Le chef de la diplomatie burkinabé était l’un des intervenants de la 16è édition du forum Medays de Tanger au Maroc. Avec lui, nous évoquons les opportunités que le Royaume chérifien offre aux pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). Il se prononce aussi sur la thématique principale de la rencontre de Tanger.
Nous sommes ici à Tanger et vous sortez d’un panel qui était axé sur l’initiative marocaine d’ouverture sur l’Atlantique pour les pays de l’AES, les pays du Sahel. Aujourd’hui, peut-on peut affirmer que les pays de l’AES sont dans cette dynamique ?
Oui, disons que nous sommes dans une dynamique d’ouverture, de diversification de nos contacts à l’international. Si vous avez suivi un peu ce que le Niger a subi suite aux sanctions de la Cedeao qui a consisté à lui fermer les frontières de part et d’autre. Pour nous, c’est une interpellation et nous pensons qu’il faut davantage travailler à diversifier l’accès à l’Atlantique qui reste un patrimoine mondial. On ne peut pas utiliser l’enclavement d’un pays pour le punir. Nous sommes venus aussi pour porter le message qui consiste à dire que l’enclavement ne veut pas dire fatalité. On a longtemps présenté nos pays comme si cette situation d’enclavement était une maladie incurable et que nos économies étaient condamnées à rester dépendantes mais ce n’est pas vrai.
Quand on regarde déjà au sein de l’Uemoa, le Mali et le Burkina Faso occupent des rangs qui sont supérieurs à ceux d’autres pays qui ont le littoral. Donc, c’est pour dire que ça n’a absolument rien à avoir. Deuxièmement, c’est de dire que l’enclavement a aussi des avantages parce que ça stimule l’innovation, la production intérieure et nos pays intérieurs sont parmi les premiers à avoir cette situation. Nous avons un marché au niveau intérieur beaucoup plus développé, nous n’avons pas besoin d’importer du poulet, nous n’avons pas besoin d’importer des œufs comme dans certains pays et donc nous sommes venus ici pour corriger certains narratifs et rectifier des regards sur nos pays et faire comprendre que le Sahel central comme on nous qualifie est un espace d’espoir et non une enclave qui est là et dont l’avenir dépend toujours des autres pays.
Il est vrai que pendant les discussions au panel vous avez vanté les vertus du poulet bicyclette du Burkina Faso…
Bien sûr. Pour moi l’élevage de poulet n’aurait jamais connu une telle croissance si on avait cette facilité d’accès à la mer, à la production des œufs. Au Mali, ça n’aurait jamais eu un tel envol même l’industrie à l’intérieur. Vous savez quand vous avez la facilité d’importer et que les bateaux accostent tous les jours, vous n’êtes pas motivé à développer votre industrie, or ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les pays intérieurs ont davantage cette motivation de transformer sur place.
Quand vous regardez les produits agricoles, le domaine de la transformation, même si c’est artisanal, connait un envol remarquable dans nos pays et c’est lié au fait que quelque part l’accès est assez difficile à la mer. Donc ça nous amène à développer un marché que nous connaissons, que nous maîtrisons, que nous contrôlons et c’est un avantage pour nous. Maintenant avec l’offre qui est faite par le Maroc de nous permettre de profiter aussi des avantages de l’Atlantique, ça vient comme un plus pour nous permettre aussi d’alléger le poids au niveau de l’importation de certains produits qui sont nécessaires à la mise en place de l’architecture économique globale.
Par rapport justement à cette offre du Maroc, votre co-paneliste Mossadeck Bally, le président du groupe Azalai, lui, en parlant du développement, dit qu’aujourd’hui, que nos États doivent insister sur les infrastructures. Qu’en pensez-vous ?
Le président du groupe Azalai est un homme remarquable convaincant et convaincu que je respecte beaucoup parce qu’il parie sur l’Afrique. Il a parié sur nos pays en sachant que nous avons aujourd’hui des limites mais il sait que demain ces limites seront levées. Il a investi majoritairement en Afrique parce qu’il croit en l’avenir de l’Afrique et je pense que l’offre qui a été faite pour nous, c’est juste une facilité mais tout le challenge repose sur les africains et il faut créer davantage d’emplois en Afrique et c’est ce qu’il est en train de faire et c’est ce que les hommes d’affaires et les entrepreneurs africains doivent faire.
La thématique principale de cette 16è édition du forum Medays ce sont les souverainetés, les résiliences par rapport à l’équilibre mondial, quel est votre point de vue sur cette thématique ?
Je pense que c’est une thématique qui a été bien choisie et qui correspond aujourd’hui à la marche qui a été enclenchée au sein de la Confédération des Étas du Sahel, parce que nous sommes dans une dynamique de rupture et quand on parle de rupture, il ne s’agit pas d’un discours, il faut casser les chaines qui lient nos mentalités à des discours qui nous ont été imposés depuis longtemps. Le narratif aujourd’hui, c’est de dire : nous sommes un espace de gagnant, nous sommes un espace de capacités, d’expertises et la souveraineté, ça passe par là et c’est ce que les trois présidents de l’AES sont en train de travailler à faire : amener les peuples à avoir un nouveau regard sur eux-mêmes, à se réévaluer, à se valoriser.
Pendant longtemps, on a présenté l’Africain comme étant le problème. Nous voulons aujourd’hui que le monde entier sache que l’Africain fait partie de la solution et que les clichés négatifs qui ont toujours été associés à l’Afrique, parce que quand on parle de l’Afrique, c’est le chômage, c’est les jeunes qui envahissent les autres pays et autres. Ces clichés-là font ombrages sur l’Afrique qui a des capacités, qui a de l’expertise, et qui crée, qui innove, qui avance doucement mais surement. Et donc nous sommes là pour faire entendre la voix de l’AES pour dire que cette dynamique est déjà en cours, qu’elle est irréversible et que celui qui pense que l’Afrique est un continent d’avenir sans penser à l’Africain de demain a tout faux et doit rectifier son discours, on ne peut conjuguer l’Afrique de l’avenir qu’avec l’Africain de l’avenir.
L’Essor