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Dr. Abdoul Kader BIRGUI SEKOU
Les intellectuels et les universitaires jouent un rôle essentiel dans la société à travers plusieurs missions fondamentales dont la production et la transformation du savoir, les analyses, etc. C’est dans cette démarche que s’inscrit Abdoul Kader BIRGUI SEKOU, Docteur en Science politique, Enseignant-Chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Membre de l’Association mondiale de science politique (IPSA), Dr Abdoul Kader BIRGUI SEKOU est auteur de plusieurs articles scientifiques publiés dans la revue Africaine et Malgache de Recherches Scientifiques, etc.
Le jeudi 16 janvier 2025, vous avez animé une Conférence publique à l’IRSH de Niamey autour du thème : « La souveraineté dans un monde multipolaire : Quelles perspectives pour les peuples de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ? ». Quelle appréciation faites-vous, parlant de souveraineté, de la situation actuelle des pays de l’AES et du Niger en particulier ?
Permettez-moi de dire mon bonjour à vos lecteurs. Je dois dire que le mot souveraineté est un mot qu’on retrouve bien avant les traités de Westphalie, consacrant l’acte de naissance de l’Etat moderne. Toutefois, il est opportun de relever et révéler à la suite de la littérature abondante en science politique, voire en droit international, que le mot est essentiel, primordial et fondamental dans la conception et la portée de l’Etat. Il est à noter, aussi, qu’il y a une typologie de souveraineté.
Trois (03) Etats (Le Burkina Faso, le Mali et le Niger) ont décidé de créer l’AES. Il s’agit, certainement, pour ses régimes militaires, de rester « droits dans leurs bottes » et de refuser toute instrumentalisation ou ingérence et, cela, au nom de la souveraineté des peuples. S’il est évident que la création de l’AES pouvait se faire sans sortir de la CEDEAO, il n’en demeure pas moins que ces régimes ont pris la décision ultime de quitter l’institution régionale avec le quitus des peuples. Ce divorce consommé depuis le 29 janvier 2025, les leaders de l’AES ont la responsabilité de démontrer à l’opinion nationale et internationale que ce retrait est la voie du salut des peuples pour vivre dans la dignité et la souveraineté retrouvée. Au Niger, l’ombre d’agression extérieure plane encore et les acteurs issus des différentes couches socioprofessionnelles s’activent à expliquer et à poser des actes pour démontrer que les dirigeants actuels, en l’occurrence le CNSP, ont le soutien populaire, à en juger et jauger par le slogan de souveraineté : ‘’Zancen Kassa né ou Labou Sanni no’’. Cette appréciation permet une refondation agissante, un bloc social avec, en toile de fond, une synergie d’actions entre le CNSP et la population à tendre vers ‘’Un Niger Nouveau’’. N’en déplaise !
Des grandes manifestations ont été organisées récemment dans les grandes villes du Niger et celles des pays de l’AES, pour célébrer le retrait du Niger, du Mali et du Burkina Faso au sein de la CEDEAO. Quels sont les principaux défis que rencontrent ces pays dans l’affirmation de la souveraineté ?
Partant des manifestations dont vous faites cas, c’est une expression de l’action collective et, à ce titre, on peut faire comme le ‘’passager clandestin’’ ou alors s’engager dans la dynamique du ‘’paradoxe du pèlerin’’ et défendre les principes patriotiques. En vérité, quand la CEDEAO avait entrepris son projet d’attaquer le Niger, mêmes les populations les plus sceptiques aux événements du 26 juillet 2023 n’ont eu d’autres choix que de défendre leur espace et de faire bloc avec le CNSP pour exprimer leur souveraineté.
Dans la diversité des raisons, l’AES est en marche et qu’il faille trouver les moyens utiles et utilitaires pour que nous puissions exister sur la scène internationale. Il va sans dire que l’heure est à la cohésion sociale, au travail, à la solidarité et l’esprit patriotique pour que l’AES soit respectée sur la scène internationale. Ainsi, en concertation avec toutes les forces vives de l’espace « AESsien », les dirigeants de la Confédération doivent garder à l’esprit les défis dans cet ordre international. A vrai dire, pour l’expression de la souveraineté brandie par l’AES, les gouvernants doivent avancer à pas de sénateur car rien n’est acquis en relations internationales et les autres puissances ont un œil regardant sur leurs intérêts d’où des sournoiseries tout azimut peuvent surgir afin de rendre plus difficiles les projets de l’AES. Aussi, les questions sécuritaires, économiques, environnementales et climatiques doivent tarauder les gouvernants dans leurs actions. Il faut souligner que ces défis que rencontre l’AES ne sont pas liés à l’architecture de l’institution ou d’une autre variable géopolitique. C’est, à mon sens, des défis du siècle que rencontrent toutes les structures et Etats du monde et que la coopération s’impose pour relever les défis et de ‘’rester humains’’.
Quelles stratégies pourraient permettre aux peuples de l’AES de renforcer leur indépendance économique et politique face aux grandes puissances ?
Je pense qu’il faut relever ici que l’AES précède un contexte historique où les peuples des trois Etats ont de bons rapports sociaux. Il va sans dire que le traité du 06 juillet 2024 vient renforcer cet ancrage d’appartenance à la même famille. Dans cette optique, et pour mieux répondre de façon harmonisée aux autres structures, l’AES doit insuffler à ses populations l’amour de son prochain. Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que les peuples appartiennent parfois aux mêmes familles, s’ils ne parlent pas le même dialecte, voire s’il n’y a pas de relations de mariage…. Ainsi, le problème que traverse le Niger sera vécu par le Mali et le Faso (On se rappelle du communiqué conjoint de ces deux Etats pour dire que la guerre contre le Niger sera une déclaration de guerre contre les deux autres Etats) et le bonheur d’un Etat doit être vécu par les deux autres (Le Niger partage son pétrole avec ces deux Etats).
Par un regard furtif et subtil, on se rend compte qu’une nouvelle dynamique est mise en place par les peuples pour démontrer qu’ils sont unis et qu’ils regardent dans la même direction pour une AES des peuples souverains et fiers. Ce qui pourrait s’illustrer par les différents évènements où à chaque fois les représentants des trois peuples sont présents.
Dans cette ambiance de souveraineté retrouvée, les peuples doivent renforcer leur résilience face à la situation afin de ne pas succomber à la tentation et les manœuvres rédhibitoires des forces obscurantistes. En effet, comme dira l’autre, tout changement entraine une difficulté de s’adapter. Les peuples doivent comprendre cet enjeu et avancer dans l’épreuve vers les reformes systémiques et révolutionnaires. Seulement, les dirigeants doivent continuer à encourager les peuples avec l’exemple qui sied et une communication avant-gardiste de prévention contre les forces du mal.
En tout état de cause, les besoins sont énormes, mais les ressources naturelles de l’espace peuvent permettre d’avoir une stratégie réfléchie avec les autres partenaires.
Quelles sont les perspectives pour les peuples de l’AES dans cette souveraineté retrouvée ?
L’intérêt national, le nationalisme, le civisme, le patriotisme doivent être rappelés par tous les moyens aux peuples afin qu’ils puissent se souvenir de leur trajectoire et se préparer pour l’avenir à partir de là où ils sont en ce moment. Et, permettez-moi de dire que l’AES est l’instant dudit moment. Outre ces éléments de prise de conscience identitaire et le fait de tirer sur la fibre patriotique, les peuples attendent le renforcement de trois points essentiels : Au préalable, il faut prendre l’aspect diplomatique comme vecteur de renforcement des liens entre les peuples de l’AES. Là, il faut noter que la fin du XXe siècle se caractérise par d’importants bouleversements de la scène internationale (mondialisation, crises géopolitiques, développements technologiques, énergétiques et climatiques, etc., et les peuples de l’AES veulent une coopération conséquente pour ne pas vivre dans l’autarcie. Il est important de renforcer la diplomatie du développement.
Ensuite, il y a la défense. Il faut dire que le grand problème du Sahel est, à n’en point douter, les questions de sécurité et, à ce titre, les forces armées de l’AES doivent permettre à ce que les peuples puissent penser à un monde paisible et de bonheur à travers une mutualisation des projets des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) des trois Etats.
Quant au concept du développement, les peuples de l’AES attendent une redynamisation de la coopération internationale. Les dirigeants de l’AES doivent négocier dans une « synergie d’action » pour que les différentes sociétés qui la composent puissent consolider la paix et la justice sociale.
Dans ce nouvel élan souverainiste, l’on pourrait apporter comme rajout dans les relations de l’AES avec ses partenaires, cet esprit de faire en sorte que les parties prenantes locales comme les parlements, le secteur privé et la société civile soient plus impliquées ou mieux représentées dans les partenariats. Ce qui est cardinal, car la force de ces régimes militaires au pouvoir reste les peuples et ceux-ci veulent croire qu’il « est possible de refaire le monde avec notre intelligence sans haine et sans violence ». Wait and see !
Interview réalisée par Abdoul-Aziz Ibrahim (ONEP)