Décidément, Dakar, la capitale sénégalaise, l’ancienne capitale de l’AOF (Afrique Occidentale Française), celle qui a vu passer Léopold Sédar Senghor, un des chantres du mouvement de la négritude des années 30, ou encore la ville de l’un des plus grands savants du 20ème siècle, Cheick Anta Diop, demeure le siège inviolable de la Muse du Président Mohamed Bazoum. C’est la ville de sa gestation intellectuelle, quand fraîchement bachelier, il y débarqua, au début des années 80, à la mythique université Cheick Anta Diop pour des études en philosophie, avec pour seule ambition de réaliser son grand rêve d’enfance qui est de s’élever dans la hiérarchie sociale par l’acquisition du savoir. Il faut dire que le destin l’avait bien aidé dans ce sens, et ses années dakaroises furent déterminantes dans cette quête du savoir.
Lorsqu’il eut pris congé de son séminaire dakarois, au milieu des années 80, nanti d’un D.E.A en épistémologie (une discipline philosophique), ce fut sans doute avec le sentiment de nostalgie et de bons souvenirs laissés à ses condisciples à la Fac pour le rayonnement intellectuel de son cursus universitaire, mais surtout pour son engagement syndical estudiantin qui préfigurait déjà la carrière politique à laquelle il allait être appelé, dans son existence.
Quarante ans après, il revient sur les premiers lieux de cette aventure intellectuelle, non pas dans la peau d’un étudiant à la fleur au fusil, mais dans celle de l’homme d’Etat qu’il est devenu par la suite, pour répondre à l’invitation du 7ème Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique.
Dans un discours (disons une communication !) qu’il avait livré à cette occasion, il avait tenu à préciser que son intervention à cette tribune ne s’inscrivait pas dans un discours solennel, mais se voulait comme une contribution à la compréhension des causes profondes de l’insécurité djihadiste au Sahel. Alors, momentanément, il quitta la robe de Président de la République pour emprunter les apparats universitaires afin de livrer à l’assistance une leçon magistrale de géopolitique du terrorisme islamiste au Sahel.
Ce n’était plus le Président de la République qui discourait, mais bien le Maître de Conférence qui professait, de façon docte, sur la situation sécuritaire dans l’espace sahélo-saharien. C’était une analyse fine et approfondie de l’apparition et de la permanence du terrorisme djihadiste dans cette région du monde, digne d’un regard académique, conduite avec brio par une personnalité riche de multiples expériences en la matière, pour avoir été ministre de l’Intérieur, des Affaires étrangères, député national à plusieurs reprises.
C’était la somme de toutes ces expériences qui ressortait de cette brillantissime intervention livrée par le Président Bazoum à ce Forum international. Jamais, auparavant, l’on n’avait abordé la question de cette insécurité au Sahel avec autant de justesse et de sagacité d’esprit, comme venait de le faire cet invité-surprise, en osant même des parallèles entre les anciens mouvements guérilleros des années 50 et ces groupes terroristes des années 2000 dont il est question aujourd’hui.
C’était un Bazoum, parfait connaisseur de cette question sécuritaire dans le Sahel, que le monde entier avait découvert, qui n’hésitait point, sans concession, à appeler un chat un chat, pour exposer à son auditoire l’impensé à propos des tenants et aboutissants de cette grande et préoccupante problématique qu’est celle de l’hydre du terrorisme.
Grosso modo, l’analyse du Président Bazoum s’articulait autour de trois idées principales : premièrement, pour expliquer les causes de cette insécurité, il soulignait dans son intervention académique la disparition progressive et inexorable du mode de vie pastoral, à cause du changement climatique irréversible qui ne permet plus la pratique d’un élevage extensif, ce qui, du coup, expose les jeunes pasteurs désœuvrés aux tentations du gain facile par le biais du terrorisme.
Ensuite, dans un deuxième mouvement de pensée, il mettait en exergue l’absence de tout projet de société viable chez ces groupes terroristes qui ne sont mus que par le seul désir criminel de se faire de l’argent ; toutes choses qui les distinguent des anciens mouvements djihadistes des années 90 qui avaient une base idéologique et des références théologiques. Pour le Président Bazoum, la grande originalité de ces mouvements terroristes d’aujourd’hui résidait dans leur territorialité, c’est-à-dire leur très grande proximité avec les populations ou les communautés dont ils sont issus.
Enfin, dans une troisième approche, le Professeur Bazoum pointait du doigt la responsabilité de la communauté internationale dans l’intervention occidentale en Lybie, devenue depuis lors, une source dynamique de ravitaillement d’armes de tous les calibres pour alimenter, à peu de frais, ce banditisme qui essaime un peu partout dans la bande sahélo-saharienne. Pour le Président Bazoum, toutes recherches de solutions durables à cette insécurité dans cet espace géographique devront passer d’abord par le contrôle du trafic des armes dans cette région.
Voilà, de façon succincte, la quintessence du cours de géopolitique dispensé, le temps d’un discours, par le Professeur Bazoum à la tribune du forum de Dakar, le 06 décembre dernier ! C’était du grand Bazoum, qui n’avait rien perdu de sa vigueur académique et surtout de son audace intellectuelle, en dépit de ses nouvelles responsabilités présidentielles, qui s’était produit au pays de la Téranga.
Quel talent ! Quelle hardiesse intellectuelle ! Quelle maestria à savourer avec délectation, mais sans modération !
Par Zakari Alzouma Coulibaly(onep)