
Le procureur Ousmane Baydo (micro) lors de son point de presse
Suite aux investigations menées par la Direction de la Police Judiciaire (DPJ), un réseau opérant dans la vente frauduleuse de parcelles et espaces publics a été démantelé. Ce groupe a été présenté, le vendredi 25 avril 2025 à la DPJ. 22 personnes sont actuellement placées en garde-à-vue pour le besoin de l’enquête en cours. Les charges retenues contre elles sont, entre autres, détournement de biens publics, faux et usage de faux, corruption, enrichissement illicite et blanchissement des capitaux. Peu après la présentation de cette bande, le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, M. Ousmane Baydo a animé un point de presse pour féliciter les éléments de la DPJ pour cette enquête minutieusement menée en si peu temps. Il a par ailleurs invité la population à la collaboration avant de procéder à la vérification de l’authenticité des documents fonciers en cause.
Plusieurs objets ont été saisis à l’occasion des différentes interpellations. Il s’agit de 2308 faux actes de cession de plusieurs lotissements, 12 actes de cession non remplis, 77 titres fonciers, une somme globale de 23 517 300 FCFA, 20 cachets de divers services et sociétés, quatre ordinateurs portables et 02 ordinateurs de bureaux. Parmi les personnes interpellées figurent des fonctionnaires de l’Etat, des responsables et agents de certaines collectivités territoriales en activité ou non, des employés de sociétés immobilières, des démarcheurs et autres rabatteurs.

Dans ses explications, le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey a fait remarquer que les juridictions civiles ou pénales ont enregistré ces dernières années beaucoup de dossiers relatifs au foncier. « Cette question est devenue complexe dans ces juridictions. Le contentieux a pris une telle ampleur que les services d’enquêtes et ceux des renseignements se sont penchés là-dessus pour comprendre ce qui se passe. Heureusement, une dénonciation a permis de mettre la main sur ce réseau », a précisé M. Ousmane Baydo.
Le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey a rappelé que les services compétents de l’Etat en matière de renseignement ont collecté des informations sur l’existence d’un réseau mafieux, responsable de la confection et de la mise en circulation de faux actes de cession afférents à des parcelles issues des lotissements de la Ville de Niamey et de la commune de Karma, ainsi que du morcellement illégal des espaces classés et réservés publiques. Concrètement, explique-t-il, il s’agit d’un cas de fraude massive en matière immobilière, entretenu par des manœuvres de corruption et de concussion, en contournant les procédés légaux et réglementaires qui gouvernent les conditions d’acquisitions d’actes de cession ou des titres fonciers dans un lotissement donné d’une part, mais également en violation de la procédure de déclassement réglementant le reversement au domaine privé des réserves foncières de l’Etat, d’autre part.
Mode opératoire
Les investigations menées ont permis de mettre en lumière les différentes manœuvres frauduleuses qui sont employées par ce réseau de faussaires. Les références des parcelles issues de ‘’l’opération arriérés de salaires contre parcelles’’ non mise en valeur sont identifiés par des rabatteurs pour le compte des promoteurs immobiliers contre une somme pouvant aller jusqu’à un million de FCFA. Par la suite, les références des parcelles sont communiquées à la Ville de Niamey puis au niveau du Ministère de l’Urbanisme qui formule une requête d’établissement des actes de cession portant sur les parcelles préalablement récupérées.

Citant les résultats de ces investigations, M. Ousmane Baydo a dit que le dossier a révélé plusieurs lotissements frauduleux, ainsi que des parcelles qui disposent plusieurs actes de cession constituant ainsi une source de litiges. « Nous avons découvert beaucoup de faux actes de cession qui circulent à Niamey tout comme à Karma. A cela s’ajoute de faux titres fonciers, plusieurs places publiques morcelées ou vendues en violation flagrante de la loi », a-t-il indiqué.
En réalité, a noté le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, à côté des lotissements régulièrement autorisés, l’on adjoint des terrains qui ne font pas partie. Par exemple, au lieu d’un lotissement de 10 hectares, l’on se retrouve avec un lotissement de 30 hectares. « Du coup, les 20 hectares supplémentaires ne respectant pas la norme serviront à faire des doublons. À l’insu du responsable de la société de lotissement, l’agent en charge de faire la commande des actes de cession commande 5000 actes de cession au lieu de 2000 initialement prévus par la société. Le réseau est allé jusqu’à se faire établir les cachets ou les signatures des responsables de la Mairie ou du lotisseur afin que tout le processus se fasse à l’interne. Cela permettra de délivrer beaucoup d’actes de cession qui n’ont pas de traces à la Mairie », a-t-il indiqué.

Pire, souligne le procureur Ousmane Baydo, les agents de la mairie regardent dans le registre eux-mêmes les parcelles qui n’ont pas été attribuées, ils donnent les références aux rabatteurs pour vérification. « Si cela se confirme, l’on cherche les requêtes pour établir les actes de cession. Dans cette opération, le rabatteur peut se retrouver avec un million de FCFA comme récompenses par parcelle vérifiée non-occupée et au niveau de l’Urbanisme, le complice peut avoir 5 à 12 millions de FCFA. Quelqu’un peut aussi détecter une parcelle vide dans la ville qui l’intéresse. Il s’adresse au réseau qui lui fournira les références ainsi que les papiers nécessaires », a-t-il précisé.
D’après les explications du procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, en cas de procès le juge écrit au service compétent pour savoir qui est le légitime propriétaire de la parcelle en litige. « Sauf que celui qui nous répond est aussi membre du réseau. Naturellement, il donne raison au faux propriétaire et le juge tranche sur cette base. Ainsi, la justice et les unités d’enquêtes sont trompés car ne pensant pas que la fraude a atteint une telle ampleur dans le circuit d’attribution des parcelles », ajoute-t-il.
Conséquences économiques et sociales
Selon la réglementation en vigueur, le premier principe est que dans tout lotissement qui sera fait, on prévoit 60 % pour l’habitat, 15 % pour les réserves foncières ou les équipements (places publiques) et 25 %pour les voiries. Le deuxième principe est que les espaces classés inaccessibles et tout morcellement dans ce domaine est d’office illégal. Le troisième principe est que le reversement des réserves foncières publiques dans le domaine privé de l’État ou celui des collectivités obéit à la procédure dite de ‘’déclassement’’ lorsque le besoin se fait sentir par l’Etat lui-même ou les collectivités territoriales et cela par voie décrétale, après que le dossier ait été monté par la Direction générale des domaines publics. Cependant, au mépris de la réglementation en vigueur, le réseau a mis en place des manœuvres frauduleuses, entretenues par des pratiques corruptives, dans le seul but de créer des droits à des promoteurs immobiliers sur les domaines de l’Etat.
D’après le résultat de cette enquête, les actes de cession les plus nombreux qui ont été découverts sont ceux de la société Valimo. Malheureusement, il y a des agents de cette société qui sont impliqués dans la fraude. « Tout se passait à l’insu du premier responsable qui a eu le tort de faire confiance à ses agents, même sa signature était sur un cachet qu’on mettait sur le registre. À côté du registre de la société, se trouve d’autres registres censés appartenir à la société mais qui sont détenus par des personnes privées. Conséquence, il y aura des actes régulièrement délivrés et ceux frauduleusement délivrés. L’on n’arrivait pas à faire la différence puisque ce sont les mêmes signatures, les mêmes registres remplis par les mêmes personnes », a aussi expliqué le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey. Quant aux morcellements et les ventes frauduleuses des places publiques, M. Ousmane Baydo a rappelé que cela s’est fait en violation de la procédure, notamment le décret de déclassement du fait que le système est infesté. « La bande peut faire tout à l’interne. Des places publiques sont vendues à 100 millions, voire 600 millions. Les gens s’enrichissent sans aucune trace. Ce qui constitue un préjudice en termes de manque à gagner pour les collectivités et pour l’État », a-t-il expliqué.
Selon le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, cela crée des quartiers ou villes fantômes sans aucune place publique, lieux de loisir ou de jeu, sans écoles ou services de santé. « Cela étouffe les quartiers. Du fait de ce morcellement, même l’eau, en saison pluvieuse, n’arrivera pas à circuler ou à être évacuée », a-t-il expliqué.
Au terme de cette sortie médiatique, le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey a dit que ce travail des enquêteurs a permis d’avoir une autre lecture des choses, d’apprécier différemment les pièces qui seront prochainement délivrées aux juges dans ce genre de contentieux. « Dans le cadre de cette enquête, la DPJ a mené un travail excellent dans un délai relativement court, quatre jours, qui a permis d’élucider beaucoup de choses et d’autres le seront avec la suite de l’enquête. La justice prendra cette question en charge car, l’enquête a relevé qu’il n’est pas le seul réseau, tout laisse croire qu’il y a d’autres réseaux », a-t-il conclu.
Abdoulaye Mamane (ONEP)