Comment se présente l’art aujourd’hui au Niger en particulier et les arts plastiques en général ?
L’art au Niger est aujourd’hui à la croisée des chemins. Autant il y a des domaines où les artistes réussissent à s’imposer au public nigérien et arrivent à sortir, avec de véritables succès, autant il y a des domaines où on arrive à peine à sortir la tête de l’eau, alors que, 10 à 15 ans en arrière, les artistes marchaient bien au pays comme à l’étranger. C’est le cas des arts plastiques que la crise sécuritaire, dont notre pays est victime depuis plus de 10 ans, a presque poussés dans leur dernier retranchement. Même si depuis peu, le thermomètre descend de plus en plus pour les artistes plasticiens grâce aux efforts de promoteurs comme les galeries Taweydo et Soleil d’Afrique, les Centres Culturels Franco-Nigériens de Niamey et Zinder. Avec les initiatives très nouvelles de la filière Arts et Culture de la FLSH – Université Abdou Moumouni qui, en plus des différents modules d’histoire de l’art, patrimoine culturel et autres, organise régulièrement, pour ses étudiants, des ateliers de création contemporaine, de critique d’art et des master-classes sur les arts plastiques, des séances ouvertes au public, notamment, les artistes plasticiens. Donc, les choses bougent du côté des arts plastiques, depuis peu. Grace également aux initiatives des plasticiens eux-mêmes, à l’instar du réseau R.A.N.A et de l’ONG O.N.P.A.V de l’artiste de Tahoua Abdoul Wahab Ibrahim.
Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels nos artistes font face ? Que proposez-vous pour améliorer leur condition de vie ?
Un de ces défis, je viens d’en parler tantôt, c’est la crise sécuritaire qui limite l’arrivée et la mobilité des expatriés qui constituent l’essentiel de la clientèle des artistes plasticiens. Cela dit, avec beaucoup d’engagement, avec un grand esprit de résilience, ces artistes sont en train de surmonter cette crise comme ils se sont toujours battus pour surmonter le défi de l’absence jusque-là d’école et d’institut d’art. Avec l’appui de la coopération culturelle internationale, les artistes bénéficient de temps à autres d’ateliers et séminaires de formation animés par des formateurs venus souvent de France, des U.S.A, de la sous-région… Les autres défis de nos plasticiens sont l’absence pendant longtemps de public local ; très peu de Nigériens s’intéressent à des arts comme la peinture. La sculpture, encore moins.
Les artistes, pourtant, sont très talentueux, avec quelques-uns qui sont vraiment à jour, par rapport aux tendances les plus actuelles dans le monde. Je pense à Dias Crise qui a une démarche très conceptuelle. Je pense à Abdoul Wahab Ibrahim de Tahoua et Alhousseini Yayé Touré qui sont plutôt abstraits etc. Comme autre difficulté, on peut ajouter l’insuffisance de cadre de visibilité et de vente où ils seront vus et pourront vendre leurs œuvres. L’insuffisance est cruciale en la matière.
Etant qu’acteur culturel, vous organisez souvent des expositions culturelles dans les régions. La dernière remonte au 4 novembre 2022. Quels sont, selon vous, les objectifs visés à travers ces rencontres périodiques entre artistes ?
Le 4 novembre, c’est la Journée Internationale des Arts Plastiques. Au nom de l’Organisation pour la Promotion des Arts Visuels (O.N.P.A.V), présidée par le peintre A. Wahab Ibrahim de Tahoua, j’ai organisé, à Tahoua, une exposition au Centre de paix que l’ONG Search For Common Ground a mis gracieusement à notre disposition. C’était pour célébrer cette journée comme cela se fait un peu partout dans les pays qui nous entourent.
Avant le 4 novembre, le Réseau des Artistes de Niamey et de l’Ader R.A.N.A a organisé une exposition de peinture abstraite à la M.J.C Albarka Tchibao de Tahoua. J’étais le commissaire d’exposition de cette grande première sur l’échiquier des arts plastiques au Niger. En effet, c’était la première fois que des artistes s’étaient organisés eux-mêmes pour exposer collectivement à l’intérieur du pays. Les objectifs de cette exposition étaient de décentraliser les activités plastiques. De braver la crise sécuritaire pour que les artistes, soient eux-mêmes artisans dans la recherche de solution au problème de sécurité qui ne leur a fait que trop de mal. Le thème de l’exposition en dit déjà assez: «Abstrait et Insécurité :les couleurs nigériennes de la vie».
Actuellement, avec le réseau R.A.N.A, je suis sur un autre projet d’exposition que nous souhaitons ouvrir à Zinder, cette fois-ci, en collaboration avec certains artistes de cette ville pour toujours promouvoir la paix dans notre pays et mettre en valeur notre riche patrimoine culturel qui, en termes de source d’inspiration, est une véritable mine d’or pour nos artistes. Le thème de cette exposition est : «Abstrait et Insécurité: diversité culturelle et culture de la paix au Niger».
Le but ultime de tous ces évènements, que nous osons avec zéro franc mais juste un engagement à la hauteur de toute notre passion pour l’art, est d’œuvrer à combler le grand fossé qui existe entre le public nigérien et les productions de nos artistes afin de démocratiser les arts plastiques au Niger, promouvoir une culture artistique chez les Nigériens car en fin de compte, nos artistes ne peignent pas autres choses que nos réalités socioculturelles du Niger d’hier et aujourd’hui. C’est le sens que nous donnons aux tables-rondes, aux visites guidées et médiations culturelles que nous organisons à l’occasion de ces expositions.
En quoi l’art ou l’artiste peut-il participer à la consolidation de la paix au Niger ?
A travers les thèmes dont ils traitent déjà, on trouve chez beaucoup de ces artistes des titres comme la Paix, Solidarité, le Dialogue… En fait les arts plastiques se sont toujours opposés à la guerre dans le monde. Nous pouvons donner l’exemple du célèbre peintre cubiste espagnol qui, en 1937, dans un tableau monumental, a dénoncé le bombardement de sa ville natale Guernica, en Espagne, par les nazis en soutien au Général Franco. C’était pendant la guerre civile espagnole et l’œuvre intitulée Guernica est une référence de la peinture moderne du 20e siècle.
Les artistes promeuvent la paix également en s’attaquant aux facteurs les plus favorisants de la guerre parmi lesquels, l’ignorance, le chômage, la pauvreté… qui constituent le terreau fertile de recrutement des groupes terroristes. Les artistes combattent ces facteurs par la sensibilisation comme le fait l’artiste Touré, avec par exemple son tableau L’Ecolier, Une œuvre sur l’importance de l’école. Les arts plastiques sont aussi de puissants pourvoyeurs d’emplois et de richesse à travers ce qu’on appelle les industries culturelles. Les artistes nigériens signent souvent avec les ONG et entreprises du pays, avec les institutions de l’Etat, des contrats de plusieurs millions pour des services d’infographie, de sérigraphie, pour créer des logos. Comme vous le voyez, les arts plastiques sont des moyens qu’il ne faut vraiment pas négliger dans la lutte pour le retour à la paix au Niger.
Selon vous comment peut-on promouvoir l’art au Niger ?
D’abord par la promotion d’un véritable marché national de l’art. Si l’on ne peut pas attendre grand-chose de l’Etat noyé dans une marée de priorités, il faut que tous ceux qui le peuvent acceptent d’acheter les œuvres de nos artistes. D’ailleurs les entreprises, les organismes internationaux, les ONG, les grosses fortunes tout aussi ont intérêt. Il y a un réel avantage à décorer son intérieur avec un tableau d’art qu’avec un artefact industriel. Contrairement au tableau vendu en plusieurs copies au marché et qu’on peut retrouver chez tout le monde, l’œuvre d’art est unique. Celle qu’on trouve chez vous, on ne la trouvera nulle part. Même l’artiste n’est pas capable de créer deux fois la même œuvre. Acheter auprès des artistes est donc un jeu gagnant-gagnant.
La promotion des arts plastiques passe également par la formation des artistes. C’est vrai que l’Etat a créé les Ecoles de Formation en Art et Culture, une initiative très louable et qui donnera ses fruits dans le futur. C’est vrai qu’il a créé, il y a un an ou deux, l’Institut National des Arts. Mais qu’il y a un véritable décollage dans le secteur des arts plastiques, il est nécessaire que les artistes soient en contact avec l’extérieur pour voir comment ça marche à l’international, quelles sont les tendances du moment et les démarches de tous ceux qui font l’actualité dans la presse et les grandes rencontres, afin de s’inspirer d’eux, pour être dans la danse. Il faut pour cela des bourses de mobilité pour les artistes, il faut aussi négocier avec les différentes coopérations internationales pour que les pays amis amènent souvent des enseignants d’art et des artistes de renom pour des partages d’expérience avec nos artistes qui à leur tour ne doivent pas croiser les bras, car ils ont pour mission de former une relève dans leurs ateliers en organisant des rencontres d’échanges.
Les artistes plasticiens ont aussi besoin de partenariat pour financer plus fréquemment des expositions comme celles du réseau R.A.N.A et des prix arts plastiques. L’Université de Birmingham (Angleterre), en collaboration avec l’association Timidria a organisé deux éditions de prix arts plastiques au Niger sur le thème de l’esclavage (2020 et 2022). C’était dans le cadre d’un projet commun de recherches sur l’héritage de l’esclavage au Niger, LESLAN. Un projet dans lequel j’ai travaillé quelques mois. De telles initiatives doivent être multipliées et perpétuées.
Quelles sont les opportunités qui s’offrent à nos artistes ?
Elles sont innombrables, à commencer par le marché national qui est encore quasiment vierge. Les artistes ont juste à redoubler de créativité pour aller chercher le public et le familiariser avec leurs productions. Les Nigériens ne connaissent pas les arts plastiques. Il faut les leur faire découvrir à travers des conférences, des interventions télévisées, en multipliant les expositions dans les quartiers, les parcs comme la vallée de Gountou Yena de Niamey sans négliger l’intérieur du pays.
Aussi, sous l’impulsion d’abord de l’ancien Président Issoufou Mahamadou et maintenant de son excellence Mohamed Bazoum, le Niger est en train de devenir un hub en matière d’organisation des grandes conférences en Afrique, depuis le sommet de l’U.A. Cela est une opportunité en or et les artistes doivent saisir chaque rencontre organisée dans notre pays pour faire une exposition, pour non seulement vendre, mais aussi faire de leurs créations une fenêtre ouverte au reste du monde sur le riche patrimoine culturel du Niger qui inspire ces artistes à plus d’un titre.
Les festivals et foires à l’étranger constituent d’autres grandes occasions pour nos plasticiens (Biennale de Dakar, Venise, la Foire Internationale d’Art Contemporain, F.I.A.C de Paris…). Le Niger est malheureusement presque absent de la carte de ces rencontres. Ce n’est pas qu’il nous manque d’artistes assez compétents pour y candidater, ce que la plupart de nos artistes ignorent comment le faire. D’ailleurs très peu ont les informations à temps. Il faut alors mettre en place un mécanisme d’information et d’accompagnement pour permettre de véhiculer l’information à temps, à chaque fois qu’il y a un appel à participation pour aider les artistes intéressés à remplir les formalités dans les règles de l’art. Quelques-uns sont sortis ici et là ; Abdoulaye Souley a l’habitude d’exposer à la Biennale de Dakar, Seyni Hima, Saminou Ousmane Bawa et d’autres ont participé au Festival des Arts Naïfs de Laval (France)… Mais pour avoir des artistes de la carrure du Ghanéen El Anastui ou du Camerounais Bartélémy Toguo, il nous faut mouiller le maillot d’avantage. Comme le dit l’inventeur américain Thomas Edison : «Le génie est fait d’un pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration».
Dans un pays comme le Niger, quelle contribution un médiateur culturel peut apporter dans la promotion de l’art en particulier et de la culture en général?
Si les arts en général sont aussi peu connus dans notre pays, c’est parce que quelque part, ce rôle de médiateur culturel a manqué pendant longtemps au Niger. Avec 10 autres camarades, je fais partie de la première promotion d’acteurs culturels nigériens formés à la médiation culturelle. Et à ce titre, la filière Arts et Culture de l’U.A.M s’impose comme pionnière de la promotion des arts au Niger, à travers la médiation culturelle sous l’impulsion de la Grande Saraounia, Pr Antoinette Tidjani Alou. C’est elle qui a monté et continue de coordonner cette filière. Le rôle du médiateur culturel est de faciliter l’accès à l’art au plus grand public, surtout aux personnes qui ont le moins d’occasions de participer à un évènement artistique avec pour mission de faciliter une lecture bénéfique des œuvres aux moins initiés. Vous comprenez donc combien l’art relève carrément du luxe dans la mentalité de la majorité de la population au Niger.
Réalisé par Mamane Abdoulaye(onep)