Au Niger, tout comme dans de nombreux pays en voie de développement, l’intensification de l’agriculture a entrainé une augmentation de l’utilisation des intrants agricoles, notamment les pesticides. Ces derniers contribuent non seulement à booster la productivité mais, aussi à contrôler des ravageurs et les mauvaises herbes. En plus, ils constituent aujourd’hui une composante essentielle des techniques de production agricole.
Beaucoup d’agriculteurs, pour faire face aux pertes de rendement dues aux ennemis des cultures, ont recours à la lutte chimique : l’utilisation des pesticides. Cependant, leur utilisation a des conséquences à la fois positives et négatives. Selon, Dr. Bachirou Bodo, Enseignant chercheur à la faculté d’agronomie à l’Université Boubacar Bâ de Tillabéri, le non-respect des bonnes pratiques de l‘utilisation des pesticides présente des risques importants pour la santé humaine, l’environnement, et la biodiversité. La majorité des utilisateurs de ces substances est analphabète et ignore les conséquences sanitaires et écologiques.
Elles sont partout dans l’environnement : l’eau, les sols, les aliments, mais également dans l’air. Selon le spécialiste en agro-écologie, l’utilisation des pesticides a un impact négatif direct sur la santé humaine à différentes échelles. Ainsi, les agriculteurs et les travailleurs agricoles qui manipulent des pesticides sans protection adéquate sont exposés à des risques d’intoxication aiguë. « Cela peut entraîner des symptômes tels que des maux de tête, des nausées, des étourdissements, des irritations de la peau et des yeux, voire des effets plus graves comme des convulsions ou des troubles respiratoires », a-expliqué Dr. Bachirou Bodo. A long terme, une exposition prolongée aux pesticides peut avoir des effets chroniques tels que des cancers, des troubles neurologiques, des problèmes de reproduction, et des perturbations endocriniennes. Ces risques, d’après Dr. Bodo, sont accrus par le manque de sensibilisation et d’éducation des agriculteurs sur les dangers des pesticides.
Outre l’impact sur la santé, les pesticides constituent un véritable agent de pollution des sols. Généralement, peu d’agriculteurs sont conscients de l’impact de l’utilisation de ces produits sur l’environnement. Le choix du produit se fait exclusivement sur des critères d’efficacité. En effet, l’utilisation excessive ou inappropriée des pesticides peut entraîner l’accumulation de résidus toxiques dans les sols. Cette pollution, soutient l’enseignant-chercheur, peut réduire la fertilité du sol, affecter la santé des micro-organismes bénéfiques et entraîner une dégradation générale de la qualité des terres agricoles.
Les pesticides peuvent aussi se retrouver dans les sources d’eau comme les rivières, les lacs et les nappes phréatiques, à travers le ruissellement et l’infiltration. Cela peut avoir des conséquences graves sur la qualité de l’eau potable et sur la faune aquatique. La contamination de l’eau par les pesticides, note-t-on, est un problème croissant, en particulier dans les zones agricoles intensives.
Sur la biodiversité, l’utilisation des pesticides peut affecter non seulement les ravageurs ciblés, mais aussi d’autres insectes bénéfiques tels que les pollinisateurs (abeilles, papillons) et les insectes prédateurs naturels des ravageurs. La réduction de ces populations d’insectes, a fait savoir Dr. Bachirou Bodo, peut perturber les écosystèmes locaux et affecter la pollinisation des cultures. Aussi, l’exposition chronique des écosystèmes à des pesticides peut réduire la diversité des espèces végétales et animales, perturbant ainsi l’équilibre écologique. « Cela peut conduire à la disparition d’espèces locales et à une réduction de la résilience des écosystèmes face aux changements environnementaux», a-t-il précisé.
L’utilisation répétée des mêmes types de pesticides peut conduire à l’apparition de ravageurs résistants, rendant les pesticides de moins en moins efficaces. Cela peut forcer les agriculteurs à utiliser des doses plus élevées ou à recourir à des produits chimiques plus toxiques, exacerbant les problèmes de santé et d’environnement.
Si l’impact de l’utilisation des pesticides sur la santé humaine et environnementale est alarmant, il en est de même de l’impact économique. « Les agriculteurs peuvent être piégés dans un cercle vicieux où ils doivent constamment acheter des pesticides pour maintenir leurs rendements agricoles, ce qui entraîne des coûts élevés », a justifié Dr. Bodo. De plus, la perte de la biodiversité et la dégradation des sols peuvent à long terme réduire la productivité agricole, impactant négativement les revenus des agriculteurs. Aussi, les producteurs maraîchers au Niger dépendent-ils fortement des pesticides importés, ce qui rend les agriculteurs vulnérables aux fluctuations des prix sur le marché international et à la disponibilité des produits.
Des problèmes liés à la sécurité alimentaire
L’utilisation des pesticides peut entraîner la présence de résidus dans les produits agricoles, posant un risque pour la sécurité alimentaire. La consommation de ces résidus par la population peut entraîner des problèmes de santé, surtout si les normes de sécurité ne sont pas respectées. « Elles peuvent favoriser la perte des savoirs agricoles traditionnels », soutient l’enseignant-chercheur. D’après lui, l’utilisation généralisée des pesticides peut entraîner une perte des savoirs et des pratiques agricoles traditionnels qui reposent sur des méthodes naturelles de lutte contre les ravageurs. Cette dépendance accrue au pesticide chimique peut affaiblir la résilience des systèmes agricoles locaux et rendre les communautés plus vulnérables aux chocs économiques et environnementaux.
L’utilisation des pesticides au Niger a des implications profondes et complexes. Si les pesticides contribuent à augmenter la productivité agricole, leurs conséquences négatives sur la santé humaine, l’environnement, la biodiversité, et l’économie ne peuvent être ignorées. Selon Dr. Bachirou Bodo, il est donc crucial de promouvoir des alternatives durables telles que les biopesticides, les pratiques agricoles intégrées et les méthodes naturelles de lutte biologique, tout en sensibilisant les agriculteurs aux dangers des pesticides chimiques et en renforçant les régulations pour un usage plus sûr et responsable.
Les biopesticides : une alternative durable pour préserver la santé environnementale et humaine
Avoir un bon rendement agricole et lutter efficacement contre les ravageurs, tels sont les objectifs que se fixe chaque cultivateur. Pour se faire, il faut recourir à des produits d’origine chimique : les pesticides. Les pesticides chimiques ont longtemps été considérés comme les moyens les plus efficaces pour lutter contre les agresseurs des cultures et booster la productivité. Cependant, bien que leur efficacité soit évidente, leurs conséquences négatives sur la santé humaine, l’environnement, la biodiversité, et l’économie ne sauraient être ignorées ou occultées. A l’opposé, les biopesticides offrent l’avantage d’être d’origine naturelle, biodégradables et inoffensif contre les organismes non-ciblés. On constate de plus en plus un éveil de conscience par rapport à l’utilisation abusive des pesticides. Cette prise de conscience se matérialise à travers la mise en application, par les pays, de mesures pour préserver la santé humaine et l’équilibre biologique et environnementales des dangers de l’utilisation des pesticides et des engrais chimiques. Nombreux sont les agriculteurs informés des conséquences néfastes des pesticides chimiques qui se tournent vers les méthodes naturelles (les biopesticides) de lutte contre les ravageurs. Les biopesticides sont des produits phytosanitaires développés à partir de composés naturels. Ils sont exempts de toutes substances nuisibles à l’agriculteur ou au consommateur. Ils ont la particularité de réduire l’action des ravageurs, d’améliorer la sécurité de l’utilisateur en supprimant le risque d’inhalation et en garantissant une solubilité.
Les producteurs satisfaits de l’utilisation des biopesticides
M. Tinni Djibo, cultivateur et maraicher, membre de l’ONG « Mori ban », une association de cultivateurs qui lutte contre l’utilisation des pesticides chimiques, témoigne de l’importance et des avantages des biopesticides.
« Les biopesticides sont obtenus à partir de produits que nous consommons comme le piment, le tabac et le Neem. Ils ne sont donc ni dangereux pour nous-mêmes ni pour nos terres », a-t-il déclaré. D’après cet agriculteur, on peut utiliser des biopesticides sur les plantes et les consommer les heures qui suivent sans aucun danger. Ce qui n’est pas le cas avec les pesticides chimiques qui, après utilisation, il faut attendre 14 jours pour consommer les produits agricoles.
En termes de coût aussi, a-t-il insisté, les biopesticides reviennent moins chers ; ce qui est un soulagement pour eux. Il ajoute que : « les biopesticides ne présentent pas de danger pour notre santé tandis que l’utilisation des pesticides chimiques peut être source de beaucoup de maladies pour nous au fil des années. D’après les informations que nous avons reçues, ils peuvent causer le diabète, les cancers, des affections cutanées… C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers les pratiques traditionnelles ; celles de nos ancêtres ».
M. Tinni Djibo, n’est pas le seul cultivateur à recourir aux biopesticides. M. Seydou Hamadou, cultivateur et natif de Gobéri, ne jure également que par les biopesticides. Abondant dans le même sens que Tinni Djibo, il affirme qu’ils sont non seulement efficaces mais aussi inoffensifs pour la santé humaine. « Nous avons longtemps utilisé ces produits que les blancs nous amènent sans nous soucier des conséquences que cela peut engendrer. L’essentiel pour nous était de nous débarrasser des ravageurs et d’augmenter notre productivité. Et pourtant, l’utilisation de ces produits tue à petit feu. Et nous qui utilisons ces substances chimiques, et ceux qui consomment nos produits en sont aussi affectés à la longue », a-t-il dit.
Pour préparer les biopesticides, ces agriculteurs utilisent une gousse d’ail, cinq (5) poignées de piment et les fruits de neem. Ces derniers sont écrasés puis macérés dans de l’eau pendant 24 heures. La solution fera non seulement fuir tous les insectes et criquets ravageurs, mais elle va tuer aussi les chenilles.
Mme Saadi Seyni, maraichère de Talé (région de Tillabéri, commune de Gotheye), utilise depuis presque 4 ans des biopesticides dans son jardin. Depuis lors, a-t-elle dit, son jardin se porte mieux. « Nous fabriquons nous-mêmes nos fumiers et pesticides. Pour le fumier par exemple, nous utilisons de la paille de riz, de la cendre, du charbon, de l’argile, du son, du sucre et de la levure. C’est avec ce mélange que nous fabriquons notre fumier pour fertiliser nos jardins », a-expliqué Saadi Seyni.
Toutes ces personnes sont membres de l’association ‘’Mori Ban’’. Cette association, selon ces différents intervenants, organise des séances de sensibilisation à travers les radios communautaires afin d’attirer l’attention des cultivateurs sur les avantages des biopesticides et les dangers de l’utilisation des pesticides importés.
« Partout où il y a des groupements, il y a ce qu’on appelle « école de champs ». Dans cette école, on réunit les cultivateurs pour des séances de sensibilisation. On fait des expérimentations dans des champs où on utilise les pesticides chimiques et les biopesticides pour montrer la différence entre les deux produits », a confié M. Seydou Hamadou.
Dans la région de Diffa également, a fait savoir M. Jallo Malam Ari, président de la fédération des coopératives maraichères du Niger, section de Diffa, les producteurs s’adonnent de plus en plus à l’utilisation des biopesticides.
Les biopesticides suscitent un regain d’intérêt à mesure que la pression sur les méthodes chimiques augmente. Aujourd’hui, pour des raisons sanitaires, nombreux sont les agriculteurs qui convergent vers cette méthode traditionnelle et naturelle. Ces derniers espèrent que l’Etat va œuvrer dans le sens de promouvoir les biopesticides et les méthodes de lutte biologique. Quant aux structures de la société civile, elles doivent intensifier les actions de sensibilisation, à l’échelle du pays, à l’endroit des producteurs pour un éveil de conscience collectif.
Rahila Tagou (ONEP)