Monsieur le Procureur Général, le parquet aurait demandé la mise en détention de 46 personnes en lien avec l’affaire MEBA. Et l’opinion s’interroge sur l’opportunité de la réouverture de ce dossier. Ce dossier a-t-il un caractère particulier pour être rouvert ?
J’ai entendu, comme vous sur les réseaux sociaux, des commentaires par rapport à ce dossier-là. Mais je tiens à rectifier les choses. Le dossier n’a pas été réouvert, parce qu’il n’a jamais été fermé en réalité. Un dossier judiciaire, quand il est introduit, il a vocation à être jugé un jour. Ça peut prendre du temps aux yeux des personnes non averties. Mais pour nous les professionnels, il n’y a pas surprise que ce dossier soit encore pendant devant les tribunaux. Premièrement, c’est d’abord un dossier impliquant beaucoup de personnes et deuxièmement, c’est un dossier complexe. Il s’agit d’une infraction portant sur une action de ruse portant sur un détournement de deniers publics. L’autre chose qu’il faut relever, c’est l’instabilité des juges d’instruction du fait des affectations. Un juge arrive, puis il est affecté deux ou trois mois après et lorsqu’un autre arrive, il reprend pratiquement à zéro. C’est pourquoi, ce dossier a pris ce temps apparemment long aux yeux du public mais qui, en réalité se justifie en raison de la complexité du dossier, par rapport aux tâches à faire, par rapport aux préjudices, par rapport aux personnes impliquées. Comme je l’ai dit, c’est un dossier qui suit son cours normal de traitement.
Le premier acte sur ce dossier MEBA remonte au 19 septembre 2003 jusqu’au dernier qui a été fait au tribunal de grande instance hors classe le 14 février 2020. Le dossier a été transmis à la Cour d’Appel tout récemment en 2021. Ça veut dire que pendant tout ce temps l’instruction est en cours. Il y a eu des actes d’inculpation, d’interrogatoire au fond, des demandes de restitution, des demandes de mise en liberté provisoire. On a interjeté des appels. On instruisait depuis tout ce temps-là. J’ai actuellement le répertoire de tous les actes qui fait sept pages. Bref, vous voyez que pendant tout ce temps, le dossier de l’affaire MEBA n’a jamais été fermé. Mais quand le juge du tribunal a clôturé par ordonnance du 6 avril 2020, il a donc ordonné la transmission du dossier au Procureur général. Le rôle du Procureur ici une fois le dossier reçu, comme il s’agit d’un dossier réputé criminel, c’est de le lire. Et à son tour de prendre un réquisitoire par lequel il va saisir la chambre de contrôle qui va vérifier si les actes posés sont réguliers et s’il faut renvoyer ces personnes-là devant la juridiction de jugement.
Donc, on est à cette phase de réquisitoire. C’est ça que les gens ont vu pour dire que le Procureur général demande la mise en détention des 46 personnes. Le parquet général a pris un réquisitoire pour que la chambre de contrôle soit saisie. Quand le dossier a été ouvert, c’est un montant de plus de 100 millions. C’est donc un dossier criminel. La loi de 2016 dit que les infractions de détournement qui ont un caractère criminel commencent à partir de 100millions1F. Donc, ce dossier relève de la chambre criminelle de la Cour d’Appel. C’est pourquoi il est venu ici. La chambre criminelle n’est pas encore saisie pour qu’on le juge. On est à la phase de l’instruction au second degré. Le réquisitoire dont on parle, c’est de ça qu’il s’agit. Le substitut général a requis que la chambre soit saisie pour vérifier s’il y a charge. Il y a des dossiers qui semblent prendre du temps. Mais en réalité, pour les juges, c’est plus ou moins normal.
La lenteur apparente dont les gens parlent, c’est elle qui garantit souvent les droits des protagonistes. Dans la hâte, on piétine parfois les droits des uns ou des autres. Quand le juge va lentement, il est sûr de protéger les droits des uns et des autres. Il n’y a pas d’agenda caché. La justice est dans son rôle normal par rapport à ce dossier. Le travail se poursuit tel que la loi l’a prescrit.
On dit qu’il y a 46 personnes concernées par ce dossier et dont le procureur général a demandé l’arrestation, qu’en est-il exactement ?
Le procureur n’a pas demandé l’arrestation ou la mise en détention de qui que ce soit. Le procureur, comme je l’ai dit plus tôt, il requiert. Le procès pénal est parti. Le procureur requiert qu’il plaise à la chambre de contrôle de vérifier tout ce qu’il a dit. Si c’est fondé la chambre va renvoyer ces personnes devant la juridiction de jugement qu’est la chambre criminelle. Il y a ce qu’on appelle l’ordonnance de prise de corps. Donc, c’est la chambre de contrôle qui doit prendre l’ordonnance de prise de corps. Et là, c’est le code de procédure pénale qui prévoit ça. C’est dans l’arrêt de renvoi qu’on va dire que telle ou telle personne passe devant la juridiction de jugement. On n’en est pas là pour le moment. La chambre n’a pas encore statué sur les actes de dire contre qui et qui il y a charge et de dire contre qui il faut décerner un mandat de dépôt. La prise de corps s’applique seulement aux personnes qui sont accusées de crime. Le dossier était avec un substitut général qui vient d’être affecté et il a réglé tous les dossiers dont il a hérité avant de partir à son nouveau poste. Mais pourquoi les gens parlent seulement de ce dossier qui n’est qu’un parmi tant d’autres ? Il ne faut pas qu’on pense qu’on a trié ce dossier pour le traiter. En justice, un dossier peut prendre des années voire des décennies pour être définitivement traité.
Parmi les personnes concernées par le dossier MEBA, certaines ne sont plus en activité, d’autres ne sont plus de ce monde, quel impact pour ce dossier eu égard à cela ?
Pour toute personne décédée, une action publique est éteinte à son encontre, c’est-à-dire qu’il y a un non-lieu à son égard. (NDLR : certaines personnes poursuivies dans cette affaire sont décédées). Il y a des gens contre lesquels il n’y a pas charge, et d’autres contres lesquels il y a charge. C’est celles contre qui il y a charge qu’il y aura prise de corps pour être devant la chambre criminelle pour être jugées. Mais ce que les gens oublient ou ignorent, il y a des fonctionnaires qui ont dû être suspendus et dont on ne s’est pas soucié du sort. Le fait que nous, nous tenons à régler ce dossier, c’est aussi pour prendre en compte l’histoire de ces personnes-là. Si entre temps un fonctionnaire a été blanchi à l’issue de ce dossier, on doit relancer sa carrière. S’il a atteint la retraite, il doit avoir sa retraite et on doit lui octroyer ses salaires antérieurs. Il n’y a pas d’abandon de poursuite dans notre système. Ça peut prendre du temps. Dans tous les cas, il faut qu’un jour les magistrats vident leur saisine, soit en prononçant une peine, soit en relaxant. Le dossier sur l’affaire MEBA n’a pas disparu, il a toujours été là, faisant des va-et-vient entre le tribunal et la Cour d’appel comme dans toute autre procédure. Il y a des gens inculpés qui ont fait des dépôts sous forme de cautionnement, d’autres ont fait appel ou autres recours.
On parle de 46 personnes inculpées dans cette affaire, qui sont-elles, de quelles catégories de personnes il s’agit ?
En fait, pour l’essentiel, il s’agit des fonctionnaires, des fournisseurs de l’Etat. Mais quand vous parlez de personnalités politique comme un ministre, cela ne relève pas nous, du ressort de la cour d’appel. Un ministre, même s’il y en a dans cette affaire, nous ne sommes pas censés connaitre son affaire ici. On n’est pas compétent pour ça. Inculper un ministre relève de la Haute cour de justice.
Est-ce cette action du parquet général est une réponse à l’engagement et la volonté des autorités de livrer une lutte implacable contre toutes les formes de détournement ?
Disons que cet engagement au plus haut niveau est venu trouver la justice déjà dans son rôle quotidien de poursuite et de jugement des dossiers. Peut-être que l’engagement accentué en ce que nous espérons avoir plus de liberté d’appréciation et mener les choses à terme. En réalité l’engagement des autorités a trouvé le dossier en cours et il suit son cours normal. Nous les magistrats, nous avons un regard froid sur les faits, qu’est-ce qui a été commis, par qui il a été commis. Ce que nous attendons maintenant des autorités, c’est plus de soutien en termes de moyens de travail et de soutien moral.
Nombreux sont les Nigériens qui souhaitent que la justice s’occupe des dossiers plus récents, brûlants de l’actualité, qu’avez-vous à leur dire ?
Nous recevons des dossiers récents. Ces dossiers sont traités. J’insiste sur quelque chose, c’est que les infractions de nature économique sont des infractions particulières. Elles sont ce qu’on appelle des infractions de ruse. Vous avez des gens qui sont formés en finance, qui ont des années d’expérience. Et les magistrats ne sont pas assez bien formés pour les affronter ; de sorte que pour les confondre ça leur prendra du temps. Et nous avons aussi des dossiers qui impliquent beaucoup de personnes, qui ont beaucoup d’implications qui font que nécessairement l’instruction prendra du temps. Sinon, ces dossiers-là sont dans le circuit, ils sont instruits. Nous avons des dossiers récents, mais on ne peut pas tout divulguer. Les dossiers viennent à la cour. La justice suit son cours, mais celui qui est à l’extérieur ne voit pas. La justice prend son temps parce que tout en poursuivant les personnes, on doit s’assurer qu’on a respecté leurs droits à eux et les droits des victimes. Le juge est obligé de faire cet équilibre qui n’est pas toujours facile. Le juge doit éviter au maximum les erreurs judiciaires. Et c’est pourquoi on est tatillon sur ces situations-là puisque parfois des personnes peuvent être anéanties sur la base d’erreur. Le juge en se prononçant ne doit attendre ni récompense, ni craindre les représailles. On n’est pas souvent compris. L’opinion pense qu’on est lent. La lenteur permet de s’assurer que les droits de chacun ont été respectés. Encore qu’il y a des lenteurs provoquées par les protagonistes eux-mêmes par des recours intempestifs. C’est d’ailleurs le cas du dossier MEBA, il y a eu beaucoup de recours, d’appels et autres demandes.
Zabeirou Moussa (ONEP)