Monsieur le ministre, le Niger est un pays riche en ressources minières et pétrolières, malheureusement, les retombées ne semblent pas avoir eu un impact significatif sur l’économie du pays et surtout sur le niveau de vie des populations. Quelles explications à donner à cet état de fait ?
Mahaman Laouan Gaya : Notre pays, et au-delà les pays de la zone sahélienne dite des ‘’trois frontières‘’, sont connus pour être une des régions les plus pauvres au monde, malgré leurs abondantes richesses du sous-sol. L’extrême pauvreté dont souffre notre pays ne reflète nullement la rareté des ressources extractives (ressources minières et énergétiques), puisqu’à l’état virtuel, le Niger dispose d’un potentiel considérable en ressources minérales diverses, en énergies fossiles (hydrocarbures, uranium) et renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, géothermie, biomasse…et même déchets urbains). Le Niger, à l’instar des autres pays africains, souffre du ‘’paradoxe de l’abondance‘’, à savoir que l’abondance de ces ressources ne s’est pas traduite en niveaux équivalents en matière de prospérité et de développement économique et social. Sans trop nous lamenter sur notre sort, il faut dire que l’Afrique et le Niger avec, ont toujours été victimes d’un modèle économique dit ‘’d’esclavage colonial‘’ qui nous a maintenu depuis près d’un siècle dans un système économique mortifère obligeant nos pays à produire des matières premières (extractives, agricoles, animales,…) et à les exporter à l’état brut vers la métropole et pour nous vendre en retour les produits finis. Malheureusement et chose encore plus choquante, ceux qui étaient supposés relever le défi du sous-développement de notre pays, non seulement englués dans une scandaleuse gouvernance politique et économique, étaient dans une maladive position de dépendance vis-à-vis de leur maître néo-colonisateur. L’on s’est d’ailleurs très souvent poser la question de savoir pourquoi et comment certains pays riches en ressources minières et pétrolières tirent profit de leurs dotations et d’autres non ? En effet, soutenons-nous que si certains pays tirent une rente de leurs ressources et d’autres pas, c’est parce que dans la dernière catégorie (particulièrement ceux des pays ‘’francophones‘’), les dirigeants font preuve d’un déficit criard de démocratie, d’un leadership ‘’obscur‘’, d’une gloutonnerie manifeste sur les ressources pétrolières et d’une gouvernance foncièrement médiocre. A un moment du développement de l’industrie pétrolière de notre pays, nous nous sommes même posé la question de savoir si les hydrocarbures et la démocratie font bon ménage. En d’autres termes, alors que notre pays chemine vers l’exportation de son pétrole brut, on observe que la gouvernance démocratique recule, l’opacité dans la gestion de la manne pétrolière est manifeste, se généralise le phénomène de corruption et d’impunité et une dangereuse tendance à la monarchisation de la République. Seuls, les ‘’ayants-droits‘’ et leurs familles peuvent se prévaloir des retombées de la rente pétrolière ; le pays et ses laborieuses populations totalement exclus. De ces genres de régimes dits ‘’démocratiques‘’ issus pour l’essentiel des fameuses conférences nationales souveraines des années 90, et qui clament à tue-tête l’instauration d’une ‘’démocratie pétrolière‘’, naissent (à l’image des ‘’Fake news‘’) ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les ‘’Fake democratic States‘’ ou les ‘’Faux Etats démocratiques‘’. Par la grâce d’Allah (SWA), en réponse aux multiples prières de nos populations durement meurtries, cette périlleuse aventure a rapidement été stoppée un 26 Juillet 2023.
Comme vous y faites allusion ci-haut, comment expliquez-vous le potentiel en ressources minières et pétrolières exceptionnellement très abondant et diversifié dans notre pays ?
Mahaman Laouan Gaya : Le Niger dispose d’importantes potentialités dans les domaines minier et pétrolier qui sont en cours d’exploration et d’exploitation. Les travaux de recherches minières entrepris par l’Etat et ses partenaires bilatéraux et multilatéraux ont conduit à la mise en évidence de nombreux indices minéraux et d’hydrocarbures. Au total, ce sont quelques 279 indices minéraux qui ont été répertoriés et où on y trouve de l’uranium, de l’or, de l’étain, du plomb, du zinc, du platinium, du lithium, du titane, du fer, du vanadium, du chrome, du cobalt, du gypse, du calcaire, du phosphate, du sel, du charbon, du pétrole, etc…. Certains ont été évalués (fer, phosphate, sel, etc…), et d’autres mis en exploitation ou en voie de l’être (uranium, charbon, or, calcaire, gypse, étain,…). Par ailleurs, le Niger, dont le territoire est constitué à plus de 90% de bassins sédimentaires (Les bassins sédimentaires sont des réceptacles des gisements d’hydrocarbures gazeux, liquides et solides), ‘’coincé‘’ géographiquement et géologiquement entre l’Algérie, la Libye et le Nigéria (tous ‘’millionnaires‘’ en termes d’exploitation et d’exportation d’hydrocarbures et exportant de 1,7 million à 2,3 millions de barils de pétrole par jour), il est certain, que tôt ou tard, notre pays connaitra inch’Allah, le même miracle pétrolier qu’eux.
‘’Il faut l’adhésion patriotique de tous les Nigériens pour éviter à notre pays le contrôle de nos ressources extractives par quelque pays que soit’’
De grosses et très agréables surprises, particulièrement dans le bassin des Ullimenden à cheval entre la partie Ouest du Niger, l’Est du Mali, le Nord du Burkina Faso et le Sud algérien ne sont pas à exclure. En effet, cette zone dite des ‘’trois frontières‘’ (que les experts pétroliers appellent aussi le ‘’Koweït du Sahel‘’… au vu de son probable potentiel pétrolier et gazier) détiendrait un inestimable potentiel pétrolier, en ressources minières et énergétiques stratégiques (uranium, cobalt, lithium, hydrogène,…) et autres ressources hydrauliques (nous avons l’un des plus grands potentiels en eaux souterraines du monde et d’après les scientifiques, la guerre du siècle prochain sera sur les ressources en eau). L’on ‘’soupçonne‘’ aussi cette zone des ‘’trois frontières‘’ de regorger d’abondantes réserves d’hydrogène naturel (le Mali détient pour l’instant les seuls gisements actifs au monde). Les puissances étrangères (grosses consommatrices d’hydrocarbures et de minerais stratégiques) et détentrices des plus hautes technologies en sont très conscientes. Aujourd’hui leurs états-majors industriels disposent de laboratoires équipés d’énormes simulateurs ultramodernes leur permettant d’explorer virtuellement les entrailles de la terre dans nos propres pays. Ainsi, à partir des laboratoires (situés dans des lieux ultra protégés de leurs pays), leurs ingénieurs plongent dans un monde sous terrain d’ordinaire invisible, naviguant à travers des couches de grès et de calcaire jusqu’à tomber sur des formations rocheuses contenant des hydrocarbures ou des substances minérales stratégiques. Ils peuvent ainsi directement à partir de Houston, Paris ou Beijing ‘’dépister‘’ des formations pétrolifères et minérales de nos pays. Ce type de procédés ultrasophistiqués leur confèrent un énorme gain de productivité, d’informations et de connaissance de notre propre sous-sol. C’est grâce donc à ces technologies qu’ont été révélées les énormes potentialités en ressources extractives stratégiques de la zone dite des ‘’trois frontières‘’ dans le Sahel et au-delà sur l’ensemble du territoire nigérien. Les interminables conflits armés qui durent depuis quelques trois décennies et l’occupation par les forces armées étrangères (occidentales) de cette zone, ne sont nullement l’effet d’un hasard. La perte (à jamais inch’Allah) de contrôle des pays de cette zone et la récente création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) constituent une retentissante gifle (pire que la débâcle en 1954 à Dien Bien Phu) assenée à la France.
Justement, nous sommes actuellement dans un processus de refondation de la République et de reconquête de notre souveraineté. Quelle attitude doit-on avoir pour que le pays tire de meilleurs avantages de l’exploitation de ses ressources extractives ?
Mahaman Laouan Gaya : Il faut d’abord reconnaître que l’histoire des recherches pétrolières et minières a toujours été engluée dans une sorte de huis clos, particulièrement dans les pays du Sud. A ce niveau, il est clair que beaucoup de nos Etats sont très loin de disposer d’un minimum d’information crédible sur leur potentiel en ressources extractives. Ce sont les sociétés étrangères qui détiennent toutes les informations secrètes sur les gisements miniers et pétroliers à partir des études géologiques, géophysiques et géochimiques entreprises souvent depuis l’époque coloniale. Disposant seules de moyens financiers et techniques colossaux pour établir des estimations fiables, elles ne s’en cachent pas pour tricher sur le traitement et l’interprétation des données géo-scientifiques, la sous-estimation de la qualité et des réserves d’uranium, d’autres minerais stratégiques, du pétrole, de la production et la surestimation du cost-oil (coûts d’investissement et coûts de production), des grosses triches à l’embarquement des pétroliers et à l’exportation du pétrole brut… En scrutant l’interview du Président du CNSP, SE le Général Abdourahamane Tiani du 10 décembre passé, relativement à votre question, deux points ont retenu mon attention. Je le cite : ‘’Le Niger ne bénéficie pratiquement pas des ressources de son sous-sol, parce qu’il n’a pas été initié une politique qui lui permette de maîtriser l’exploitation de ses ressources‘’, et plus loin, dans son dernier mot, il disait ‘’Le Niger a été spolié avant les indépendances, et il a continué à être spolié après les indépendances. Il est facile de constater le degré de spoliation dont nous avons été victimes à travers les accords que nous avons progressivement dénoncés, et que nous continuerons inch’Allah à dénoncer pour le bien de notre peuple. Et cela, que personne n’en doute‘’. Dès cet instant, j’estime que les dés sont jetés pour la reconquête de la souveraineté et le contrôle de nos richesses extractives, pour le bien être de notre pays. A cela, il faut faire appel à l’adhésion patriotique de tous les Nigériens, éviter à notre pays le contrôle de nos ressources extractives par quelque pays que soit ou de retomber dans les affres de la ‘’malédiction des ressources naturelles‘’.
Les sanctions de la CEDEAO, en particulier la coupure de la fourniture d’électricité par le Nigeria, a mis en lumière les déficits de la politique énergétique de notre pays. Quelles doivent être désormais les priorités dans ce contexte de refondation de la République ?
Mahaman Laouan Gaya : Près de soixante (60) ans après notre indépendance, l’énergie apparaît comme un enjeu stratégique majeur du développement de notre pays ; et pourtant, il est reconnu de tous que le ciel, le sol et le sous-sol du Niger regorgent d’abondantes ressources énergétiques fossiles et celles d’origines renouvelables comme je le mentionnais ci-haut. Mais le paradoxe, c’est que malgré cette abondance en ressources énergétiques, le niveau de consommation annuelle énergétique du citoyen nigérien est le plus faible du monde, avec une efficacité énergétique des plus faibles. Le Niger est actuellement dans la frange des pays (africains) où la consommation énergétique par tête d’habitant est de l’ordre de 0,3 tep en (tonnes équivalent pétrole) par an, contre près de 7,8 tep par an pour un américain, 4 tep par an pour un européen et 2,6 tep pour les pays émergents (Singapour, Malaisie, Corée,…). Il ne fait aujourd’hui aucun doute que l’énergie moderne est un puissant vecteur de développement à la fois économique et social, comme l’a d’ailleurs toujours démontré la corrélation entre la consommation énergétique et la croissance du PIB. Un véritable développement économique suppose de l’énergie en grande quantité issue des grands complexes (raffinerie-pétrochimie, des barrages hydro-électriques ou des centrales nucléaires). Si nous voulons connaître une croissance économique durable et éviter de sombrer dans un délabrement économique et social fatale, nous devons dans le cadre de la refondation de la République à venir, devoir relever les défis énergétiques essentiels pour notre survie. De manière simplifiée, ces défis consistent, d’une part, à assurer les besoins des Nigériens en une énergie moderne (disponibilité permanente de l’électricité et des produits pétroliers), abondante, à moindre coût (à la portée de tous les Nigériens), soucieuse des impacts environnementaux et, d’autre part, veiller à une bonne gouvernance de nos ressources énergétiques. L’abondance de ces ressources ne fait aucun doute, et si elles étaient auparavant judicieusement utilisées, notre pays n’aurait pas connu l’inhumaine coupure de la fourniture d’électricité par le Nigeria que je qualifie d’insulte à notre égard. Rappelons que la France et le Nigéria sont les deux pays sur la ligne de front pour étouffer économiquement, financièrement et énergétiquement le Niger, et mieux attaquer militairement notre population.
Monsieur le ministre, quelles leçons pourrons-nous tirer de plus de cinquante années d’exploitation de notre uranium ?
Mahaman Laouan Gaya : Au-delà de l’exploitation depuis plus d’un demi-siècle de nos ressources uranifères, c’est la sécurité d’approvisionnement énergétique de notre pays qui doit nous interpeller. En amont, voilà un pays (la France) qui a de façon éhontée pillé à un prix ridicule nos ressources uranifères pour assurer sa propre sécurité énergétique. Principal producteur mondial d’uranium, le Niger est paradoxalement l’un des pays les moins éclairés du continent africain et du monde. Il est inadmissible qu’après plus de 50 ans d’exploitation d’uranium et son traitement jusqu’à l’obtention de l’uranate, nous ne soyons pas en mesure de poursuivre son enrichissement pour un usage pacifique ; la production d’énergie électrique. Dans le cadre de son programme électro-nucléaire, avec l’accompagnement de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), le Niger est en Afrique l’un des pays les plus avancé et a d’ailleurs le meilleur avantage comparatif parmi les pays africains candidats pour la construction d’une centrale nucléaire. L’agence fédérale russe de l’énergie atomique, Rosatom a signé récemment des mémorandums d’entente pour la construction de centrales nucléaires au Burkina-Faso et au Mali. J’ose espérer que dans le cadre de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), une centrale nucléaire qui prendrait en compte les besoins en électricité des trois pays pourrait être construite au Niger, parce que disposant d’un plus grand avantage comparatif. Notons que l’énergie nucléaire est l’une des sources de production d’électricité les moins polluantes au monde, et de plus, elle est bon marché, ce qui devrait permettre aux pays bénéficiaires de s’industrialiser plus rapidement.
Propos recueillis par Siradji Sanda (ONEP)