La convention Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) de 2003 propose aux Etats parties un modèle de fiches standards pour enregistrer et classer leur PCI. Ce modèle a pris en compte cinq (5) champs, notamment les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur de Patrimoine Culturel Immatériel, les arts des spectacles, les pratiques sociales, rituelles et évènements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers et le savoir-faire lié à l’artisanat traditionnel. M. Haladou Mamane, Coordonnateur du Projet Patrimoine Culturel Immatériel (PCI), nous explique dans cet entretien que le Niger, à l’instar des autres pays, est en train de scruter d’autres répertoires. Selon lui, le Patrimoine Culturel Immatériel (PCI), au-delà de sa fonction sociale et culturelle, peut être aussi un outil de développement.
Monsieur le Coordonnateur, pouvez-vous nous présenter brièvement le Projet de sauvegarde du PCI, notamment son cadre stratégique ?
C’est un projet qui est né au terme d’une convention signée par le ministre en charge de la Renaissance Culturelle, des Arts et de la Modernisation Sociale le 12 juillet 2018. Ce projet a comme activités principales la sauvegarde du patrimoine culturel dans des contextes d’urgence et pour une résilience des populations déplacées avec Diffa et Tillabéry comme phase pilote et comme actions déjà annoncée, une carte stratégique en cinq ou six points. La première phase est terminée. Elle a porté d’abord sur l’installation du projet qui a également un certain nombre de missions de sensibilisation et de mise en place des structures, des organes qui représentent le projet à l’intérieur du pays. Pour ce faire, nous avons pensé à des hommes qui peuvent faire des missions de sensibilisation, ce qui nous a amené à aller à Abala dans la région de Tillabéry et vers Ayorou dans cette même région. Au-delà de cette mission de sensibilisation, nous avons mis en place un certain nombre de structures notamment un comité départemental à Ayorou, où vous avez un camp de réfugiés qui compte dix (10) mille réfugiés. Ce comité départemental est composé de structures telles que la société civile, les structures féminines, les jeunes, la chefferie traditionnelle, la mairie, les représentants même du camp de réfugiés. Bref, tous les partenaires de la vie sociale sont présents dans ce comité. Idem à Abala qui dispose d’un centre de déplacés où, en plus du comité départemental, nous avions pensé à mettre en place une équipe d’inventaires. Qui dit ‘’patrimoine culturel dit inventaire différent du recensement. Le recensement c’est à titre indicatif avec toutes les coordonnées, les détails techniques. A Ayorou, il y a une équipe de seize (16) jeunes et une autre de seize (16) jeunes au niveau d’Abala qui vont nous épauler lorsque la phase active du projet va commencer. Ils vont aider l’équipe à formuler des inventaires participatifs pour connaitre en fait la valeur de ce patrimoine culturel immatériel pour en faire un outil de résilience.
Parlez-nous concrètement de ce projet PCI et de ses principaux champs d’application.
Après la phase de Tillabéry, nous avons aussi pensé aller dans la région de Diffa où nous avons pris Diffa et Goudoumaria pour mettre en place les mêmes structures, c’est-à-dire dans la proportion de seize (16) jeunes pour l’équipe d’inventaire à Goudoumaria, seize (16) jeunes dans la région même de Diffa mais aussi prendre dans la même proportion les huit (8) membres dans les antennes, c’est-à-dire l’antenne départementale qui va avoir les huit membres composés des structures sociales, de la société civile, les conseils, la mairie, les jeunes pour que l’affaire du projet soit une affaire de tout le monde ; un appui qui s’étend à tous les niveaux pour une bonne maitrise de ce qu’on va faire comme travail dans un cadre vraiment d’utilité pour qu’à la fin du projet, on arrive au moins à maitriser, à imposer ou à montrer en fait qu’on peut faire du patrimoine culturel immatériel un outil de résilience pour ces déplacés.
Les cinq champs tels que proposés par la convention de 2003, c’est un canevas qu’on donne à tous ces pays, mais chaque pays est libre de scruter sur d’autres répertoires comme la Chine qui, au lieu de cinq champs opératoires au niveau du répertoire du PCI, est parti jusqu’à dix champs opératoires, tel que par exemple le Kung Fu.
Monsieur le coordonnateur, pourquoi vous avez porté votre choix sur les deux régions de Diffa et Tillabéry comme étant des zones phases pilotes sur les huit (8) régions de notre pays ?
Le choix porté sur ces régions n’est pas fortuit. Tous les nigériens, savent que ces deux régions ciblées sont dans une situation d’insécurité depuis 2012. Nous nous sommes dit que si nous voudrons faire de la résilience de la population à travers les PCI, il faut prendre ces deux régions qui vivent ce spectre de conflit armé. Pendant cette phase pilote nous voulons démontrer qu’à travers le PCI, on peut aussi faire un outil de sauvegarde mais aussi un moyen de résilience; c’est vraiment une phase pilote.
Parlez-nous de la convention 2003 sur le PCI, notamment de sa mise en œuvre et des progrès enregistrés par le Niger dans ce sens.
Les Etats parties doivent s’inspirer de cette convention pour sauvegarder et promouvoir leur Patrimoine Culturel Immatériel (PCI). Toutefois, il faut reconnaitre que l’efficacité d’une convention quelle que soit sa rédaction ou sa teneur dépend aussi de l’application que les Etats en font dans leur territoire respectif. C’est donc dans cet esprit que notre pays l’a ratifiée en 2006 et que le Ministère a entrepris un vaste programme d’identification, de collecte et l’élaboration d’inventaires pour un classement national afin de promouvoir les éléments du PCI sur l’ensemble de notre pays.
La convention 2003 ou la convention du PCI sont similaires. PCI est une convention qui a été adoptée à Paris le 17 octobre 2003 lors de la 13ème session de l’assemblée générale de l’UNESCO. Notre pays y a adhéré depuis cette date d’adoption ; mais c’est une convention qui était en vigueur seulement en 2006 et depuis notre pays s’est attelé résolument à toutes les actions, parce que c’est vrai, il faut adhérer à une convention internationale mais cela n’est pas la question, quelle que soit l’efficacité de cette convention internationale, si au niveau national, il n’y a pas d’activités qui suivent, c’est vraiment du vent qui souffle. Notre pays est vraiment reconnu et il est à saluer dans ce domaine pour sa pertinence de faire d’abord une affaire de droit national. Pour respecter cette convention de l’UNESCO, il faut dire déjà, qu’au point de mise en œuvre, il y a un satisfecit. Comme d’autres pays, en 2013, notre pays a soumis une double candidature conjointe : ce sont deux (2) multinationales avec l’Algérie, le Mali autour de la pratique liée à l’utilisation de l’Inzad qui est un instrument de musique féminin chez les Touaregs. Donc à compter de ce jour, cet instrument n’est pas seulement un patrimoine du Niger, c’est un patrimoine qui est partagé entre le Niger, l’Algérie et le Mali et c’est une bonne chose. Ce ne sont pas tous les pays africains qui ont ce point fort. Egalement, on peut parler de la parenté à plaisanterie qui est aussi classée sur la liste du patrimoine culturel immatériel en 2014, et là je crois que c’est une très bonne chose pour notre pays et nous n’allons pas nous arrêter à partir de là et on va continuer encore puisque notre pays regorge de multitudes de villes qu’il faut inscrire sur la liste nationale mais aussi proposer des candidatures au niveau de l’UNESCO suivant en fait les critères qui seront soumis. Le Ministère a pu montrer qu’on peut faire du PCI un moyen ou outil de résilience des populations déplacées face à une situation de précarité résultante qui sévit dans ces deux zones.
Monsieur le coordonnateur, quels sont les programmes qui seront élaborés une fois cette phase pilote réussie ?
Pour toute phase pilote réussie, ça indique déjà un résultat qui est là et je crois que cette programmation une fois la phase pilote terminée c’est de passer à d’autres régions. Je me dis au niveau du Ministère de la Renaissance Culturelle, que nous avions déjà été instruits par les plus hauts responsables de ce pays pour faire un inventaire de tous les proverbes et de toutes les bonnes paroles. Tout ce qui est bonne pratique au point de vue traditionnel peut être enregistré comme patrimoine culturel. Si vous prenez par exemple les proverbes en langues dans la région de Dosso, nous avons dressé un inventaire déjà de proverbes. Là, ce sont des actions aussi concrètes déjà qui ont commencé et l’issue heureuse de la phase pilote ne fera que renforcer cela.
Quel appel avez-vous à lancer aux pouvoirs publics, à des institutions publiques ou privées chargées de l’enseignement et de la recherche pour une bonne collaboration avec le projet ?
Pour toutes les sociétés, les actions ne sont pas seulement pour l’Etat ; l’Etat, c’est une continuité. On a beau ouvrir un projet, tant qu’il n’y a pas l’engouement de la société, c’est juste un jeu d’enfant. L’appel que je dois d’abord lancer au niveau des autorités, c’est de nous appuyer pour que ce projet de sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel dans le contexte national pour une résilience de la population déplacée avec Diffa et Tillabéry comme phase pilote ; c’est vrai, c’est un projet qui cible plusieurs structures de l’Etat. Il faut que ce projet ne soit pas une seule activité de notre ministère ; c’est d’impliquer le Ministère de la Population, le Ministère chargé de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour qu’au niveau de leur programmation, on fasse du PCI comme des sujets de recherches pour les étudiants. Si vous prenez une intronisation des Chefs, c’est un PCI ; le Gossi, c’est un PCI ; donc, il faut prendre tous ces secteurs clés précis pour que chacun dans son contexte social puisse s’exprimer librement. Quand les étrangers viennent chez nous, ils ne sont pas en manque d’exotisme ; ils sont là pour découvrir notre culture, pour découvrir notre tradition. L’appel que je lance pour que le PCI ne soit pas une affaire des pays développés mais une affaire de tout le monde, pour qu’on soit respecté dans ce qu’on est en train de faire et dans ce qu’on veut devenir parce que la culture, comme l’a dit Senghor, c’est tout ce qui va rester quand on aura tout perdu ; donc, il faut épauler, il faut montrer que c’est un projet de société et qui doit intéresser tout le monde.
Réalisée par Aïssa Abdoulaye Alfary(onep)
10/05/19