Mme la ministre, le Niger célèbre le 13 mai prochain, la journée nationale de la femme nigérienne, édition 2023, dans un contexte marqué par de multiples défis. Quels sont les progrès enregistrés par celle-ci dans le domaine de l’entreprenariat féminin où vous êtes aujourd’hui la première responsable ?
Avant de parler de l’entrepreneuriat féminin, je voudrais d’abord rappeler que la Journée Nationale de la Femme Nigérienne est le résultat de la lutte des femmes nigériennes qui se sont senties marginalisées lors des préparatifs de la Conférence Nationale Souveraine des forces vives de la Nation de 1991. Ce mouvement, à lui seul, montre à quel point les femmes étaient absentes des sphères de décision. Et comme l’adage le dit, «seule la lutte paie». Aujourd’hui, les lignes bougent car, la femme nigérienne est présente partout où le devoir appelle les citoyens. Et cela sur toutes les questions qui touchent au développement socio-économique et politique de notre pays. Nous pouvons dire que le mouvement de 1991 a libéré les femmes, a libéré leur énergie à tous les niveaux, que ce soit au plan politique ou au plan économique.
Partant de cet état de fait, l’entrepreneuriat féminin a pris de l’ampleur ces dernières années, particulièrement dans le domaine agro-alimentaire. Nous comptons aujourd’hui, plusieurs femmes promotrices et chefs d’entreprises industrielles. Les femmes sont également présentes dans le secteur des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, dans le secteur de l’habillement, ceux des cosmétiques, de la restauration, du tourisme, de l’agro-business. L’entrepreneuriat des femmes touche également les secteurs sociaux comme l’éducation, la santé. Je n’oublie pas le secteur du commerce où les femmes occupent une place de choix.
D’énormes progrès sont enregistrés, tant en milieu rural qu’au niveau des centres urbains. Aujourd’hui, il n’y a plus de domaine réservé. Les femmes sont présentes et très actives dans tous les secteurs d’activités. Elles opèrent individuellement ou en groupe sous différentes formes : groupements d’intérêt économique, coopératives, associations etc. Un regard rétrospectif dans le secteur de la transformation agro-alimentaire permet de constater une amélioration sensible dans la conduite des entreprises dirigées par les femmes, en ce qui concerne le management, les processus de production y compris les questions liées à la sécurité sanitaire des aliments, les emballages et bien d’autres aspects de la vie des entreprises. Je voudrais également souligner qu’en milieu urbain, une profonde mutation est observée dans l’entrepreneuriat féminin, celle qui consiste à mettre en place des entreprises formelles, durables et créatrices d’emplois en lieu et place d’activités génératrices de revenu dont l’objectif principal est de contribuer à l’autonomisation des femmes. Tout ceci est le fruit des efforts conjugués de l’Etat du Niger et de ses partenaires, qui ont su mettre en place les conditions et les instruments nécessaires en vue d’accompagner l’entrepreneuriat des femmes.
Ces dernières années, on constate un fort engouement des femmes dans l’entrepreneuriat. Est-ce qu’il existe un mécanisme de promotion ou une stratégie qui permet de favoriser l’entrepreneuriat féminin ?
L’entreprenariat des femmes est fortement soutenu par l’Etat du Niger et ses partenaires. Plusieurs services de l’Etat, des partenaires bilatéraux et multilatéraux et des ONG contribuent à améliorer le cadre d’exercice des femmes entrepreneures. Les interventions concernent le renforcement des capacités, la fourniture de matériels et d’équipements de production, les échanges d’expériences, etc. La Stratégie Nationale de Promotion d’Entrepreneuriat des Jeunes adoptée par le Gouvernement prend en compte la dimension femme entrepreneure. Par ailleurs, plusieurs projets et programmes sont mis en place par l’Etat en vue d’encourager l’entrepreneuriat des femmes tant en milieu urbain que dans le monde rural. De plus, le Gouvernement a mis en place une Stratégie Nationale de la Finance Inclusive en vue d’améliorer les conditions de vie des populations pauvres. Ceci permet aux femmes l’accès au financement de leurs projets à côté du dispositif traditionnel. Enfin, le programme de certification des produits et services mis en œuvre par l’Agence Nationale de Normalisation, de Métrologie et de Certification contribue fortement à la promotion des produits fabriqués par les femmes transformatrices.
Beaucoup de femmes entrepreneures au Niger excellent dans la transformation agro-alimentaire avec des outils et des techniques artisanales. Or notre pays a accueilli en novembre 2022 le sommet de l’Union Africaine sur l’Industrialisation économique en Afrique. Quelles sont les perspectives qui s’ouvrent pour ces nombreuses transformatrices en vue d’une modernisation de la filière ?
Effectivement, l’entrepreneuriat féminin est plus présent dans la transformation agro-alimentaire. Les activités de transformation concernent toutes les spéculations agricoles, les produits de l’élevage, de la pèche, de la forêt. Il nous est loisible d’affirmer que les produits agro-sylvo-pastoraux et halieutiques du Niger font l’objet de transformation et à des degrés différents. Toutefois, comme vous l’avez souligné, les équipements de production et les processus sont le plus souvent artisanaux et les actions à prédominance manuelles. Ceci fait que la qualité des produits ne pourrait pas être totalement garantie, même si par ailleurs, ces femmes maitrisent bien les processus de production.
Lors de la Semaine de l’Industrialisation de l’Afrique en novembre 2022 ici même à Niamey, mon département ministériel avait organisé des activités parallèles. Et fort du souci de voir développé l’entrepreneuriat au Niger, nous avons retenu un panel sur le thème «Les PME dirigées par les jeunes et les femmes : moteur de l’industrialisation de l’Afrique». Parallèlement, un forum des femmes transformatrices a été organisé sous le haut patronage de la Première Dame Mme Khadijatou Bazoum. Il est entre autres ressorti du panel que les PME jouent un rôle indéniable dans l’économie des pays africains à travers l’industrialisation. Elles génèrent près de 80% des emplois des jeunes et des femmes mais sont confrontées à des difficultés. Pour faire face à ces entraves, les PME doivent bénéficier d’un accompagnement pour les aider à avoir une vision claire de leur ambition, de bien gérer leurs affaires et avoir des compétences nécessaires pour la levée des fonds. Il faut aussi un engagement fort et une collaboration de toutes les parties prenantes dont : les pouvoirs publics, le secteur privé, les structures de financement, les partenaires au développement, les organisations non-gouvernementales, les organisations de la société civile et les médias. Les interventions ont également fait ressortir que le renforcement des PME dirigées par les jeunes et les femmes est à même de soutenir la croissance inclusive du secteur, de permettre l’accès à l’information (connaissance du marché, éducation à la recherche des opportunités, formations spécifiques) et à un certain nombre d’outils.
Au sortir de cette semaine et à l’issue du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine du 25 novembre 2022, des décisions importantes ont été prises. En ce qui puisse concerner les femmes entrepreneures, l’on peut noter la création des parcs industriels durables avec des espaces dédiés aux PMI (Petites et Moyennes Industries), comme moyen de surmonter les contraintes actuelles des infrastructures industrielles. Il a été également convenu de renforcer la mobilisation des ressources nationales pour assurer le financement durable de l’industrialisation de l’Afrique, d’allouer un minimum de 5 % du budget national au développement industriel et investir dans la fabrication et la transformation des produits agricoles. Il a été également décidé d’accélérer la finalisation des normes et directives pour le Label « Made in Africa » et de réserver au moins 10 % des marchés publics aux entreprises locales, afin de renforcer le développement du secteur privé et l’industrialisation.
L’accès au crédit bancaire surtout pour les femmes est souvent invoqué comme principal frein à l’entrepreneuriat féminin ; quelles sont les solutions envisageables par l’Etat pour surmonter cet obstacle et permettre l’émergence d’un écosystème financier favorable à l’entrepreneuriat féminin dans notre pays ?
Je ne pense pas que les difficultés d’accès au crédit bancaire constituent le principal frein à l’entreprenariat féminin. Il y a tant d’autres obstacles. S’agissant particulièrement des questions de financement, notre pays a enregistré des avancées notamment avec la création et l’opérationnalisation de l’Agence de Financement des PME/PMI. En plus, sous l’impulsion de l’UEMOA, un dispositif de financement des PME a été mis en place et associe les banques commerciales, les établissements financiers et les structures d’appui et d’accompagnement. Ce dispositif permet de faciliter l’accès des PME aux crédits bancaires avec la facilitation de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, l’Etat a encouragé la mise en place des structures de micro-crédit sur l’ensemble du pays à travers la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de la Finance Inclusive.
Outre l’accès au crédit, quels sont les autres freins à l’essor de l’entreprenariat féminin au Niger ?
En plus des difficultés des femmes à accéder aux crédits, il y a d’autres obstacles qui me paraissent importants. Je pourrais citer notamment : les pesanteurs socio-culturelles, l’accès restrictif au foncier, le manque de formation, l’accès au marché. Dans notre milieu, certains pensent que la femme ne doit pas être un acteur économique et que son rôle doit se limiter à s’occuper du foyer conjugal notamment les tâches domestiques, l’entretien et l’éducation des enfants. Dans certains cas, les femmes autorisées à exercer des activités économiques le font à l’avantage de leurs conjoints pour subvenir aux besoins essentiels de la famille. Les difficultés d’accès à la terre (on dit généralement que la terre appartient aux hommes) limitent également le rôle des femmes dans l’agro-business. En milieu urbain, les femmes entrepreneures ont des problèmes pour acquérir des sites de production, soit parce que les terrains coûtent excessivement cher, soit les frais de location sont exorbitants. Aussi, les femmes sont pleines d’initiatives, mais le plus souvent elles manquent de formations adéquates. Le renforcement de leurs capacités à gérer les entreprises est essentiel si tant est que leur participation à l’industrialisation du pays est recherchée. C’est aussi la voie pour accéder au marché avec l’appui des structures spécialisées de l’Etat.
L’entreprenariat est un domaine qui comporte beaucoup de risques et requiert un minimum de formation, quelles sont les actions entreprises par votre département ministériel pour encourager les femmes afin d’y faire carrière ?
Comme je venais de le dire, la formation est d’une très grande importance dans la vie des entreprises. Le Gouvernement est bien conscient de cela et c’est la raison pour laquelle il a mis en place des structures qui appuient au renforcement des capacités des entrepreneurs notamment des femmes. Tout ce qui est nécessaire à la bonne gestion des entreprises leur est transmis à travers l’organisation d’ateliers, de séminaires et de voyages d’étude. Tous les aspects qui touchent la vie des entreprises sont pris en compte dans les formations dispensées, à commencer par comment créer son entreprise, le leadership féminin, l’organisation du travail, les bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication, le management de la qualité, les techniques de vente etc. Je voudrais assurer qu’au niveau de mon département ministériel, nous fournissons beaucoup de services aux entreprises notamment en matière de protection des droits de la propriété industrielle, de vulgarisation des technologies, d’élaboration des normes de certification des produits et des services d’accompagnement à la mise à niveau. Tout ceci concourt au renforcement des entreprises et à l’amélioration de leur compétitivité.
Par Réalisée par Hassane Daouda(onep)