Dans une interview qu’il a accordée à nos confères du quotidien burkinabé Sidwaya, en marge du Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, le 7 juillet 2019 à Niamey au Niger, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Publique, de la Décentralisation et des Affaires Coutumières et Religieuses, M. Bazoum Mohamed, revient sur la situation sécuritaire de la sous-région et sa candidature à la présidence.
Comment se sent aujourd’hui un ministre de l’Intérieur après la tenue d’un sommet d’une grande envergure comme celui de la conférence des chefs d’Etat de l’Union africaine qui a rassemblé plus de 4 000 invités ?
Je me sens vraiment soulagé. Nous avons eu beaucoup d’appréhension au départ. Nous louons Dieu d’avoir fait en sorte que tout se soit merveilleusement bien passé. Nous avons mobilisé beaucoup de moyens et de forces. 12 000 personnes ont assuré la sécurité dans la ville de Niamey et ses alentours. Nous avons mis un dispositif concentrique autour de la ville et cela a donné ces résultats. Nous avons aussi eu la baraka de Dieu. Nous savons que ce n’est pas parce que nous avons déployé tant de forces que nous avons ce résultat. Il y a aussi une part de chance.
Vous êtes candidat du parti présidentiel et vous êtes membre du gouvernement. Comment arrivez-vous à concilier ces deux positions assez délicates?
Il est vrai que je suis candidat mais nous ne sommes pas en campagne électorale. Nous sommes loin d’y être. Comme vous pouvez le savoir éventuellement, l’agenda qui aura voulu que ma candidature soit déclarée en 2019, est un agenda auquel nous avons été imposés par le débat qui avait été enclenché sur les candidatures très tôt. Sinon, notre agenda normal prévoyait que nous investissions notre candidat à la fin du mois de mars de l’année 2020. Nous avons dû avancer ces dates d’une année malheureusement. Mais nous ne changeons rien dans la façon dont la personne désignée candidate à la présidence de la République doit se comporter. C’est-à-dire que je ne suis pas en train de faire campagne au-delà de ce que j’aurai eu à faire, être président du parti tout simplement. Tout ce que je fais pour le parti, je l’aurais fait même si je n’avais pas été déclaré candidat. Le moment de la campagne viendra et en ce moment, nous allons faire les choses telles qu’elles seront définies par les exigences de la campagne.
Le choix porté sur vous ne pouvait surprendre selon certaines personnes car vous êtes le fidèle des fidèles du Président Issoufou. Quel commentaire cela vous inspire ?
J’ai toujours été le numéro deux de notre parti. A la base, notre parti est constitué de deux groupes clandestins qui étaient animés l’un par le président Issoufou et l’autre par moi-même. C’est cette idée que nous avons toujours conservée dans notre relation. Le Président Issoufou et moi, en particulier lui, n’a jamais oublié que c’est une rencontre que nous avons eue au mois d’août 1990 qui a présidé à la décision de mettre en place le parti que nous avons appelé le PNDS. Il était le n°1 et moi le n°2 et jusqu’à ce qu’il devienne président de la République et moi président du parti. Dans l’esprit du Président Issoufou tout comme lorsqu’il était président du parti, il avait été notre candidat, il considère que je suis le candidat naturel du parti à partir du moment où j’en suis le président. C’est le raisonnement qu’il a fait et qui est largement partagé par la base de notre parti. Nous sommes un parti qui a su conserver son unité, sa cohésion pendant les 27 années de son existence parce que nos relations interpersonnelles étaient régies par un certain nombre de valeurs et de principes notamment le respect, la confiance mutuelle et la loyauté. Voilà pourquoi pour un parti comme celui-ci, des choix de ce genre sur des questions à enjeu important peuvent s’opérer facilement parce qu’on se réfère à des valeurs.
Dans ce cas, votre candidature a été plus ou moins imposée ? Est-ce qu’il y a eu consensus au niveau du parti?
Oui ! il a eu consensus certainement, puisque nous sommes allés au congrès le 31 mars 2019 et c’est à l’unanimité des sections de notre parti que le choix s’est porté sur moi et depuis lors, on n’a jamais entendu une critique formulée contre cette décision au sein de nos structures même de façon marginale. Donc à partir de ce moment, je déduis que c’est un choix qui était assumé par les militants de notre parti.
Vous avez récemment porté une loi controversée sur le financement des associations religieuses. Est-ce qu’en tant que candidat, vous aurez porté cette loi ?
Je suis ministre en charge du culte. J’ai constaté à mon arrivée dans ce ministère que nous n’avons aucun texte de référence qu’il soit du niveau législatif ou règlementaire de nature à permettre un véritable encadrement de la pratique du culte. Lorsque vous voulez construire une mosquée aujourd’hui, vous ne savez pas comment vous y prendre. Il n’y a pas de textes qui régissent la pratique des prêches sur les ondes, dans les chaines de télévisions, à travers les réseaux sociaux. Il y a une anarchie totale, une absence de norme qui fait que même ceux qui pratiquent les différents cultes peuvent être mal à l’aise. Tantôt c’est le maire qui autorise la construction d’une mosquée, tantôt c’est un chef traditionnel ou d’autres personnes. Cela est valable aussi pour les églises. Nous avons parfois plusieurs mosquées dans un même endroit, parfois des mosquées de vendredi qui ne sont pas à des distances normales alors que vous pouvez avoir des imams d’obédiences religieuses un peu en contradiction. Les écoles coraniques sont aussi construites et gérées de façon anarchique. Nous nous sommes dit qu’il faut mettre à l’aise les acteurs de façon qu’ils sachent désormais tout ce qu’ils peuvent faire et comment s’y prendre.
De toute façon, si on ne réglementait pas, on courait le risque un jour de se retrouver au-devant de situations qui ne seraient plus contrôlables. J’ai envoyé des missions dans tous les pays qui nous ressemblent notamment ceux du Maghreb même en Afrique au Sud du Sahara pour savoir comment ils font. Est-ce que c’est le règne de l’anomie comme c’est le cas chez nous ou bien il y a un encadrement qui est fait. Nous avons découvert avec bonheur que dans bien de ces pays, il y a des règles qui encadrent les différents cultes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Ces règles sont aussi de nature à promouvoir la tolérance entre les religions et au sein des différentes religions. Nous avons convoqué un forum, puis un deuxième qui a regroupé toutes les associations. C’est de façon interactive que nous avons défini les différents principes. Nous avons mis dans la loi des principes qui se limitent à énoncer des règles et des principes simples liminaires qui prévoient des textes sous forme de décrets et d’arrêtés. Ces textes vont être conçus dans le cadre d’une démarche interactive et itérative avec ceux qui exercent ces religions sur le terrain et qui ont des responsabilités à des titres différents. C’est le produit de toutes ces concertations que nous avons mis dans cette loi. Elle a fait l’objet de discussion avec les associations religieuses qui ont apporté leurs amendements.
Ce texte-là est élaboré dans ces conditions que nous avons présentées à l’Assemblée nationale. Il s’est trouvé que sur les 105 associations musulmanes, vers la fin, huit se soient démarquées pour dire que le domaine de la religion, du culte, ne devrait jamais être règlementé moins pour ce qui concerne l’islam. Pour elles, l’islam a déjà dit à l’homme ce qu’il doit faire et ce qu’il ne doit pas faire ; ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas et donc tout projet d’encadrement de l’islam est une violation de l’esprit de l’Islam et un projet de substitution à la parole de Dieu. Certains individus de ces associations ont entrepris une campagne d’intoxication qui a induit un imam de Maradi en erreur qui a fait un prêche un vendredi dans lequel il dénonce le fait que le gouvernement envisage d’instituer le mariage homosexuel et des choses qui n’ont absolument rien à voir avec la loi. Nous avons dû sévir contre ces gens-là. Je ne prends aucun risque en faisant des choses avec les musulmans et les chrétiens.
Et même dans le cadre d’une concertation, il n’y a pas l’ombre d’un seul article au contenu douteux dans cette loi. Le risque pour un candidat est celui d’un citoyen. Il est égal à zéro. Tous les musulmans conviennent en effet que nous devons définir des règles qui doivent s’imposer à tous. J’ai dû expliquer devant l’Assemblée nationale que le phénomène de Boko haram au Nigéria résulte d’un certain laisser-aller dans la façon dont le message de l’islam peut être porté par certains esprits qui le pervertissent totalement et ce n’est pas bien de ne pas mettre en place un minimum de dispositions de nature à nous éviter des perversions de ce genre. De même, leur ai-je expliqué, le phénomène de l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS) que nous avons ici à nos frontières. Des gens qui disent qu’ils sont en train de faire le djihâd qu’ils agissent au nom d’Allah, pourtant ce sont des criminels de la pire espèce. Mais ils se prévalent de l’islam, ils se réclament de l’islam parce qu’ils ont une certaine compréhension de l’islam, ce qui les amène à agir de la sorte. Il faut éviter ce type de compréhension de l’islam, il faut le prévenir et c’est le devoir de l’Etat de contrôler ce qui peut se dire dans les prêches dans les mosquées et dans les écoles coraniques.
Nous prévoyons que les ressources dont peuvent bénéficier les associations soient connues. Aujourd’hui, nous avons la loi 8406 de 1984 qui prévoit que toutes les associations, qu’elles soient religieuses ou pas, fassent un rapport de leurs ressources et la provenance de ces ressources. J’ai expliqué à ces associations que c’est une ordonnance donc une loi que nous sommes tenus d’appliquer. Si nous ne l’appliquions pas, c’est parce que nous n’avons pas senti la nécessité. Il n’y a pas de raison que maintenant que nous avons mis cette disposition de l’ordonnance de 84 dans la loi qui regroupe tous les textes qui sont un peu épars, nous ne l’appliquions pas. Nous n’inventons rien, le principe du contrôle de l’origine des ressources des associations existe déjà.
N’est-ce pas à cause du risque politique que certains pays ont laissé les choses en l’état, le frère religieux étant ce qu’il est ?
Non, je pense qu’au Burkina Faso, la pratique des cultes est réglementée. Je pense que c’est pareil au Mali …
Dans les faits, elle est réglementée, mais la plupart du temps, les politiques ont peur de l’électorat qu’ils ne veulent pas frustrer…
Non, nous ne faisons pas ce genre de calcul. On aurait tort de le faire. Je ne pense pas qu’il y a des hommes politiques qui puissent se comporter de cette façon-là. Je vous ai dit que nous avons 105 associations. Elles ont été associées aux discussions et elles sont entièrement d’accord. Vous avez des marabouts qui prennent des enfants au Niger qui les amènent au Nigéria et qui reviennent comme des monstres. Ils apprennent à fumer et sont des dealers de tramadol.
Nous avons expliqué que l’objectif de nos écoles coraniques qui est d’apprendre uniquement le Coran n’a plus de sens aujourd’hui. Avant, lorsque les gens étudiaient dans les écoles coraniques pour n’apprendre que le Coran, c’étaient des paysans qui cultivaient la terre. Mais dans nos villes aujourd’hui, il faut apprendre aux enfants un métier et nous avons combiné les écoles coraniques avec les écoles professionnelles. Ce sont autant d’idées qui enchantent les professionnels de la religion. Nous sommes totalement en phase avec eux. J’imagine des gains politiques à partir de maintenant qu’avant cela parce que je l’ai fait en toute transparence.
Dans certains pays comme le Mali, des hommes influents ont pu prendre ascendance sur des hommes politiques.
Oui, mais justement, ce sont des situations qui ne sont pas concevables au Niger. Ici, nous avons affirmé dans notre constitution le principe de la séparation de la religion de l’Etat et du caractère totalement apolitique des associations qui se réclament de la religion. C’est une ligne que nous ne permettrons à personne de franchir. Le statut des associations religieuses est traité par le ministère de l’Intérieur et c’est lui qui délivre les récépissés de reconnaissance et dedans, il n’y a pas une place pour elles de pouvoir prendre des positions politiques et dicter des règles à l’Etat ou au gouvernement. Ce n’est pas possible et de ce point de vue, les pays africains sont différents les uns des autres.
Vous êtes un grand ami du Burkina Faso pour ne pas dire plus. Il y a eu un évènement malheureux, la disparition de Salifou Diallo qui était comme une courroie de transmission entre les deux Etats. Est-ce pour autant que les deux pays, voire les deux partis au pouvoir ont gardé les meilleures relations comme dans le passé ?
N’exagérons rien. Le Burkina et le Niger ne se résument pas à la figure de Salifou Diallo et de Bazoum, de Issoufou et du président Roch Kaboré. Salifou était notre ami à nous. Nous avons toujours été de bons amis et pour les gens du PNDS, du CDP à l’époque et du MPP aujourd’hui, sa disparition sur le plan affectif, émotionnel est quelque chose d’extrêmement dur mais le président Roch Kaboré reste un grand ami du président Issoufou. Je suis un ami du président Kaboré et de tous les camarades du MPP, de Simon Compaoré. La fidélité à la mémoire de Salifou commande que nous restions des amis et nous le sommes.
Qu’est ce qui peut encourager des gens à venir au Niger où tous les jours on parle de terrorisme ?
C’est vrai que le Niger n’a pas beaucoup de chance aujourd’hui car il se retrouve entre trois grands foyers d’instabilité en Afrique. Nous sommes voisin de la Libye où il n’y a pas d’Etat, ni d’armée. Par conséquent, à la frontière de ce pays, passent des trafics divers qui alimentent en armement les guerres que nous avons dans la zone sahélienne. Nous avons aussi une frontière avec le Mali dans des zones où l’Etat n’est pas toujours présent et qui sont un peu sous l’influence des organisations terroristes notamment dans la région de Ménaka et puis dans le lit du lac Tchad, comme vous le savez, la bande frontalière du territoire entre le Nigéria et nous qui est sous l’emprise de Boko-haram.
Si pour la Libye, le lit du lac Tchad est très loin de la capitale, la frontière malienne est très proche de Niamey. La menace terroriste est beaucoup forte sur notre capitale. Mais vous aurez remarqué que nous sommes un pays qui s’en sort plutôt bien. La preuve est ce sommet qui vient de se tenir dans de bonnes conditions. Nous avons contenu nos ennemis pour ce qui concerne Boko-haram, je suis péremptoire, cette organisation pour le Niger ne représente plus de menace stratégique sauf s’il y a un coup de l’histoire où il se renforce ailleurs. En 2019, nous avons imposé un rapport de force qui ne fait plus de lui une menace stratégique pour nous.
Notre armée a acquis le savoir-faire qui lui a permis de créer ce rapport de force de même que la frontière du Mali va acquérir le savoir-faire nécessaire pour créer le même rapport de force. Le président Issoufou est totalement investi dans ce sens, nous allons nous doter des moyens d’équipements le plus en adéquation avec les formes de combats que nous menons avec notre ennemi. Nous sommes sûr que nous nous adapterons à ces exigences et nous ferons en sorte que cette menace ne soit plus prégnante. Par conséquent, qu’on cesse d’associer le nom de notre pays au terrorisme. C’est le travail que font nos amis Burkinabè où aujourd’hui, je le sais, la situation est en train de s’améliorer considérablement. C’est le travail que fait la Mali avec le président Ibrahim Boubacar Keita avec une chance d’évolution beaucoup plus positive.
Justement, dans ce sens, qu’est-ce qui empêche la coalition des trois pays que vous venez de citer, sous un commandement unique ?
On n’a pas besoin de commandement unique pour le moment. Ce que nous faisons avec le Burkina Faso à nos frontières est déjà suffisant. Nous avons assez de coordination, mais aussi de présence à nos frontières respectives. Vous aurez constaté que nous avons contenu nos ennemis du côté Est pour le Burkina Faso et du côté Ouest pour le Niger. L’armée malienne est en train de se reconstituer. Elle ne s’est pas encore totalement remise des situations qu’elle a vécues à partir de 2012. Pour le moment, elle n’occupe pas le territoire le long de sa frontière avec nous comme c’est le cas avec le Burkina Faso. Le jour où elle se sera reconstituée et qu’elle aura acquis ses moyens pour pouvoir se déployer le long de sa frontière avec le Niger, nous aurons une situation similaire à celle du Burkina Faso. Donc, c’est cela la réponse. Vous avez évidemment le G5 Sahel qui institue une grande coordination sur les espaces où les différents bataillons sont déployés aujourd’hui. Il faut travailler à ce que tout cela prenne corps véritablement.
A chaque attaque, il y a cette question de moyens qui est pointée par certains citoyens. Dans le cadre du Niger, est-ce une question de moyens ou de leur utilisation ?
Non, au contraire. A chaque fois que nous avons été attaqués, l’ennemi a emporté des moyens considérables qui peuvent se retourner contre nous un jour, si ce n’est déjà le cas. La guerre est asymétrique et très souvent d’ailleurs, les moyens sont totalement disproportionnels. Quand vous avez des mortiers, des canons dans des casernes alors que la cible est une motocyclette, c’est quelque chose d’un peu absurde. Or, malheureusement, il peut arriver, comme il a été le cas à Inatès la fois dernière, qu’on nous prenne des positions de ce genre où vous avez un armement très lourd qui n’est pas adapté à l’ennemi. Ne croyez pas qu’au Niger, nous avons un problème de moyens, bien au contraire. Il n’y a qu’à entendre le nombre de véhicules que nous perdons sur les mines ou que l’ennemi emporte pour savoir que nous sommes suréquipés. Mais notre problème c’est le caractère asymétrique de la situation et nous sommes en train d’évoluer pour concevoir les formes d’actions les plus adaptées.
N’y a-t-il pas lieu d’œuvrer à empêcher les terroristes de frapper dans un pays et fuir pour se réfugier dans un autre ?
Aujourd’hui, il leur est difficile de frapper au Niger et se réfugier au Burkina Faso. Mais, il est en revanche facile de frapper au Mali et d’entrer au Niger parce l’armée malienne n’est pas suffisamment déployée à la frontière pour constituer un tampon. Le jour où dans la région de Ménaka nous aurons des positions au Mali et des positions de postes militaires de reconnaissance avancés très proches de notre frontière comme c’est le cas des postes que nous avons à Tiloa, à Chinagoder, à Inatès et à Ikrafane, notre ennemi aura beaucoup plus de difficultés à se déployer.
Vous êtes aidés par des forces étrangères comme Barkhane et la MINUSMA qui sont beaucoup plus décriées par les populations. Pensez-vous que ces forces sont utiles aujourd’hui?
Barkhane est très utile et il n’y a pas de doute. Il agit notamment dans la région de Ménaka, frontalière du Niger avec des résultats probants en coordination parfois avec nous. Je serai malhonnête et déloyal si je vous disais que ce qu’ils font ne sert à rien puisqu’ils n’ont pas tué le problème à la racine. Cela dit, il faut savoir que nos amis ne se substitueront pas à nous et le gros du travail nous revient.
Dans un journal prisé par les hommes politiques du continent, il a été dit que votre appartenance communautaire pourrait être un handicap, en tant que candidat à la présidence du votre pays. Ce fait communautaire est-il encore prééminent sur la vie politique au Niger.
Je n’en sais rien. Je suis mal à l’aise pour répondre à une telle question, sachant que je suis d’une petite communauté, que tout un parti m’a désigné et que le président de la République qui a un bilan qu’il entend pérenniser a porté son dévolu sur moi. Oui ! En Afrique, il n’y a pas de doute, le phénomène ethnique est une réalité. D’ailleurs, où ne le serait-il pas ? C’est vrai qu’il y a eu Barack Obama aux Etats-Unis mais je ne pense pas qu’un Noir peut être président de France. Et c’est la vie.
Le Niger est l’un des pays du Sahel les plus intégrés de tous les ordres. Nous sommes un espace très ouvert parce que nous sommes au centre du Sahel. C’est un pays de métissage à nul autre comparable. Vous y trouvez des populations originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique au Sud du Sahara, qui ont vécu sur cet espace depuis des siècles. Les citoyens nigériens, et c’est un trait de culture qui ne date pas d’aujourd’hui, sont très tolérants et pacifiques. C’est cela qui explique que nous avons moins de violence qu’ailleurs.
C’est tellement vrai et le phénomène ethnique est tellement peu prégnant que le père du 1er président démocratiquement élu après la Conférence nationale, vient du Tchad. C’était le président Mahamane Ousmane. Le 2e président démocratiquement élu est le président Tandja et son père vient de la Mauritanie. Ne croyez pas qu’il n’y ait pas eu de la part de certains, des campagnes sur le thème de l’origine de leurs pères respectifs. Moi aussi, mes adversaires évoquent mes origines arabes. Sauf que mon arrière-grand-père est arrivé au Niger dans les années 1840. Pas en 1940 mais, c’est en 1840 que sa tribu Ouled Slimane dont je relève est arrivée au Niger. Les livres d’histoire sont là pour le confirmer.
Je n’ai jamais été perçu comme appartenant à une ethnie, mais comme un dirigeant politique. Quiconque m’a connu en politique ou à travers les syndicats, me reconnait comme quelqu’un de très engagé et j’ai assumé des fonctions très importantes au cours desquelles beaucoup m’ont certainement connu comme quelqu’un pour qui ces considérations sont totalement secondaires. La couleur de ma peau et mes origines sont des choses qui, dans la conscience des gens, sont plutôt secondaires à mon avis. Il va être difficile aujourd’hui de convaincre une grande partie des Nigériens que je n’ai pas de légitimité à prétendre à la présidence de la République de ce pays, à cause de la façon dont j’ai été perçu.
En tout cas, depuis que je suis candidat, je n’ai jamais été en face de quelqu’un qui a eu un comportement douteux à mon égard. Mais je peux vous dire que lorsque le président Issoufou voulait me proposer, je n’avais pas manqué de lui dire que je ne l’ai jamais imaginé, parce que je suis justement d’une minorité. Je n’ai pas manqué aussi de lui résister en lui expliquant que le phénomène ethnique peut nous jouer un tour. Mais il a obstinément refusé et à l’expérience, je me rends compte qu’il n’avait pas tort.
Mais, j’ai toujours été modeste et pensé que la fonction présidentielle est une fonction redoutable sur laquelle il ne faut pas se jeter juste parce qu’on en a envie. Il faut s’entourer de précautions d’ordre moral pour ne pas se laisser aller à des tentations parfois indécentes. Je n’ai pas un rapport au pouvoir qui peut relever de l’indécence. J’essaie d’être intègre et lucide au maximum en me disant que le pouvoir, après tout, c’est une affaire de Dieu.
(NB : Interview parue dans le quotidien ‘’Sidwaya’’, partenaire de l’ONEP)