A l’occasion du baptême de l’Université de Tahoua qui porte désormais son nom, le Pr Djibo Hamani a animé une conférence sur l’Education et l’Unité Nationale, en décembre dernier. Dans son exposé de près d’une heure d’horloge, l’historien, Enseignant-chercheur à la retraite, estime que les problèmes sont si importants, si lourds, si pressants, et si urgents au Niger qu’il faudrait plutôt un colloque qui réunira toutes les Universités du pays, afin de disséquer la situation de l’enseignement supérieur et de l’éducation de manière générale. L’historien fustige en effet un système dont les programmes au goût des civilisations étrangères ne répondent guère aux aspirations du pays.
La rupture avec les valeurs fondamentales dans notre société aurait commencé avec la disparition de «l’école traditionnelle», l’enseignement de nos valeurs. «Les familles étaient fortes. L’éducation familiale était forte. Les enfants naissent et grandissent avec des valeurs sociales dignes de nos réalités. Et ce sont ces valeurs qui ont sauvé les premières générations des intellectuels. Aujourd’hui, plus les valeurs familiales s’abaissent plus l’école devient impossible», assène Pr Djibo Hamani. Il explique qu’en effet, la rue, la télévision, l’internet impactent plus, de nos jours, dans les attitudes et comportements des enfants. Auteur de «Changer de cap pour renaitre, un impératif», Pr Djibo Hamani invite effectivement à revenir aux valeurs pour une véritable renaissance.
«Il faut que nous arrêtions définitivement de copier les autres. Nous sommes des intellectuels, formés exactement comme ceux d’Amérique ou d’Europe. Nous n’avons rien à envier aux allemands, aux français, etc. Par conséquent, nous sommes capables d’établir notre propre programme d’enseignement qui tient compte d’abord de la situation de notre pays», a-t-il lancé. Pr Djibo Hamani demande à vouloir à priori connaitre et s’approprier l’histoire du pays ainsi que ses valeurs, comprendre ses véritables problèmes, cerner ses besoins, afin d’établir des programmes qui soient conformes aux aspirations, pour que le Niger avance sur ses racines, ses propres racines. «Nous n’avons pas besoin d’imiter. Une fois que nous aurions pris conscience des vrais problèmes de notre pays, nous pouvons établir nos programmes. Pédagogiquement nous pouvons nous inspirer des pays qui ont réussi alors qu’ils étaient aussi pauvres que nous», estime l’historien.
En principe, faut-il le rappeler, l’Université sort des diplômés prêts à être employés dans les fonctions qui existent déjà et celles qui sont en voie de création. «Malheureusement, aujourd’hui nous avons des diplômés qui font 10 ans dans le chômage», déplore l’historien. Ancien recteur de l’Université islamique de Say, il affirme avoir fait, il y a longtemps la proposition d’un colloque étendu sur la question. Bien qu’il soit le fruit de l’école dite coloniale, Pr Djibo Hamani n’est pas de ceux qui croient au salut de celle-ci. «Les français nous ont laissé avec un taux de scolarisation de 3%. C’est un grand service», reconnait l’homme. Cependant il révèle que «l’école moderne» a trop fait fi de notre histoire et des sagesses qu’elle comporte qui nous enseignaient le savoir être et le vivre ensemble.
L’Islam est entré au Niger 32 ans après la mort du prophète Mohamed (SAW), par le biais de Oqba ibn Nafi, en 666, rappelle l’historien. Dès lors, les valeurs traditionnelles préislamiques acceptées par l’Islam et les valeurs islamiques ont façonné notre peuple. «Ce qui ne nous empêche pas de nous adapter à ce qui se passe avec toute cette évolution fulgurante de la technologie notamment, et profiter des autres en ce qui nous avantage réellement sans compromettre nos fondamentaux», estime le conférencier. «Si nous ne cessons pas d’imiter, nous n’allons jamais nous réveiller», prévient Pr Djibo Hamani pour qui le champ de bataille du gouvernement, des enseignants et de leur syndicat, du syndicat des étudiants, est le contenu de l’enseignement. Selon lui, «le nombre des classes, les tables bancs, les fournitures, les salaires, les bourses ne concourent qu’à la réalisation de l’essentiel qui est l’acquisition des connaissances».
Présent à la conférence, Pr Ado Mahaman de l’Université de Tahoua a pris la parole pour soutenir leur enseignant, Pr Djibo Hamani. «Ce sont des réalités du Niger qu’on a tendance à oublier par paresse intellectuelle», a-t-il dit. Par rapport à la question de l’adaptation du système de l’éducation, le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, PHD Mamoudou Djibo a indiqué que, en ce qui concerne l’enseignement supérieur, son département ministériel a prévu de procéder aux états généraux du système universitaire, avec l’ensemble des acteurs et partenaires afin de dégager des perspectives. «En mars 2023, et je pense que nous serons à mesure de le faire, puisque, pratiquement tous les préalables sont acquis en termes de préparation», a-t-il annoncé.
La complémentarité entre les communautés, gage de l’Unité Nationale
L’Unité Nationale est une question primordiale. L’historien Djibo Hamani se souvient en avoir déjà débattu à deux reprises, en conférence également, à Arlit et à Bonkoukou, devant des membres d’anciens mouvements de rébellion. «Une rébellion pour créer un Etat ethnique au Niger est d’avance vouée à l’échec», clamait alors l’historien, spécialiste de l’histoire du Soudan central, devenu République du Niger. Pr Djibo Hamani dit avoir été critiqué pour cette assertion. L’historien explique qu’en effet, dans le temps nos communautés se sont beaucoup déplacées pour des raisons diverses, de telle sorte qu’aujourd’hui chacun a des parents dans d’autres régions du pays et ils sont chez eux, depuis des siècles et des siècles. «12 tribus Touaregs sont venus en 1720 s’installer dans l’Ader. Et à Agadez, certains des plus vieux quartiers s’appellent fourgouberi, Tendeberi, Kongoutarey (…).Aussi, l’histoire du Songhaï est étroitement liée à celle de l’Aïr, des pays haoussas et du Bornou. Le Niger entier se retrouve dans l’histoire de l’Ayar. Nous vivons depuis la nuit des temps dans une complémentarité», souligne le conférencier qui parle d’«une unité structurelle» dont il incombe à la responsabilité des dirigeants de sauvegarder.
Les régions du sud, où il pleut suffisamment, produisent des grains et des étoffes pour le Centre et le Nord, les gens du Nord produisaient du sel, du natron, des dattes pour le Centre et le Sud. Le Centre assurait le contact, le transport au moyen des chameaux dans les échanges. «Chacun avait besoin de chacun. Cette complémentarité a été dissoute par la colonisation. Les dirigeants qui sont venus aux premières heures des indépendances ont suivi le courant colonial. Ce dernier a consisté notamment à banaliser notre passé glorieux, harmonieux, et surtout fort des liens étroits qui nous lient les uns des autres. Les conditions permettaient une implication, une complémentarité entre différentes ethnies, différentes régions. Les gens se sont mélangés au Niger, à tel point qu’il est impossible de reconstituer entièrement une communauté, à moins de découper certaines personnes en deux ou plus», affirme l’historien.
La mission première pour sauvegarder cette unité, c’est de revaloriser la complémentarité qui continue d’ailleurs. Par rapport aux facteurs unificateurs historiques évoqués par son Professeur d’histoire du Soudan Central et Oriental notamment, telles qu’il lui les a appris, PHD Mamoudou Djibo ajoute que du point de vue géographique, de N’gourti à Ayerou, il n’existe aucun obstacle naturel, susceptible d’entraver ou de gêner la circulation, les échanges des biens et des idées entres les populations. «C’est un espace ouvert que nous avons hérité. Aussi il n’y a aucune communauté qui dans son histoire n’a pas interagi avec d’autres. Qu’on retrouve des quartiers anciens de noms zarma dans l’Aïr, c’est un fait tout à fait impressionnant qui nous rappelle une cohabitation entre cousins. Et c’est pareil partout au Niger, il n’y a pas une ethnie qui n’a pas de parent à plaisanter au Niger», a-t-il soutenu.
Ismaël Chékaré, ONEP-Tahoua