Hassane.
Malgré les difficultés liées à l’insécurité et l’influence de la religion, il y a quelques artistes qui tiennent le coup. Cela a été renforcé par l’appui d’un projet qui avait soutenu en 2018 tous les « bittistes » du Zarmaganda afin qu’ils mettent en place une troupe musicale. Ils sont actuellement 24 éléments évoluant difficilement dans ce label du fait de la rareté des activités culturelles.
«Tout le monde souhaite nous voir, nous écouter. Le public nous admire. Je maîtrise beaucoup cet instrument ; j’ai des techniques artistiques pour attirer le public. En jouant, je peux en même temps faire des roulades, marcher et ramper comme un serpent pour créer du spectacle. Les gens admirent beaucoup ce style. J’ai beaucoup de tactiques ; c’est un secret que je garde pour moi-même. Et cela plait au public», précise un des trois membres de la troupe.
L’art et la culture en général et le Bitti en particulier sont très importants dans le contexte actuel du Zarmaganda pour promouvoir la paix et le vivre ensemble. Quand Karimou Hassane joue c’est un climat de fête qui s’installe. «À travers ce groupe nous faisons des prestations sur invitation notamment à Tillabéri, Abala et Niamey. Il y a aussi des ressortissants du Zarmaganda qui nous mobilisent pour des circonstances à l’image de l’opérateur économique l’honorable Moussa «Qualité». Il fait partie de ceux qui s’occupent des artistes. Chaque fois qu’il séjourne au village, il nous invite pour venir jouer. Cela permet de promouvoir cet art. Le Bitti joue un rôle très important dans notre communauté. C’est un instrument qui crée la confiance entre les communautés, car ça favorise les visites. Quand on joue le bitti, les gens viennent de partout et si on se fréquente il y a forcément des liens de solidarité, de fraternité et de convivialité qui se créent. Mais si les gens sont séparés les uns des autres, je pense que ce n’est pas du tout bon. Avec le bitti toutes les communautés vont un moment ensemble», explique Karimou Hassane.
Les artistes de cette spécialité musicale du Zarmaganda gagnent peu de ressources dans ce métier. «Certes les invitations sont rares, mais à chaque sortie je rentre à la maison avec au moins deux sacs de riz, de maïs et avec un peu d’argent. C’est à travers cet art que je prends ma famille en charge et je suis bien. Je suis marié à une seule épouse», raconte Karimou Hassane.
Pour Moussa Hamidou, un initié de bitti, la religion fait partie des facteurs qui ont donné un coup dur à la culture dans le Zarmaganda. «Aujourd’hui à cause de la religion, il y a beaucoup de gens qui estiment que ce que nous faisons n’est pas bien. Ces dernières années, nous sommes sollicités seulement pendant les moments de réjouissances, les jours de fête, les mariages, etc. Mais nous avons utilisé tous les moyens dont nous disposons pour sauvegarder cet art. Le bitti, c’est un métier qui peut permettre de vivre convenablement», rassure l’artiste.
Mme Mariama Mamoudou est l’une des femmes qui ont envahi la scène pendant que les artistes jouaient le bitti. Elle est très connue dans ce genre de rencontres. L’harmonie entre le rythme et les pas de danse en dit beaucoup sur le rapport entre les populations et ce genre musical. Les morceaux les plus populaires revendiqués par le public lors des prestations de ce samedi 21 janvier dernier à Banibangou, c’est le rythme dansant ou la danse de groupe des filles ; le Bitti mixte des hommes et femmes ; le rythme du travail collectif ; ou “bogou”; la danse des guerrier, etc.
Par Abdoul-Aziz Ibrahim(onep), Envoyé spécial