Monsieur Kalla Karimoune, le 18 décembre 1958, fut proclamée la République du Niger, quel sens recouvrait cette proclamation en son temps ?
Je pense que pour expliquer un fait historique, il faut le replacer dans son contexte. Le 18 décembre pour les Nigériens qui vivaient à cette époque (1958) ne peut pas avoir la même connotation que pour les Nigériens qui vivent aujourd’hui. Historiquement le 18 décembre apparaît comme une rupture par rapport à la situation antérieure où l’administration coloniale dirigeait le pays, où les Nigériens, dans leur totalité, étaient considérés comme des sujets : une façon très polie de traiter les gens d’esclaves. Et par conséquent, ils n’avaient aucun droit, aucun recours possible. Uniquement parce qu’un Français ou un fonctionnaire de l’administration coloniale constate que vous l’avez regardé de travers ou que vous ne l’avez pas salué beaucoup plus poliment, il pourrait facilement vous faire arrêter, vous emprisonner pendant des semaines. Si vous êtes fonctionnaire, il peut suspendre votre salaire. La population elle-même était dans la même situation. Elle ne possède rien, rien ne lui appartient, ni ses enfants, ses biens, ses propriétés. Tout peut lui être pris par l’administration en cas de besoin. Les gens n’avaient pas le statut de citoyens sur leur propre territoire.
C’est pourquoi, pour eux, le 18 décembre apparaissait comme la fin d’une saisure parce que, historiquement, la colonisation a duré une cinquantaine d’années au Niger. Mais que représentent 50 ans dans l’histoire de toute cette région ? Or, l’hominidé a été découvert en Afrique, au Tchad, et date de sept (7) millions d’années. Autrement dit, c’est une toute petite période mais qui a tout détruit en ce qui concerne la façon dont les populations géraient leurs pays, leurs rapports, les échanges commerciaux, les voies de communication, etc. Tout a été changé. Le commerce transsaharien a été lui aussi remplacé par la coopération ou le commerce nord-sud. Cette période a apporté tellement de bouleversements que finalement la chose la plus grave encore, c’est que cette colonisation a réussi dans la plupart des pays où elle avait cours à faire admettre aux Africains qu’ils étaient inférieurs dans tous les domaines, qu’ils ne représentaient rien. Tout ce qu’ils faisaient ne valait rien. Vous imaginez les civilisations aussi anciennes que Coumbi Saley, l’empire du Mali, Songhai, le Kanem, tous ces empires qui existaient avec une organisation centralisée. On nous a fait croire que tout cela ne valait rien. Même les plantes que nous utilisons pour soigner nos malades ont été détruites.
Et donc, le 18 décembre avec la naissance de la République a fait naître l’espoir que nous allons encore construire notre propre République, reconstruire notre propre pays, faire avancer nos propres aspirations, diriger notre pays et prendre nos décisions par nous-mêmes. C’est ce qui fait que la proclamation de la République n’a pas le même sens pour un jeune d’aujourd’hui qui, lui, n’a pas connu ces aspects-là. C’était un moment extraordinaire pour les gens de cette époque-là.
Evidemment, si on se situe dans le cadre d’aujourd’hui, c’est une toute petite avancée par rapport à la jouissance pleine et entière des droits et libertés. Mais par rapport à la situation dans laquelle étaient les populations en 1958, c’est un pas de géant. C’est pourquoi, cet événement a été accueilli avec énormément de joie par les Nigériens.
Mais l’un des inconvénients majeurs dans cette affaire, c’est que le pays a eu un problème national après la proclamation de la République. C’est que la plupart des leaders qui au départ s’étaient retrouvés au sein d’une même structure politique, se sont trouvés divisés. Et l’opposition RDA-SAWABA a un peu entaché la joie que les Nigériens auraient pu avoir à la suite de la proclamation de la république. Ce n’était pas l’idéal.
Mais, est ce que ces dissensions n’étaient attisées par la métropole qui voulait continuer à régenter la vie du pays ?
La proclamation de la République est différente de l’indépendance. La première consiste en une sorte d’autonomie, c’est la reconnaissance de notre entité sous forme républicaine avec évidemment une ouverture vers l’indépendance. Mais s’il y a eu toutes ces oppositions entre les Nigériens, c’est justement parce que cette influence coloniale était réelle et manifeste. La pression exercée sur les uns ou les autres pour les amener à accepter la communauté française était aussi une réalité. Certaines personnes ont même parlé de tripatouillage des élections. Mais, tout dépend des tendances. Peut-être un jour, les historiens reviendront avec beaucoup de détails pour dire exactement ce qui s’est passé.
Tous les acteurs politiques, particulièrement ceux de l’ère post-conférence nationale, n’ont de cesse de chanter la République. Avez-vous le sentiment que ces acteurs ont réellement agi dans le sens de la République ?
En histoire, nous évitons d’émettre des jugements de valeur, mais replaçons les choses dans leurs contextes. Au moment où se tenait la conférence nationale souveraine, quel était notre acquis politique? Après 15 ans de gestion du RDA, 13 ans du CMS, nous avons connu un premier régime qui a instauré de fait un parti politique unique. Seul ce parti a le monopole de la réflexion nationale et toutes les discussions se faisaient à l’intérieur de ce parti. Pourquoi ? Parce qu’à cette époque-là, tout le monde croyait et tous les politiciens étaient convaincus que le pluralisme démocratique allait susciter des scissions au sein du pays, compte tenu de la qualité de nos Etats composés de tribus ou de communautés qui ne sont pas intégrées. Donc, l’idée était d’avoir un seul parti, d’unifier l’ensemble des réflexions pour aboutir à un seul objectif, celui de construire la nation puisqu’on avait besoin de tout le monde. C’est l’argument qui a été donné, je ne juge pas. Le deuxième régime qui est arrivé est une sorte de ‘’autocratie prétorienne’’ où le CMS, avec Kountché à sa tête, a pratiquement empêché toute réjouissance politique. Aucun parti politique ne fonctionnait, aucune manifestation politique n’était autorisée.
Par conséquent, on est arrivé à la Conférence nationale sans avoir une pratique de la démocratie. Aucun des acteurs n’avait une formation pratique de la démocratie. Tout ce que nous savions de la démocratie, c’est ce que nous avons lu dans les livres et dans les journaux et ce que nous avons constaté pendant nos séjours dans les pays occidentaux par exemple. Donc, c’était difficile et il faut en tenir compte. Ça, c’est le premier aspect. Le deuxième aspect, c’est que la démocratie coûte cher. Or, au moment où ces pionniers de la démocratie commençaient à exercer leurs fonctions, l’Occident a, comme d’habitude, pris des dispositions pour faire en sorte que les fonds et les appuis qu’on recevait ont changé de nature.
Si vous prenez le cas du Niger juste avant la fin du régime du CMS, vous avez constaté l’hécatombe en ce qui concerne toutes nos industries parce que la France a décidé de consacrer tous ses efforts sur l’uranium au détriment des autres aspects qui concernaient directement les populations et l’économie locale. Nous sommes arrivés dans un système, nous avons voulu mettre en place une démocratie, malheureusement nous n’avions pas les moyens parce que la démocratie coûte cher. Tous ces pionniers-là, malgré leur bonne volonté, n’avaient pas les moyens. En plus, l’aide qu’on nous accordait était soumise à un certain nombre de conditionnalités qui ne favorisent pas l’intervention. Donc, aucun de ces responsables n’a pu mettre en application ou concrétiser son projet de société parce qu’il n’avait pas les moyens. A cela s’ajoute le fait que le peuple lui-même n’avait pas une conscience politique ‘’démocratique’’. On a une conscience politique, mais ancienne. On ne peut pas parler de démocratie tout en parlant d’ethnie, de région. Tous ces facteurs ont fait que nous nous sommes retrouvés dans une situation telle que les pionniers n’ont pas pu faire ce qu’ils voulaient ou devaient faire en fonction des promesses électorales. Effectivement, il y a eu des manquements, mais il faut tenir compte des limites objectives, des moyens dont disposent ces pionniers-là. Ce n’est pas facile.
De plus, il y a non seulement ces contraintes là, mais sur le plan international, c’est la période choisie par ces mêmes partenaires pour dévaluer tous nos produits d’exportation et créer un manque à gagne sur le plan financier. Je pense que sur cet aspect précis, il y a des nuances à faire, parce que les moyens n’étaient pas disponibles, malgré l’ambition, malgré la volonté. Il y a aussi les pratiques sociales qui ont gêné puisqu’à un certain moment, les élections sont devenues une sorte de concurrence entre ethnies ou entre régions. C’est notre histoire, elle n’est pas toujours belle, mais nous devons l’accepter. C’est en prenant conscience de ces éléments de notre histoire qu’on peut améliorer, changer et faire quelque chose de meilleur. Voilà, ce qui explique pourquoi, je ne parle pas d’échecs, mais de manquements dans la construction d’une République démocratique au Niger. Donc, les gens n’ont pas toujours réussi à concrétiser l’idée que les Nigériens moyens se faisaient de la démocratie.
Quelles sont les valeurs qu’il faut capitaliser comme étant des acquis de la République dans le contexte actuel de refondation de l’Etat au Niger ?
Vous étiez là, le lendemain des événements du 26 juillet 2023, quand le projet d’agression militaire a été annoncé par la CEDEAO. Vous avez vu comment les Nigériens se sont mobilisés pour faire bloc derrière le CNSP. Tous les Nigériens, même lorsqu’ils n’étaient pas d’accord avec le coup d’Etat, même les Nigériens qui étaient membres du parti politique qui venait de perdre le pouvoir n’étaient pas tous d’accord pour qu’il y ait une intervention militaire sur le sol nigérien. Ça, c’est un acquis de la République. C’est la conscience d’appartenir à une seule entité et la volonté de la défendre au prix de sa vie. Vous savez, en 1958, il n’avait pas de nation nigérienne. Il y avait des principautés indépendantes les unes des autres, il y avait des chefferies traditionnelles, des sultanats mais chacun dirigeait son domaine. Il a fallu réunir tout ce monde-là et l’amener à accepter l’autorité d’une seule structure et d’une seule entité qui est l’Etat. Toutes ces communautés ont accepté de renoncer à leurs valeurs traditionnelles ou à leur façon de gérer les ressources humaines, matérielles et autres pour pouvoir s’insérer. C’est un acquis qu’il faut capitaliser et aujourd’hui. Nous sommes sur la voie de constituer une nation. La fidélité à la République est une réalité.
Comment consolider cet acquis ?
Je pense que la première des choses, c’est de former les citoyens. L’éducation civique et politique d’un peuple est indispensable si l’on veut créer une nation forte et respectée. Lorsque le citoyen est parfaitement au fait de ses droits, de ses devoirs et de ses obligations vis-à-vis de l’Etat et qu’il accepte de les appliquer, le pays gagne dix ans par rapport à un territoire où les gens n’ont pas cette conscience-là. Pourquoi ? Si vous observez, à chaque fois qu’une décision est prise dans ce pays, lorsqu’elle n’est pas avantageuse pour certains, vous voyez les réactions qu’elle suscite. C’est normal. Mais un citoyen qui maîtrise parfaitement ses obligations comprendra tout de suite la nécessité d’une telle décision, même si dans l’immédiat elle lui est défavorable. Mais pour cela, il faut que l’Etat donne à la population les moyens d’apprécier les actes politiques qu’il pose. Ça, c’est le premier aspect. Le deuxième aspect, c’est que nous ne devons pas oublier que s’il y a un domaine dans lequel les actes que vous posez aujourd’hui vous précèdent de 50 ans, c’est en politique. Vous commettez un acte aujourd’hui, vous avez l’impression que les gens vont oublier. Dans 30 ou 40 ans, quelqu’un va ressortir cet acte pour dire que voilà ce que son père a fait. Toutes ces choses-là font qu’il y a une solidarité entre les générations. Par conséquent, tout acte que nous prenons qui va engager l’avenir de ce pays doit être concerté et accepté au niveau de la majorité du peuple. C’est la seule façon d’assurer la pérennité d’un régime ou d’un système. Il faut créer les conditions pour permettre au peuple de comprendre ce qui se passe, d’adhérer aux choix faits par le politique, de l’accompagner, de le soutenir et de le protéger en s’appropriant ces choix. Cela est un devoir qui incombe à tous les Nigériens qui détiennent une parcelle de savoir, de connaissance en politique ou dans le domaine social. Et le rôle des organisations de la société civile est prioritaire dans cette optique et dans un système démocratique comme le nôtre. Cela parce que la société civile est en contact direct et permanent avec la population. Elle doit être le réceptacle de tous les besoins et aspirations de la population, mais également le vecteur par lequel la population arrive à transmettre à l’autorité ses souhaits et ses revendications. C’est cela le rôle de la société civile, ce n’est pas un rôle politique. Elle doit encadrer les citoyens, les former, les conscientiser et transmettre à l’autorité les attentes du peuple. Si l’autorité l’associe étroitement, je suis sûr qu’on fera un pas de géant dans ce pays. Cela est indispensable. Si l’on veut que le Nigérien soit capable, quels que soient son rang, sa position ou le pays où il se trouve, de défendre la position du Niger, il faut lui donner les moyens de le faire. C’est un combat national qui ne peut pas être limité à quelques individus.
Mais on a l’impression que durant ce parcours de la République, les partis politiques ont sciemment opté de ne pas assumer pleinement ce rôle de formation civique à telle enseigne que certains citoyens sont plus loyaux envers leur parti politique qu’envers la République ?
C’est malheureusement un des écueils de cette génération qui n’avait franchement pas la culture politique nécessaire. Mais, je trouve que les gens ont été extrêmement courageux. Je faisais partie de cette génération. On n’avait pas de formation politique pratique. On a passé presque 30 ans sans possibilité d’exercer d’activité politique. Actuellement, vous les jeunes, vous nous critiquez, parce que vous avez vos fada pour parler de la politique, critiquer le régime, etc. En notre temps, ces possibilités n’existaient pas. Vous allez oser critiquer le régime pendant le RDA ou le CMS ? Il y avait une seule option, il fallait la respecter et c’est à cette condition qu’on a pu constituer cette nation, ou tout au moins jeter les bases de la construction de la nation actuelle. C’est à ce prix. Un pays ne se construit pas uniquement avec des mesures populaires. Aucun pays n’a été constitué uniquement avec des mesures populaires. Il y a parfois des mesures impopulaires dans un temps limité mais qui, à l’avenir, peuvent porter leurs fruits. C’est pourquoi, il est nécessaire de donner aux citoyens la capacité d’analyser ces actions ou ces propositions de manière à y adhérer. Mais, s’il n’a pas les moyens de comprendre que ce mal-là est nécessaire, il n’acceptera évidemment pas. C’est pourquoi la formation civique est nécessaire. En notre temps, c’est la morale à l’école avec chaque jour des formules au tableau du genre ‘’Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée’’ que nous finissions d’intérioriser. Sans la formation civique, on ne donne pas au citoyen la possibilité d’aider le pouvoir, de maintenir leurs dirigeants dans la ligne qu’ils (les Nigériens) ont eux-mêmes décidé eentant que peuple. En définitive, qu’est-ce qui reste? C’est toujours le peuple. Je pense que nous avons la responsabilité commune. Entant que citoyens, nous avons le devoir de nous former si nous voulons aider notre pays. L’autorité a l’obligation morale de nous mettre dans les conditions de pouvoir disposer de tous ces instruments-là pour aider la République à se maintenir à se développer et la nation à se consolider. Les partis politiques n’avaient pas assumé cette tâche parce qu’elle a un coût. Et les partis politiques qui naissaient à cette époque-là n’avaient pas grand-chose. Si vous avez remarqué, tous les intellectuels et les hauts cadres qui sont capables de comprendre ce que c’est que la démocratie, de rénover, d’apporter des changements ont pratiquement abandonné ou ont été exclus de l’Assemblée nationale au fil des différentes élections parce qu’ils n’avaient pas les moyens. Ils n’avaient que leur salaire. Aujourd’hui, les gens semblent l’oublier. Sinon jusqu’à Kountché, les cadres de l’administration ne faisaient pas de commerce. Donc, ils étaient obligés de se retirer de la politique. Ils ont ensuite été remplacés par les commerçants, tous ces chasseurs de marchés publics qui n’ont aucune maîtrise de ce qu’est la démocratie et la politique en général. On ne peut pas avancer à l’époque. Fort heureusement, aujourd’hui on a de très grands intellectuels qui sont aussi dans le commerce.
C’est pourquoi, il faut placer chaque problème dans son contexte pour bien l’étudier. On ne peut pas dire que tout ce qui a été fait est un échec. Je me rappelle que lorsque j’avais commencé à travailler, en 1970, je ne savais pas s’il y a 20 personnes qui ont une licence dans l’ensemble du Niger, les docteurs encore moins. Comment construire un pays dans ces conditions-là ? Mais, ils ont fait de leur mieux.
Nous sommes actuellement dans un processus de refondation de la République, et même de notre coopération, avec notamment la création de l’AES. Quelle réflexion vous suscite ce processus ?
Je suis un des tous premier à avoir insisté sur ce rapprochement entre les trois pays parce que nous vivons les mêmes problèmes, nous avons les mêmes adversaires de tout temps. J’ai toujours pensé que mutualiser nos efforts, nos moyens et nos intelligences pourrait nous aider à faire face à ces défis. Cela ne peut se faire que sur une base solide. Le fait d’être dans l’AES est une excellente chose, mais nous ne pouvons en tirer le plus grand bénéfice si nous-mêmes ne disposons d’un Etat stable, organisé et unanimement soutenu par la population. Pourquoi? Parce que la première qualité d’un pouvoir, c’est son écoute à l’égard du peuple. C’est le premier critère qui permet de juger si un pouvoir peut être pérenne ou pas. Et pour que le peuple vous soutienne inconditionnellement, il faut marcher de pair avec lui. Si vous constatez que votre peuple ne veut que vous preniez une direction, quel que soit ce que ça va vous coûter, écoutez votre peuple. Expliquez-lui les raisons de votre choix parce que si vous n’expliquez pas au peuple, c’est la rumeur qui va prendre le contrôle de la rue. Et lorsque la rue se mêle de politique, les jeux sont faits. Par conséquent, c’est bien d’appartenir à l’AES, mais il faut que nos trois dirigeants restent en harmonie avec leurs populations, respectent les aspirations des populations pour que les gens constatent que vous êtes en train de mettre en place ce qui va leur permettre de réaliser leurs rêves. Que veut un citoyen sinon tout être humain ? Il cherche à se réaliser lui-même. Tout citoyen cherche à se réaliser lui-même en même temps qu’il contribue à l’épanouissement de la communauté dans laquelle il se trouve. Si vous ne lui donnez pas les moyens de s’épanouir, il ne va jamais contribuer au développement du pays. Mais s’il se rend compte que lorsqu’il travaille pour son pays, il sera récompensé à la hauteur de sa valeur, c’est là où interviennent l’expérience, la compétence, le savoir-faire et l’intégrité morale. Toutes ces qualités sont indispensables si vous voulez choisir des responsables pour un pays. Si le peuple se rend compte que ceux qui le dirigent remplissent toutes ces conditions, le soutien sera indéfectible. Il faut aussi de la justice sociale, c’est à dire appliquer pour la même faute la même punition pour tout le monde; pour les mêmes efforts, les mêmes récompenses pour tout le monde. Au niveau de l’Etat, c’est possible. Si on devait faire des exceptions, il faut expliquer au peuple. C’est une question de communication. Il faut qu’en Afrique, les dirigeants arrivent à respecter leurs peuples, il faut accepter que la seule entité capable de les défendre, de leur assurer la pérennité dans l’exercice de leurs fonctions, de leur assurer une postérité historique, c’est le peuple. Si le peuple est avec toi, les gens peuvent tenter tout ceux qu’ils veulent, ils ne réussiront pas. C’est lui qui va exiger le temps qu’il veut que tu restes au pouvoir. Si le peuple est satisfait de ce que tu fais, c’est lui-même qui va t’encourager, non seulement à rester au pouvoir, mais aussi à te faire des propositions qui feront avancer le pays. Ce genre de choses n’a rien à voir avec la conception occidentale du pouvoir, mais nous, nous avons nos habitudes, nos traditions. Dans nos chefferies traditionnelles, notamment dans les zones Djerma, tu cherches l’argent quand tu es jeune, quand tu n’as pas le pouvoir. Mais quand tu as l’argent, tu es assis, maintenant ‘’hini no nig ba’’ : c’est pouvoir. Une fois que tu as le pouvoir, l’argent-là n’est plus pour toi, tu le distribues aux gens. Vous savez, ne pas connaître son histoire ou l’histoire de son continent, c’est une mauvaise chose en politique. Les gens pensent que dans les sociétés africaines lorsqu’on est chef, ça va pour toujours. Ce qui n’est pas vrai. Il y a des punitions. Par exemple dans certaines sociétés africaines, lorsqu’un dirigeant s’est distingué par sa cruauté ou par sa mauvaise gestion des affaires de la communauté, son nom n’est plus cité dans la généalogie du pouvoir. A la place de son nom, on donne trois ou six coups de tambours et on passe. Pourquoi? Parce que la population estime qu’il a été tellement mauvais qu’on l’efface même de l’histoire de la communauté. Les gens pensent que l’histoire du retrait de la nationalité est un fait nouveau. Ce n’est pas vrai. Dans nos communautés, lorsqu’un enfant du terroir commet des fautes ou des actes graves, les parents se réunissent d’abord pour essayer de le raisonner. Si ça ne marche pas, on le bannit de la communauté et on lui dit de partir parce que les gens ont horreur de faire couler le sang. Mais, en seulement 50 ans, la colonisation a détruit des valeurs millénaires sur lesquelles nous étions assis et aujourd’hui on a l’impression que notre histoire a commencé avec la colonisation. Voilà le problème qui se pose à nous. Il nous faut retourner à nos valeurs et bâtir nos nations sur la base de notre histoire, de nos valeurs et selon nos aspirations.
Réalisé par Siradji Sanda (ONEP)