Cinq ans après l’attaque terroriste de grande envergure qui a frappé la ville de Diffa en février 2015, la capitale du Manga s’est vue déserter par une importante partie de sa population. L’exode des populations qui a suivi cette attaque a eu pour, entre autres conséquences, le ralentissement des activités socioéconomiques. Jadis, ville dynamique économiquement parlant, Diffa a dû se contenter du service minimum sans que les activités économiques n’aient jamais cessé. Mais depuis plusieurs mois voire deux à trois ans, avec les mesures sécuritaires prises par les autorités pour faire cesser les attaques et autres attentats, l’on constate une nette amélioration de la situation sécuritaire permettant à la ville de retrouver son dynamisme d’antan. N’eut été la récente fermeture de la frontière du grand voisin, le Nigeria et les attaques sporadiques contre les populations civiles dans les zones de haute production, Diffa aurait déjà oublié ce douloureux épisode.
Aujourd’hui, le marché central de Diffa est dans toute sa splendeur, les rues, les auto-gares, les marchés de poivron, de poisson ou de bétail sont de plus en plus animés. La vie économique reprend progressivement dans la commune urbaine au point où une personne n’ayant pas connu Diffa avant serait tentée de croire que cette ville n’a jamais connu une période de turbulence. Et pour cause, le trafic routier et le mouvement des populations est revenu à la normale. Seules les motos, interdites depuis l’instauration de l’état d’urgence au plus fort moment de la crise, ne sont pas encore autorisées à circuler dans la ville comme dans presque toute la région d’ailleurs. Toutefois, ce vide est comblé par les tricycles qui sont désormais les moyens de transports intra urbain et péri-urbain des vaillantes populations.
Au marché central de la ville, tout ou presque est rentré dans l’ordre et l’ambiance bat quotidiennement et régulièrement son plein chaque jour pour atteindre le pic lundi, jour du marché hebdomadaire. En ce jour du lundi 16 mars 2020, le marché à bétail affichait complet avec toute sorte d’animaux allant des gros aux petits ruminants et la volaille, les auto-gares grouillaient du monde et les véhicules de tout calibre faisaient leur navette. Un peu plus loin un parc de charrettes occupait le bord de la Komadougou Yobé qu’on se croirait dans un autre marché à bétail au vu des nombreux animaux qui y sont attachés.
A 11 h du matin, la partie du marché au poisson est si pleine qu’elle semblait régurgiter du monde. Pareil au marché de poivron qui, malgré la situation sécuritaire délétère dans la principale zone de production de cette denrée très prisée appelée l’Or Rouge du Manga, a fait le plein. Des camions moyens et gros porteurs allaient et revenaient qui pour décharger, qui pour charger leurs cargaisons, vendeurs et acheteurs s’affairant dans leur marchandage. Pendant ce temps à l’entrée nord de l’auto-gare des restauratrices ont pris quartier le long d’une allée quelque peu poussiéreuse et commençaient à enregistrer leurs premiers clients. On y servait le légendaire Bourabousko aux sauces d’oseille (Karassou), de gombo ou de baobab agrémentées au poisson fumé venu du Lac Tchad. Chose rare dans le Manga, on y voyait même quelques mendiants tout en face, suivant le moindre mouvement des clients et attendant presqu’impatiemment le reste pour calmer leur faim. Un homme d’une quarantaine d’année, outrecuidant n’a même pas attendu que soit libéré un plat pour s’en accaparer. Un peu gêné par la scène qui venait de se produire, notre guide explique qu’il s’agit d’un phénomène nouveau dû à la présence des réfugiés dans la ville Par le passé, il était rare de croiser un mendiant dans la ville de Diffa ajoute-t-il. En ce jour de marché, la circulation devenait plus difficile aux environs de midi. Les bousculades entre piétons sont fréquentes, les vendeurs d’eau et vendeurs d’autres articles à la criée obstruant les voies sous les klaxons stridents des conducteurs de tricycles créant un tohu-bohu indescriptible. Mais il faut tout de même noter que les sujets de l’honorable Kazelma Mamadou Abba Kiari, chef de canton de la Komadougou, gardent toujours le calme olympien qui les caractérise.
Pour comprendre l’évolution de la situation économique de la ville, quoi de mieux que d’aller au contact des opérateurs.
Ary Allassori, président du syndicat de commerçants de la commune de Diffa
« En 2015 avec l’attaque terroriste dans la région, l’activité commerciale a pris un grand coup. Les activités économiques ont diminué de l’ordre de 90% avec le départ massif des opérateurs de la ville. Mais en dépit de tout cela Diffa n’a jamais cessé de vivre, et les activités commerciales ont toujours fonctionné même s’il faut reconnaitre que ce n’est pas comme avant. Rien, je dis bien rien n’a manqué, qu’il s’agisse des céréales, des légumes, d’articles divers. Nos commerçants ont été vraiment fauchés, certains se sont subitement endettés mais ils ont tenu bon. La situation sécuritaire a non seulement provoqué l’exode des opérateurs économiques, mais elle a aussi freiné les échanges entre les différentes localités de la région. Les terroristes interceptaient les camions et les véhicules pour les dévaliser ou emportaient les véhicules s’ils sont en bon état. En plus la voie unique qui nous lie au Nigeria est devenue difficilement praticable à cause de la fermeture de la frontière, de même que l’axe du Tchad. Ce qui veut dire qu’on avait que la route de Zinder (RN1) qui est véritablement fonctionnelle et utilisée pour envoyer ou recevoir des marchandises. L’approvisionnement à partir des autres axes est très difficile, mais les commerçants se débrouillent comme ils peuvent. On a beaucoup souffert. Hélas on n’a pas encore fini de souffrir. Mais nous gardons espoir que la situation va s’améliorer et que Diffa retrouvera sa place dans l’économie nigérienne. Je demande à mes amis commerçants de ne pas se décourager jusqu’à ce que la paix revienne définitivement et que les activités commerciales reprennent normalement ».
Moussa Goni Gagara, association des vendeurs du poivron
La commercialisation du poivron, cette denrée que d’aucuns qualifient d’or rouge du Manga, connait depuis quelques années un ralentissement avec la crise sécuritaire qui a secoué Diffa et qui secoue encore certaines localités, notamment celles bordant le Lac Tchad réputées pour la production du poivron. Les producteurs et les commerçants ont hélas vu leurs affaires drastiquement baisser durant plusieurs années qui ont suivi l’attaque de 2015. Les producteurs sont régulièrement victimes d’attaques terroristes, toute chose qui a obligé certains à abandonner leurs villages et leurs seules activités économiques et de subsistance pour rentrer à Diffa ou ailleurs. Beaucoup ont été tués froidement, d’autres sont pris dans le piège lors des combats avec les forces régulières, selon Moussa Goni Gagara, délégué de l’association des vendeurs de poivron de Diffa que nous avons rencontré dans le marché de poivron de ladite ville. La production comme la commercialisation connaissent un véritable défi au cours de ces dernières années. Et pour cause, le trajet Diffa-Bosso est encore très dangereux, dit-il, tout en reconnaissant que la situation s’améliore peu à peu, du fait de la réduction d’attaques grâce aux actions des FDS qui infligent de lourdes défaites aux ennemis. Mais ce qui est plus grave, selon lui c’est surtout les attaques isolées contre les paisibles citoyens dans leurs champs ou sur leurs chemins par les terroristes circulant en petits nombres et qui échappent parfois aux patrouilles.
Malgré la crise, les acteurs de la filière poivron n’entendent pas baisser les bras et se battent avec courage comme ils peuvent pour poursuivre leurs activités et assurer l’approvisionnement. Cette année, la filière du poivron fait face à un double défi; le défi sécuritaire qui perdure depuis 5 ans et celui lié à l’inondation qui s’est produite lors de la dernière saison des pluies ayant obligé certains producteurs de poivron à se rabattre sur d’autres spéculations. La production a baissé de l’ordre de 80% par rapport aux années d’avant la crise estiment les commerçants. Outre la baisse de production et son effet induit de baisse de l’offre, les vendeurs de poivron déplorent également un ralentissement des activités. Les sacs sont vendus autour de 24000 Francs CFA avec pour principaux débouchés le marché national et le Nigeria. Mais les échanges avec le Nigeria sont fortement réduits à cause de l’insécurité et de la fermeture de la frontière en août 2019. Néanmoins, loin de céder à la fatalité, les acteurs de la filière s’accrochent à leur gagne-pain et espèrent un rapide retour à la normale.
Abatcha Zaouna, président communal de l’association des vendeurs de céréales
Assis sous un hangar dans le marché de céréales de Diffa avec certains de ses collègues, M Abatcha Zaouna scrutait encore l’horizon. Il n’avait pas eu la visite d’un seul client mais son espoir était intact. Depuis plusieurs décennies, la vente des céréales est son métier. Il explique que le commerce en général et la vente des céréales à Diffa n’est plus comme il était. « C’est mon travail, je le fais bon-an mal an aujourd’hui. L’insécurité a beaucoup freiné nos activités, les affaires ne marchent pas bien. Nous nous approvisionnons en marchandises à partir de certaines zones agricoles de notre pays et du Nigeria. Le maïs nous vient essentiellement du Bénin, du Ghana, puisqu’à cause de l’insécurité, la production de cette denrée est arrêtée ici à Diffa. Cela explique la hausse sensible des prix. Dieu merci, ce dernier temps, la situation s’améliore et nous souhaitons que l’Etat nous apporte un appui en termes d’approvisionnement notamment pour le mil et le maïs étant donné que nous importons de très loin et que le coût de transport est très élevé. ».
Hamza Chaibou, chef des bouchers de Diffa
La vente de viande n’est pas au beau fixe, affirme Hamza Chaibou
« Actuellement la vente de la viande est au ralenti contrairement aux années passées, avant 2015. Vous pouvez regarder autour de nous, il y a combien de clients ? Personne ! Et pourtant c’est normalement l’heure à laquelle nous recevions le plus grand nombre de clients. Avant cette date-là, on égorgeait dix à douze voire 15 vaches et 300 à 400 petits ruminants. Aujourd’hui nous n’en sommes qu’à trois à quatre vaches et même les petits ruminants, on est à peine à la moitié. L’insécurité qui sévit dans les localités environnantes a poussé les éleveurs à quitter leurs zones. Ce qui cause la rareté d’animaux et donc la hausse des prix des animaux. Si nous avons une seule doléance à soumettre au gouvernement, c’’est de lui demander de nous aider à avoir à nouveau le contrat d’approvisionnement en viande avec les sociétés pétrolières opérant dans la région. Bien sûr nous demandons aux gouvernants de renforcer la sécurité et la paix qui sont en train de revenir dans la région»
Zabeirou Moussa, envoyé spécial(onep)