Mon colonel, notre pays regorge d’important potentiel en matière de cuvettes oasiennes, peut-on savoir un plus sur la localisation de ces écosystèmes ?
La cuvette oasienne peut se définir comme une unité géomorphologique spécifique, dépressionnaire, inter dunaire, de taille réduite (quelques aires à quelques hectares), à sols argileux dans la plupart des cas. Au Niger, les cuvettes sont localisées au Nord et au Sud Est du pays et font partie des principales zones humides du Sahel qui abritent des activités économiques des populations environnantes. Eu égard à leur importance, le gouvernement a inscrit la protection des cuvettes oasiennes parmi ses priorités dans le domaine de développement rural. C’est pourquoi à l’occasion de la Fête Nationale de l’Arbre (FNA) édition 2023, il a choisi comme thème : « Sauvegarde des cuvettes oasiennes : un impératif ». Ce thème nous rappelle qu’au regard de multiples biens et services générés par les écosystèmes oasiens au profit des communautés locales, leur restauration et leur préservation ne constituent point une option mais bien plus, disons-le sans détour et sans voile, une obligation. En effet, l’ampleur de la dégradation de ces écosystèmes sensibles et si stratégiques est tel qu’il nous faut travailler, sans délai, à leur préservation.
Qu’est-ce que les cuvettes représentent en termes de superficies et où est-ce qu’elles sont localisées ?
Les cuvettes oasiennes localement dénommées N’Gors sont, comme je l’ai dit ci-haut, localisées au Nord et au Sud Est du Niger. Selon une étude réalisée en 2018 par le Projet de Lutte Contre l’Ensablement des Cuvettes Oasiennes (PLECO), on dénombre plus de 3 600 cuvettes oasiennes et plus de 1 300 bas-fonds sylvo- pastoraux productifs dans les communes de Bouné, Guidiguir, Gouré et Kellé (région de Zinder) et dans les communes de Foulatari, Maïné-soroa, N’Guel Beyli et Goudoumaria (région de Diffa) totalisant plus de 392 000 ha. En 2005, on dénombrait dans la même zone au total 6 321 cuvettes et bas-fonds qui couvrent une superficie de 548 117 ha.
Quelles est la part de leurs contributions dans la production nationale sur le plan de l’agriculture/irrigation, de l’élevage, de la pisciculture, etc… ?
Les cuvettes disposent des terres relativement fertiles sur lesquelles les populations pratiquent diverses activités économiques. Ces cuvettes exploitées au grand bonheur de la population de la zone. Elles sont classées en trois (3) types, en fonction de la nappe phréatique : cuvettes à eau affleurante, cuvettes à eau intermédiaire, cuvettes à eau profonde. Elles représentent les ressources naturelles qui supportent la production agro-sylvo–pastorale de la zone. Ces cuvettes apportent une contribution substantielle aux revenus des communautés locales. En effet, le revenu tiré de l’exploitation agricole varie de 828. 000 à 1. 600 .000 FCFA par hectare et par an. Aussi, il a été recensé, dans cette zone, 268 cuvettes où l’exploitation du natron procure un revenu monétaire de 2 350 000 FCFA par hectare et par an aux populations exploitantes. A cela s’ajoute la contribution des cuvettes oasiennes à hauteur de 25% à l’alimentation du bétail. Vous avez aussi les cultures des agrumes, de même que tout ce qui est fruits, mais surtout les dattiers et les palmiers doums, les bananeraies, mais aussi le manioc. Selon une étude réalisée en 2016 par l’Association pour la Réhabilitation des Palmeraies au Niger, la population des dattiers de nos oasis est estimée à 720 000 pieds pour une production de 8 000 tonnes par an.
De façon générale, ces écosystèmes sont situés dans des zones fortement menacées par la désertification. Quel est l’impact de ce phénomène sur les cuvettes ?
Depuis plus de trois décennies, le nord et le sud-est du Niger et plus particulièrement les départements de Gouré, Goudoumaria et de Maïné-Soroa sont confrontés à un processus de désertification du aux variations climatiques et aux activités anthropiques. Dans cette zone, l’une des formes les plus visibles du phénomène est la remobilisation des sables des dunes autrefois fixés par la végétation. Dans leur progression, ces sables menacent d’ensevelir les villages, les infrastructures socio-économiques, les espaces agro-pastoraux, mais aussi et surtout les cuvettes oasiennes qui constituent de véritables sources de productions agricoles et de revenus pour les populations. Ainsi, à Maïné-soroa et Goudoumaria, la superficie affectée par l’ensablement est passée de 70 000 ha en 1975 à 342.000 ha en 2005 ; à Gouré, la superficie couverte par les dunes mobiles a triplé au cours des vingt dernières années pour passer de (10.000 ha en 1986 à 30.000 ha en 2005) ; de 1986 à 2005, environ 34.000 ha de cuvettes et bas-fonds dans les régions de Zinder et Diffa ont été soustraits aux productions par le phénomène d’ensablement. Le Lac Tchad, ce cours d’eau que nous partageons avec trois autres pays, est passé d’une superficie de 25 000 km2 en 1970 à 14 800 km2 en 2013. Aussi, se rappelle-t-on des années 1980-1990, période à laquelle la superficie du lac a été estimée à seulement 2.500 km2. Les quelques exemples que je viens de donner concernant les cuvettes oasiennes des régions de Diffa et de Zinder sont valables, à quelques variantes près, aux oasis du massif de l’Aïr, de Agram-Kawar-Djado et de l’irazher-Ingal, dans la région d’Agadez tant du point de vue de leur importance socio-économique, écologique et culturelle pour les communautés locales qu’au plan des menaces qui pèsent sur ces écosystèmes.
Plus globalement comment ces écosystèmes se comportent-ils face au changement climatique ?
Concernant l’évolution récente de ces cuvettes, les études faites par Karimou Barké et al. (2018) ont indiqué une régression des superficies des cuvettes oasiennes de 1984 à 2013 et une augmentation de leur nombre. Ils ont aussi noté une forte pression anthropique sur les unités d’occupation des sols des abords de cuvette, notamment les superficies des édifices dunaires et des vallées sèches à cultures pluviales qui ont augmenté de 30 % entre 1984 et 2013. L’augmentation de ces unités s’est faite au détriment des surfaces des édifices dunaires à steppe arborée et/ou arbustive. Cette mise en culture de plus en plus étendue des abords des cuvettes a facilité la dégradation des terres dunaires et la remise en mouvement du sable en direction des cuvettes oasiennes. Ceci est à la base de la fragmentation de certaines cuvettes du fait de leur dégradation mais aussi de la réduction des superficies totales des cuvettes oasiennes de 1984 à 2013.
Quelles sont les autres menaces qui pèsent sur les cuvettes oasiennes ?
Parmi les menaces, on peut citer notamment l’ensablement des cuvettes qui est le problème environnemental le plus important. Il devient de plus en plus généralisé dans les départements de Maïné-Soroa, Goudoumaria et Gouré et constitue une contrainte majeure pour la valorisation de ces écosystèmes, le déboisement et les feux de brousse en vue de gagner plus d’espaces et de lutter contre les ennemis de culture. Cette pratique endommage l’environnement et accélère l’ensablement et en général la dégradation des cuvettes, la divagation des animaux, l’exploitation agricole dans les cuvettes est très peu intensifiée, les conflits fonciers pour la pratique des activités socioéconomiques de la population. Par exemple, des défrichements agricoles ; de l’exploitation incontrôlée du bois de feu et de service ; des pratiques inappropriées de prélèvement des produits forestiers non ligneux ; les sécheresses récurrentes qui se succèdent et les feux de brousse. Ces problèmes environnementaux ont pour conséquences, la baisse des productions agro-sylvo-pastorales et halieutiques, prédisposant ainsi les populations à une insécurité alimentaire chronique et précarise leurs conditions de vie.
Quelles sont les initiatives mises en œuvre par les pouvoirs publics pour protéger ces espaces ?
Des efforts ont été déployés par le gouvernement en matière de préservation des écosystèmes oasiens. Ainsi au plan de la création d’un environnement favorable à la gestion durable des écosystèmes oasiens, le gouvernement a, en 2022, adopté deux décrets à savoir le décret 2022-294/PRN/ME/LCD du 7 avril 2022 fixant les modalités de gestion des terres oasiennes ainsi que les ressources naturelles qui s’y rattachent ; le décret 2022-807/PRN/ME/LCD du 20 Octobre 2022, portant statut, identification et modalités de suivi des écosystèmes dépendant des eaux souterraines. Au plan opérationnel, plusieurs projets et programmes de gestion intégrée des écosystèmes oasiens sont mis en œuvre. Ces projets ont eu le mérite de permettre une meilleure connaissance de ces écosystèmes sensibles et une maitrise de l’itinéraire technique des interventions. Au nombre de ces projets, je citerai le Projet de Lutte Contre l’Ensablement des Cuvettes Oasiennes (PLECO) et le Projet de Gestion Intégrée des Ecosystèmes Oasiens Nord Niger (PGIEO). En perspectives, le ministère en charge de l’Environnement mettra en place une stratégie nationale et un plan d’actions de la gestion intégrée des écosystèmes oasiens. Ce document a déjà fait l’objet de validation par les experts. De même, à la demande des présidents des Conseils régionaux d’Agadez, de Diffa et de Zinder, notre département ministériel s’active à la formulation d’un vaste programme de préservation et de gestion durable du potentiel agrosylvopastoral des oasis et cuvettes oasiennes du Niger.
Y-a-t-il des exemples de réussite dans le cadre de ces initiatives ?
Les initiatives de gestion durable des cuvettes oasiennes entreprises par l’Etat du Niger et les partenaires techniques et financiers au cours des quinze dernières années dans les régions d’Agadez, Diffa et Zinder ont permis d’enregistrer des résultats significatifs. A titre illustratif, les interventions du PLECO et du Projet de Gestion Durable des Terres (PGDT) dans les départements de Mainé Soroa , Goudoumaria et Gouré ont permis de fixer 5.373 ha de dunes au niveau de 62 sites ; de produire et planter 3.365.300 plants forestiers ; d’installer des moyens d’exhaure (forages, motopompes, pompes immergées, etc…); d’appuyer 300 producteurs maraichers et 170 maraichères (autonomisation des femmes); de mettre en valeur 195 ha de terres au niveau de 13 cuvettes. Ces projets ont aussi mis en place un système de suivi des phénomènes d’ensablement et de dégradation des terres en partenariat avec les autres intervenants. Dans le cadre du PGDT, il faut noter que de 2020 à 2023, plus de 2 000 ha de nouvelles dunes ont été fixées, la mise à la disposition des producteurs de plus de 10 000 papayers et 2 000 autres variétés plants fruitiers.
Entre autres réalisations, notons celles du programme inter-universitaire ciblé (PIC) intitulé « Envahissement des cuvettes du sud-est nigérien par apports éoliens: processus, impacts et moyens de lutte ». Ce programme a permis autres résultats l’emploi de palissades antiérosives à base de végétation locale à faible valeur ajoutée (Leptadenia pyrotechnica) qui s’est révélé être une technique très efficace de fixation mécanique des dunes vives en zone aride, permettant de réduire l’ensablement de plus de 95% dès la première année. Il y a aussi la fixation biologique des dunes menaçant les cuvettes, l’amélioration des techniques de plantation permettant d’atteindre un taux de survie des jeunes ligneux approchant 70% au terme de la troisième année.
La mise en œuvre de toutes ces activités par l’Etat du Niger et les PTF a permis de protéger les cuvettes contre le phénomène d’ensablement ; de reconstituer le couvert végétal et fixer les dunes autour des cuvettes ; de procurer les revenus aux communautés locales, de renforcer la cohésion sociale ; d’améliorer la qualité nutritionnelle des communautés locales et renforcer la sécurité alimentaire ; de mettre à la disposition des communautés locales des techniques simples et efficaces de protection de l’environnement et de responsabiliser les communautés locales pour la protection durable des cuvettes oasiennes.
Réalisé par Hassane Daouda (ONEP)