Le Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), Chef de l’Etat, le Général de Brigade Abdourahamane Tiani a accordé, le samedi 30 septembre dernier, une interview exclusive à la Radio Télévision du Niger (RTN). A travers cette interview en langues nationales (Haoussa et Djerma), le Président du CNSP a, dans un langage franc, abordé tous les contours de la situation sociopolitique du pays. Des raisons du coup d’Etat du 26 juillet à la rentrée scolaire, en passant par la coopération avec la France, la création de l’Alliance des Etats du Sahel, les sanctions de la CEDEAO, la cherté de la vie, la lutte contre l’impunité, la transition politique et la campagne agricole, le Général Abdourahamane Tiani a répondu sans tabous aux questions de nos confrères.
A l’entame de cette interview, le président du CNSP, Chef de l’Etat a présenté, au nom du CNSP, du gouvernement de transition et du peuple nigérien, ses condoléances aux parents, veuves et orphelins des victimes civiles et militaires du terrorisme. Le Chef de l’Etat a ensuite exprimé ses remerciements aux populations nigériennes pour leur mobilisation déterminée dans le combat pour la souveraineté et le respect de la dignité du peuple nigérien. Le Général Abdourahamane Tiani a également salué le soutien sincère et indéfectible des pays amis comme le Mali et le Burkina Faso ainsi que des autres peuples frères africains y compris ceux du Nigéria, du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal qui ne sont pas nécessairement en phase avec leurs dirigeants.
Sur les raisons du putsch
Parmi, les multiples raisons qui expliquent le coup d’Etat du 26 juillet 2023, le président du CNSP a insisté sur deux d’entre elles à savoir la détérioration de la situation sécuritaire et la mauvaise gouvernance. En effet, le Chef de l’Etat a souligné que sur le plan de la lutte contre le terrorisme, l’option prise par le pays est loin d’être la bonne tandis que sur le plan de la gouvernance, les ressources du pays sont accaparées par un groupuscule d’individus usant de la corruption, de népotisme et de détournement massif de deniers publics, le tout couvert par une impunité institutionnalisée. « Les autorités d’alors en étaient conscientes mais faisaient semblant de ne rien voir. Nous étions obligés de prendre nos responsabilités face à l’issue incertaine dans laquelle le pays est engagé », a déclaré le Général de brigade Abdourahamane Tiani.
Sur les accords de défense et la coopération avec la France
Le Chef de l’Etat est revenu sur le début du stationnement des militaires français au Niger qui, a commencé en 2010 à la suite de la prise d’otage français au bar ‘’Le Toulousain’’, puis celle des travailleurs d’Areva à Arlit sous la transition militaire de l’époque. Mais l’implantation des bases militaires françaises en tant que telle a commencé avec les autorités élues à partir de 2011. Depuis lors, la France clame partout qu’elle est là pour nous aider à lutter contre le terrorisme. « Mais si c’était réellement le cas, on serait arrivé au bout du terrorisme. Malheureusement, le phénomène ne fait que se répandre dans nos pays », a déclaré le Chef de l’Etat, déplorant les nombreuses morts de civils et militaires. « Nous en tant que militaires, nous avons alerté, nous avons conseillé, mais on ne nous a pas écoutés. On ne peut pas fermer les yeux sur cette situation », a relevé le Général Tiani ajoutant que le Niger ne peut pas arriver au bout du terrorisme s’il n’y a pas une synergie d’actions avec ses voisins, confrontés aux mêmes défis à savoir le Mali et le Burkina Faso. Malheureusement a-t-il précisé, les autorités déchues ont systématiquement refusé de coopérer avec ces pays frères.
C’est pourquoi, le CNSP a décidé de revoir la stratégie de lutte contre ce fléau en décidant de coopérer étroitement avec les pays sus cités. Malheureusement ceux qui ont empêché cette coopération entre le Mali, le Burkina et le Niger manipulent actuellement la CEDEAO menaçant le Niger d’une agression. « Actuellement, nos forces de défense et de sécurité sont sur plusieurs fronts parce qu’il nous faut faire face à la menace de la CEDEAO, lutter contre le terrorisme, protéger les institutions de l’Etat, sécuriser les frontières, assurer la sécurité intérieure et sécuriser nos ressources naturelles. N’eut été cette démultiplication des fronts, le terrorisme serait relégué dans l’histoire au Niger. C’est une situation sciemment créée, mais le Niger s’en sortira. Nos forces de défense et de sécurité sont à la hauteur des défis », assure le Chef de l’Etat.
Le président du CNSP dit n’avoir aucun doute que les forces militaires françaises. « De la même façon qu’un Nigérien ne peut pas rester sur le territoire français sans l’accord des autorités françaises, les militaires français vont quitter le Niger. Ils disent que nous ne sommes pas élus, c’est vrai. Mais nous sommes nigériens et le Niger c’est la terre de nos ancêtres. Nous ne connaissons pas un autre pays que le Niger », a déclaré le Général Abdourahamane Tiani. Le Chef de l’Etat a tenu à rappeler que les temps ont changé. Le Niger a changé. « Nous ne sommes pas les dirigeants qu’ils connaissaient, qu’on intimidait. Du reste, c’est le peuple nigérien qui a exigé le départ des français. Nous avons également le soutien des peuples frères africains et de tous les peuples épris de justice. Les militaires français quitteront le Niger, c’est une question de temps », a-t-il insisté.
Pour ce qui est de la suite de la coopération avec la France, le Chef de l’Etat a été clair. « C’est à la France de choisir ce qui l’arrange. Pour notre part, il faut que tout le monde le sache : les richesses du Niger appartiennent au Niger. Ces richesses doivent bénéficier d’abord aux Nigériens. Nous avons aujourd’hui des partenaires qui sont prêts à travailler avec nous pour valoriser ces ressources dans un partenariat respectueux de notre souveraineté et plus bénéfiques aux Nigériens. Nous n’avons pas besoin de quémander. Il n’est plus question que des gens viennent exploiter nos ressources et nous qualifient en même temps de ‘’pays le plus pauvre’’. Le temps des mascarades est terminé. C’est aux Nigériens de décider ce qui peut être fait et comment il doit l’être. Notre souveraineté et notre dignité ne sont pas négociables », a prévenu le Général de brigade Abdourahamane Tiani.
De la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES)
La création de l’AES vient selon le président du CNSP corriger une anomalie dans la stratégie de lutte contre le terrorisme. « On ne peut pas prétendre lutter efficacement contre le terrorisme lorsque nos trois pays qui partagent une même frontière et les mêmes défis ne travaillent pas ensemble », a déclaré le Chef de l’Etat. A travers l’AES, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont ainsi décidé de mettre leurs moyens, leurs intelligences en commun pour faire face à ce fléau. Mais l’AES n’a pas que des objectifs sécuritaires. « C’est une alliance pour l’exploitation et la valorisation de nos ressources afin d’impulser un développement intégré profitable à nos populations », a précisé le Général Tiani.
Quid des sanctions de la CEDEAO ?
Le président du CNSP s’est dit affligé de voir une organisation sensée promouvoir la solidarité être instrumentalisée pour punir des peuples. Il a rappelé le caractère illégitime, illégal et inhumain des sanctions infligées au peuple nigérien. « Nulle part dans les textes de la CEDEAO, il n’est prévu ce genre de sanction. Lorsqu’il y a un problème dans un pays, la CEDEAO est tenue d’écouter d’abord et de chercher à le résoudre par le dialogue. Il y a eu le coup d’Etat le 26 juillet et le 30 juillet, elle a pris les sanctions les plus extrêmes. Si la CEDEAO pouvait nous priver d’oxygène, elle l’aurait fait parce qu’elle est poussée à agir de la sorte. Fort heureusement, le peuple nigérien est resté soudé et tous les peuples frères nous ont exprimé leur solidarité y compris dans les pays où les dirigeants ont décidé de répondre aux injonctions venues d’ailleurs », a rappelé le Général Abdourahamane Tiani.
Le Chef de l’Etat dit avoir notifié ceci un jour à une délégation de la CEDEAO. « Regardez bien ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. Bien que ces deux pays soient en guerre ouverte, la Russie n’a pas coupé le gaz à l’Europe et l’Ukraine n’a pas bloqué les gazoducs russes qui traversent son territoire. Ici, le Nigeria nous a coupé l’électricité. Pourtant, nous ne sommes pas en guerre contre ce pays. Nous savons que c’est la France qui pousse certains de nos voisins à agir de la sorte. Mais, Dieu est avec nous. Et nous ne remettons pas en cause notre histoire, notre fraternité. La preuve est que les populations nigérianes et béninoises prient au même titre que les Nigériens pour la paix au Niger », a relevé le Chef de l’Etat.
Conscient des impacts de ces sanctions, le président du CNSP a réitéré la reconnaissance du peuple nigérien au Mali et au Burkina qui ont décidé de faciliter l’approvisionnement du Niger via leurs corridors.
Sur la cherté de la vie
Face à la hausse des prix de certaines denrées sans raisons valables, le Chef de l’Etat s’est dit surpris et même gêné de constater que certains opérateurs économiques ajoutent aux effets des sanctions de la CEDEAO. En effet, a-t-il rappelé, suite auxdites sanctions, les autorités ont échangé avec les opérateurs économiques sur l’approvisionnement du pays. C’est ainsi que des escortes militaires sont mises à la disposition des importateurs pour sécuriser de concert avec le Burkina, l’acheminement des denrées alimentaires de Dori (au Burkina Faso) jusqu’à Niamey. « Aucun importateur n’a payé un seul franc. Ce sont les moyens de l’armée que l’Etat met à leur disposition. La seule contrepartie sur laquelle ils se sont engagés consiste à maintenir un niveau de prix raisonnable. Il est dommage de constater aujourd’hui que des commerçants nigériens sont à la base de cette flambée des prix », a déploré le président du CNSP rappelant que le Mali et le Burkina Faso avaient connu la même situation. « Ils ont réussi à surmonter cette situation parce que certains de leurs opérateurs économiques ont même accepté de vendre les denrées à perte pour aider les populations et les autorités. Il faut que nos opérateurs économiques sachent que l’Etat a le devoir et le droit de protéger les citoyens. Nous allons suivre toutes les voies légales pour le faire », a prévenu le Général Abdourahamane Tiani.
Sur la justice et la transition
Le président du CNSP a relevé que la mal gouvernance et la corruption est un constat unanime. « Chacun vit cette situation dans sa chaire et ceux qui étaient censés arrêter cet état de fait n’y ont rien fait », a-t-il souligné. D’où l’un des engagements forts du CNSP de mettre un frein à cette pratique. « C’est pourquoi, nous avons mis en place la COLDEFF. Cette structure aura pour mission de remettre l’Etat dans ses droits. Ceux qui se sont illégalement appropriés des biens publics et dont la justice va l’établir comme tel, vont les restituer », a expliqué le Chef de l’Etat qui dit attendre l’aide des citoyens en vue d’avoir des personnes crédibles pour faire ce travail. Nous allons donner carte blanche à la justice. Personne ne va intervenir en faveur de X ou de Y. Nous ne protégerons personne », a annoncé le Général Abdourahamane Tiani.
Pour le Chef de l’Etat, le temps de cette transition doit aussi être mis à profit pour refonder notre pratique de la démocratie. « Jusqu’alors, les populations n’ont de voix que pendant les élections. Ce qui fait qu’une fois élus, les dirigeants se prennent pour des pharaons et ne font qu’à leurs têtes. Ils se croient tout permis. Pourtant la démocratie n’est pas étrangère à nos traditions. Dans nos sociétés, les sages se retrouvaient sous l’arbre à palabre pour discuter et décider de ce qui est bien pour la communauté. Aujourd’hui la démocratie est réduite à sa plus simple expression, c’est-à-dire les élections. C’est pourquoi, il faut mettre des garde-fous nécessaires pour que les dirigeants élus ne se croient pas tout permis y compris ce qui ne va pas dans le sens des intérêts vitaux du pays et de son peuple », a estimé le Général Abdourahamane Tiani.
C’est pour aller dans cette direction que le CNSP et le gouvernement de transition ont décidé de l’organisation des consultations nationales. « Désormais la voix de chaque citoyen doit être prise en compte, depuis les hameaux et villages jusqu’à la capitale en passant par les communes, les départements et les régions », a-t-il expliqué. Le gouvernement travaille à définir les modalités de ces assises qui, a-t-il assuré, ne seront pas longues. Elles ne seront pas non plus une occasion de joutes oratoires.
Campagne agricole et rentrée scolaire
D’après le Chef de l’Etat, la campagne agricole s’annonce prometteuse même si ce n’est pas à 100%. Le Général Abdourahamane Tiani a évoqué les missions effectuées par le ministre de l’Agriculture et de l’Elevage. Il a parlé d’un taux satisfaisant à 70%. Et c’est pour combler les 30% que le gouvernement a très tôt décidé de lancer la campagne des cultures irriguées 2023-2024. Le président du CNSP a par ailleurs ajouté que le Stock National de sécurité sera renforcé en vue d’assurer la disponibilité des denrées alimentaires et mettre les populations à l’abri des pénuries tout en maintenant des niveaux de prix abordables.
Sur la question de l’éducation, le président du CNSP a rappelé que les Universités publiques ont déjà repris les cours depuis une quinzaine de jours d’une part. D’autre part, les autres cycles reprendront ce 2 octobre. « Toutes les dispositions ont été prises à cet effet. Les fournitures scolaires essentielles sont disponibles. Devant la renonciation de certains opérateurs économiques adjudicataires de marchés de fournitures et les effets des sanctions, nous avons dû suivre notre voie pour avoir ces fournitures. Si nous sommes dirigeants aujourd’hui, c’est grâce à l’école publique. C’est pourquoi nous avons le devoir de tout faire pour que les enfants nigériens prennent le chemin de l’école dans les conditions idoines. C’est pourquoi, les fournitures les plus nécessaires ont été acheminées par des vols spéciaux. Le reste, plus de 1060 tonnes seront acheminées par camions », a expliqué le Chef de l’Etat ajoutant que le gouvernement a également procédé au paiement des pécules des contractuels qui constituent le gros des effectifs des enseignants.
La suite du combat
A l’étape actuelle de cette lutte du peuple nigérien pour la souveraineté et la dignité, le président du CNSP s’est réjoui de constater le fort sentiment patriotique qui anime tous les Nigériens sans distinctions aucune. Cela s’est traduit par la mobilisation constante, le soutien indéfectible au CNSP et aux FDS, les prières et invocations pour la paix et la stabilité du Niger. « Je suis vraiment heureux de constater que les Nigériens regardent désormais dans la même direction, avec le même objectif : le Niger d’abord », a souligné le Général Abdourahamane Tiani.
Cependant, le chef de l’Etat a précisé que la guerre n’est pas finie. « Nous commençons à gagner des batailles. Il faut que nous préservions notre unité. Les Nigériens doivent garder à l’esprit que c’est à nous de travailler pour redorer l’image de notre pays. Personne ne le fera à notre place. Et au regard du contexte actuel, nous devons rester vigilants. Nos ennemis ont semé les germes d’un fléau. Nous devons resserrer nos rang et travailler pour relever les défis qui se posent devant nous » a-t-il conclu.
Siradji Sanda (ONEP)