
Hamma Hamadou
Imaginez un Concours Lépine où les inventions ne soigneraient plus, mais tueraient. Où le génie humain, au lieu de guérir le cancer ou de capter l’énergie du soleil, perfectionnerait des drones tueurs ou des missiles hypersoniques. Bienvenue dans le grand marché de la peur : en 2024, le monde a dépensé 2 500 milliards de dollars américains pour s’armer… contre lui-même.
En 1901, le premier Concours Lépine récompensait une machine à laver révolutionnaire. Aujourd’hui, les nations rivalisent pour un prix macabre : celui de l’arme la plus destructrice. La bombe atomique, jadis reine de la dissuasion, a cédé la place à des arsenaux high-tech : drones autonomes, cyberarmes, chars furtifs. Une innovation effrénée, mais pour quoi faire ? Protéger des frontières ? Ou conquérir des terres, des minerais, et un illusoire sentiment de toute-puissance ?
Savez-vous qu’un drone vaut 100 puits ? Qu’un missile Hypersonique Kinjal coûte 10 millions de dollars – de quoi scolariser 20 000 enfants en Afghanistan pendant un an ? Que le prix d’un char Leclerc français (13 millions d’euros) vaut 520 salles de classe équipées chez nous ? Que les dépenses en armes de la première puissance militaire du Moyen-Orient représentent 8 fois son budget éducation, avec des armes importées des États-Unis et d’Europe pour plus de 90 %, sans transfert de savoir-faire ? Pendant ce temps, au Sahel, des enfants meurent de soif devant des puits asséchés… tandis que des drones survolent leur hameau. La course à l’armement est-elle vraiment une « assurance-vie » ou un pacte suicidaire ?
En 2023, les aides militaires à l’Ukraine ont dépassé 120 milliards de dollars, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Avec cette somme, on aurait pu construire 1 200 hôpitaux modernes 200 lits avec équipements high-tech (estimés à 100 millions de dollars US/pièce, selon une estimation de la Banque mondiale) – soit de quoi soigner des millions de patients du Soudan à Gaza où on bombarde des villes, puis on envoie des aides humanitaires avec la même main.
Pendant ce temps, Israël consacre 20 % de son budget national à l’armée (24 milliards de dollars US en 2023), contre seulement 11 % à l’éducation. Quant au Qatar, champion mondial des dépenses militaires par habitant, il investit 15 milliards de dollars par an dans son armement – deux fois plus que dans ses écoles et universités. Comment expliquer alors à un enfant d’Agadez que le monde trouve 15 milliards pour des F-35 en un clin d’œil, mais pas pour reconstruire la Route de l’Uranium qui fournit de l’énergie à tant d’humains dans le monde ? Que dit une civilisation qui dépense plus pour tuer que pour guérir ?
Derrière chaque guerre moderne, une réalité crève les yeux : les conflits éclatent rarement sur les terres stériles. Du pétrole du Kurdistan au coltan du Kivu, en passant par notre uranium, les batailles se jouent toujours sur des territoires riches en ressources rares mais pauvres en arsenaux. Une équation tragique : ces États, souvent non producteurs d’armes létales, deviennent le théâtre de guerres par procuration, alimentées par des puissances extérieures. La Libye, déchirée depuis 2011, illustre ce schéma : son pétrole et son eau souterraine (la plus vaste d’Afrique) attisent les convoitises, tandis que des milices s’arment avec des fusils, des drones ou des mercenaires européens. Le résultat ? Une population prise en étau entre les appétits géopolitiques et les trafics d’armes. Comme le résumait un chef touareg malien : « On nous vole notre or, mais on nous laisse les kalachnikovs et les cadavres. »
En République Démocratique du Congo, le seul cobalt, indispensable aux smartphones et voitures électriques dans le monde, a produit, en 2023, une valeur de plus 8 milliards de dollars, soit 40 fois le budget de la santé du pays mais alimente plutôt une guerre oubliée. Des milices armées de machettes et de Kalachnikovs (fabriquées en Europe) terrorisent les villages, sous l’œil indifférent de l’ONU. Ironie tragique : ce métal « vert » qui devait sauver la planète finance des massacres. Et si nos smartphones et voitures électriques, symboles de progrès, n’étaient que les nouveaux visages d’une vieille exploitation ? Le néocolonialisme a-t-il juste troqué les casques coloniaux contre des contrats miniers ?
Pourtant, des lueurs d’espoir émergent. Au Sénégal, la jeune militante Aïssatou Diop a mobilisé 10 000 paysans pour reboiser 200 hectares – une « armée verte » face à la désertification. « Nos armes, dit-elle, sont des semences et des diplômes. » Son combat rappelle celui du Costa Rica, qui a aboli son armée en 1949 pour investir 30 % de son budget dans les écoles et les forêts. Résultat ? Un des pays les plus heureux au monde avec un taux d’alphabétisation de 98 %.
Et si l’Afrique ouvrait la voie ? Imaginez une Union africaine exigeant un désarmement solidaire : « Nous renonçons aux chars et aux canons si l’Occident recycle ses budgets militaires en usines agricoles et solaires pour le Sahel. » Imaginez un Traité international classant l’eau et les terres fertiles comme « biens communs inaliénables ». Utopie ? Non : nécessité. Car la vraie sécurité, ce n’est pas un missile, mais un enfant qui étudie, un fleuve qui coule, un peuple qui choisit. La question n’est pas un « défaut de finance », mais un choix politique et une absence de confiance dans un monde instable !
En 1945, Albert EINSTEIN avertissait : « Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale, mais la quatrième se fera avec des pierres et des bâtons. »
Grands leaders de la planète, n’oubliez donc pas que notre monde est un prototype. En cas de secousse, prière de ne pas agiter les superpuissances, éviter les raccourcis historiques, et surtout, ne pas confondre « neutralité » avec « sieste stratégique ».
Et si donc, pour une fois, l’humanité prouvait son intelligence en désarmant ?
Hamma HAMADOU