Nonobstant son importance, le fleuve Niger est aujourd’hui menacé par un ensablement poussé de son lit avec son corollaire d’inondation des champs et d’habitation et de perte de culture. Ce phénomène climatique récurrent a atteint un niveau inquiétant et a malheureusement beaucoup d’impacts. Toutes les activités économiques pratiquées le long de ce cours d’eau, sur les berges, les cultures pluviales et maraichères, la pêche, l’environnement aquatique et même les écosystèmes sont sous cette menace. Sur le terrain, les implications de l’ensablement du fleuve sont perceptibles. Cette situation est inquiétante sinon alarmante pour les populations qui dépendent directement des activités en lien avec le fleuve.
Dire que le fleuve Niger, principale source en eau de surface, est gravement menacé, c’est divulguer un secret de polichinelle. Le phénomène est très perceptible à divers endroits ; sinon partout. A seulement quelques mètres du fleuve, l’évidence est assommante. En effet, la partie se trouvant dernière l’hôtel Gaweye est dans l’agonie totale. En lieu et place de l’eau émergente des bancs de sable et des tas d’immondices des plastiques dégageant une odeur nauséabonde à couper le souffle. Et dire pourtant que c’est justice l’environnement immédiat de l’hôtel le plus chic de Niamey, il y a de cela juste quelques années. Ces bancs de sable noirâtres couverts de déchets plastiques laissent croire qu’on a en face d’une déchetterie digne de celle du bidonville de Kibéra. En cette période d’étiage où le fleuve est moins profond, le fleuve montre toutes ses entrailles qu’il est même possible d’effectuer la traversée à pieds d’une rive à l’autre.
Cette avalanche de maux agace beaucoup les vendeurs de courge, les pêcheurs ainsi que les maraichers qui ne cachent pas leur désolation et surtout leur impuissance face à ce phénomène de retrait d’eau affectant non seulement la navigabilité du fleuve mais aussi le rendement de la pêche.
Couché sur une natte au bord du fleuve « Mourant », Omar Moussa a le regard rivé sur le toit de son hangar en banco. Pensif ! A notre salamalec, ce jeune homme à la trentaine révolue répond avec un air interrogateur, les yeux pleins d’inquiétude. Ce vendeur de courges et de céréales, mais qui se retrouve dans l’oisiveté à cause de l’ensablement du fleuve déplore, sans ambages et avec amertume, l’état du fleuve Niger. «Le fleuve Niger n’est plus ce fleuve tel que nous l’avons connu, jadis», dit Omar avant de lâcher avec désolation que l’ensablement est une réalité inquiétante. La navigabilité qui jadis était chose facile est aujourd’hui difficile affectant sérieusement les transactions commerciales notamment en termes de coûts et en temps de livraison. Argumentant ces dires, il a montré du doigt des sacs de maïs entreposés sous son hangar. «C’est du maïs, on l’amène par pirogue du Nigeria mais avec l’ensablement du fleuve, on est obligé de le transporter par camion. Ce qui nous revient plus cher et cela prend du temps aussi», se désole-t-il. Toute chose qui réduit les marges bénéficiaires de ces commerçants les obligeant parfois à augmenter les prix des produits au grand dam des consommateurs.
Omar n’est pas le seul à subir les affres de ce phénomène. Outre le problème de navigabilité, l’ensablement du fleuve Niger entrave également les activités de pêche. Soumana Boureima, pêcheur, abhorre également cette situation qui entrave son activité. «Le fleuve n’est plus profond, il est très ensablée. Les prises de poisson ne sont plus importantes. A cause de l’ensablement, de nombreuses espèces de poissons sont rares, voire carrément disparu. Il est difficile de faire une bonne prise», s’est lamenté le sorkho, (pêcheur en langue locale). «Chaque année des gens viennent sur les berges pour constater cette réalité en promettant que des actions seront entreprises pour sauver ce «Grand Niger puissant qui rend la nature plus belle», mais jusqu’à aujourd’hui rien est fait de manière concrète», s’est plaint Soumana Boureima
Outre le transport fluvial et la pêche, l’irrigation des aménagements hydro-agricoles et les activités maraichères sont également impactées par l’état actuel du fleuve. Il suffit de faire un tour sur les berges du fleuve pour en faire le constat. Certains périmètres sont totalement ensevelis sous des tonnes de sable et autres déchets. Aussi, l’irrigation des périmètres hydro agricoles est devenue plus difficile.
Tawey Baba, est un jardinier que nous avons rencontré sur un desdits périmètres longeant le fleuve. Il a beaucoup de peine à arroser ses plants. Sueur perlant sur le front, pantalon remonté jusqu’aux genoux et les mains couvertes d’argile, Lankoandé un autre compagnon d’infortune exprime désespérément son impuissance face à la situation. «Madame au nom de Dieu, la situation est critique. On a de grosses difficultés à arroser notre jardin maintenant. Notre fleuve se meurt doucement. On n’a pas assez de moyens pour utiliser une motopompe. Ça fait plusieurs années que j’exerce ce métier mais ces dernières années ça ne va pas, ça ne va pas ! L’état du fleuve nous inquiète de plus en plus» se morfond-il.
Cependant, les causes de l’ensablement sont bien connues !
«Les causes de l’ensablement du fleuve Niger sont de deux ordres. Il y a les causes naturelles et les causes anthropiques», explique le capitaine Ibrahima Harouna, chef de division de développement de l’aquaculture au Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre la Désertification.
Des causes naturelles, on retient les diminutions généralisées des pluies ces derniers temps qui accélèrent l’érosion et l’augmentation des températures ainsi que l’évapotranspiration. Cependant, les phénomènes naturels d’érosion et de sédimentation ne sont pas les seuls responsables de l’ensablement du fleuve. L’homme, ce grand prédateur et pollueur, y est également pour quelque chose à travers ses activités. Le Capitaine Ibrahima Harouna fait allusion au déboisement dans le bassin versant du fleuve qui entraine la formation de Koris charriant d’importantes quantités de sable qui se déversent, déposent dans le fleuve. Il y a aussi l’agriculture irriguée tout autour qui utilise surtout des pesticides et des engrais. «En plus du fait que le sol est remué, ça peut aussi dégrader la qualité de l’eau par la pollution», a expliqué le spécialiste en environnement. A cela, il faut ajouter la prolifération de déchets plastiques qui se déposent dans le lit du fleuve et l’élevage extensif qui avec le piétinement des animaux facilitant le mouvement du sable par les eaux de ruissellement dans le fleuve.
Il n’y a pas de causes sans conséquences. Selon le chef de division, le phénomène d’ensablement a d’importantes conséquences sur le fleuve. Outre la perte de la biodiversité sur le plan quantitatif et qualitatif parce qu’a-t-il expliqué l’ensablement entraine un colmatage des fréaires (zones de reproduction des poissons), de nombreuses espèces de poissons et de la faune limicole se raréfie suite à la dégradation de leurs écosystèmes aquatiques. L’ensablement entraine aussi la détérioration des services connus des cours d’eaux qui empêche la navigation, provoque les inondations, le morcellement des cours d’eau et le fleuve devient plus vulnérable à la pollution. A celles-là, il faut ajouter d’autres conséquences, une modification du régime hydrologique du fleuve affectant l’équilibre entre le mouvement de l’eau et celui des sédiments. L’établissement d’un nouvel équilibre dynamique du lit du fleuve et de sa plaine d’inondation est un processus lent qui peut durer plusieurs années.
D’après Mohamed Housseini Ibrahim, directeur de l’hydrologie au Ministère de l’Hydraulique et de l’assainissement, l’ensablement réduit la profondeur du fleuve que les spécialistes appellent ‘’hauteur d’eau’’. «L’ensablement réduit le débit du fleuve et cause des inondations et accentue leur ampleur. La profondeur du fleuve est également impactée, elle diminue», a-t-il expliqué.
Toutefois, M. Mohamed Housseini Ibrahim précise que la hauteur des eaux du fleuve varie d’un point à un autre et selon les périodes. «Il y’a des périodes de hautes eaux, il y a des périodes de moyennes eaux et de basses eaux», a-t-il expliqué. Ainsi, au niveau de la station hydrométrique de Niamey, il a été observé en 2020, une hauteur atteignant 700cm d’eau, soit 7 mètres. Il a précisé que la hauteur dépend également du régime du fleuve c’est-à-dire de la période où on la mesure.
Des solutions idoines pour sauver le fleuve Niger s’imposent
Pour sauver le fleuve Niger et permettre aux populations d’en tirer meilleur profit, le capitaine Ibrahima Mayo préconise la lutte contre la surexploitation des ressources (faune et flore) en mettant en place des haies vives qui sont des obstacles en matériaux végétaux) pour renforcer la stabilité cela, à travers un traitement mécanique et biologique des berges et des principaux Koris pourvoyeurs de sable. En effet, a-t-il dit, si les berges sont suffisamment boisées, le sable ne vient pas en grande quantité. A ce niveau, le capitaine Ibrahima Mayo a illustré ces propos par l’expérience réussie de la fixation des dunes de sable réalisée par la combinaison de méthodes mécanique et biologique sur la route de Torodi. La méthode mécanique a consisté selon lui en l’érection de palissades en matériel végétal (tiges, herbes, branches) en quadrillage serré et en bandes d’arrêt. «Quant à la méthode biologique, elle a consisté à l’installation d’une végétation dans les quadras» a-t-il argué.
Pour l’élevage, le capitaine Ibrahima Mayo a suggéré la mise en place d’un système d’abreuvage des animaux pour les maintenir à une certaine distance du fleuve afin d’empêcher les animaux de par leur mouvement, de conduire le sable dans le fleuve.
Long d’environ 4.200 km avec un bassin versant de 2.262.000 km2, le fleuve Niger joue un rôle crucial dans le développement socio-économique du pays qu’il traverse sur 550 km. En termes d’agriculture, le fleuve irrigue une bonne partie du territoire, ce qui favorise les cultures surtout en zone rurale. Sur le plan énergétique, le fleuve Niger représente un important potentiel qui, à travers le projet de construction de barrage (Kandadji), contribuera à créer un très large accès à l’électricité aussi bien en zones urbaines qu’en zones rurales. Ce qui permettra de rehausser considérablement le taux d’électrification du pays qui est actuellement l’un des plus faibles au monde, soit environ 20% et très faible dans les zones rurales. Avec la construction du barrage de Kandadji, ce sont environ 330.000 personnes qui vont bénéficier d’un meilleur accès à l’énergie, à l’eau et aux moyens de subsistance dans le bassin du fleuve Niger selon la Banque Mondiale.
L’ensablement du fleuve Niger a un impact négatif surl’alimentation des populations humaines et des animaux. La navigation fluviale qui constitue une activité importante, tant pour le transport des marchandises que pour des personnes, est rendue plus difficile voire impossible à certains endroits même pour les petites embarcations. Avec la décrue, les pirogues sont laissées sur la berge car, le débit de l’eau n’est pas bon, la profondeur n’y est pas favorable. En ce qui concerne la pêche, tous les endroits favorables à la pêche sont occupés par le sable qui fait perdre au fleuve beaucoup de sa profondeur. A cela, il faut ajouter la présence des plantes envahissantes comme la jacinthe d’eau qui complique un peu plus la situation. A cause de cette dégradation de l’environnement, les effets du changement climatique et les actions de l’homme, le fleuve Niger est menacé de disparition ou du moins de son écoulement par endroit.
Tout un secteur économique se retrouve dans une impasse à cause de ce phénomène récurrent. On se rappelle qu’en 2005, l’Etat avec l’appui des partenaires a mis en place un programme dit de lutte contre l’ensablement dans le bassin du Niger avec un montant global de 6.148.973.360 francs CFA qui aurait bénéficié à 70.000 personnes pendant cinq (5) années. L’on se rappelle du début du désensablement de la fin des années 2000, dans la zone du village de Farié. Ce gigantesque projet tout comme d’autres n’ont pas bien abouti. Pendant ce temps, la partie nigérienne du fleuve s’ensable à grands pas, les grandes profondeurs qu’on lui connait par endroit deviennent de nos jours des lieux de distraction pour les jeunes dont l’action elle-même contribue davantage à l’aggravation de la situation. Le fleuve, notre patrimoine est toujours menacé de disparition par cet ensablement impitoyable des actions anthropiques exacerbées par celles dues au changement climatique. Bientôt s’installera la saison pluvieuse, une période à laquelle les inondations sont très probables. A quand donc la mise en œuvre d’actions d’envergure concrètes pour pallier ce phénomène et redonner vie, pour sauver notre «Issa Babban Goulbi»? Il est grand temps pour l’Etat et les partenaires au développement de passer véritablement à l’acte car, le fleuve Niger meurt lentement mais sûrement !
Rahila Tagou (ONEP)