Kouroukanfougan est un tableau ; c’est de l’art contemporain. L’auteur, Habibou Abdoulaye, peintre abstrait du Niger, a reçu en septembre 2024 une invitation du collectif Wekré en république de Burkina Faso pour participer au Festival Marché d’Art Contemporain de Ouagadougou, Wekré 5è édition. Informé du thème du festival, ‘’I have a dream’’, en référence à Martin Lutter King, cet illustre combattant de la cause noire aux U.S.A, ce défenseur des droits de l’Homme tout court, le peintre du village artisanal de Wadata, imbu des cultures et de la riche histoire de l’espace nigérien, pense tout de suite à Soundjata Keita et plaque à la face du monde cette création qui relève tous les défis d’un chef-d’œuvre : dans la facture, dans la démarche contemporaine et dans la portée.
Kouroukanfougan ; c’est une palette aussi simple que finement composée de trois bandes verticales rouges, jaune orangé et bleue avec des dégradés par endroit qui laissent entrevoir sa maitrise assez parfaite de l’harmonie des couleurs. L’artiste a ainsi réussi à arracher aux signes, les mots justes, dans un ton qui sied parfaitement, pour appeler, par la voix des ancêtres, tous ceux qui hésitent encore, à rejoindre le combat pour la dignité, pour la souveraineté totale de nos États. Des ancêtres audibles du fond de l’œuvre du peintre, assis autour du vrai fondateur du Manding, en train d’élaborer l’une des toutes premières constitutions du monde.
Kouroukanfougan ; selon une légende très populaire au Sahel, après la bataille de Kirina qui a consacré la victoire de Soudjata Keita sur le terrible tyran Soumangourou Kanté, roi du Sosso, le fils de Sogolon réunit ses généraux et ses vassaux dans la célèbre plaine de Kouroukanfougan pour « légiférer » sur ce texte que les griots relatent encore aujourd’hui sous le titre du Serment du Manden, un texte que les historiens appellent La Charte de Kouroukanfougan. L’œuvre de notre artiste s’inspire de la dernière clause de cette charte qui devrait régir tous les compartiments de la vie dans l’empire mandingue.
« Chacun est libre de ses actes
Chacun dispose désormais de sa personne
Tel est le serment du Manden
A l’adresse des oreilles du monde entier »
Kouroukanfougan ; en s’inspirant d’un texte ancestral de 1235, soit plusieurs siècles avant la pénétration coloniale, une charte qui consacre la liberté de tous et de chacun, Habibou Abdoulaye interpelle les consciences dans l’espace sahélien pour dire avec l’ancien Premier ministre de la république du Mali, l’éminent Shoguel Kokala Maiga, que le peuple Malien et donc celui de tout l’espace sahélien « est héritier d’une longue et noble civilisation », une civilisation axée sur la liberté et la dignité de l’homme.
Kouroukanfougan ; le chef-d’œuvre dans ce tableau, c’est aussi dans le choix des motifs : un parchemin – métaphore du prestige de la charte – où frappe à l’œil nu un texte calligraphié sans fantaisie pour marquer son caractère solennel. Puis cette sorte de lézard noir symbolique de la royauté au Mali ; ce signe apparait au loin en dimensions réduites et de façon proche sous une taille plus imposante, dans une perspective qui semble dire qu’il est impératif de retourner fouiller, dans les confins de notre passé, les grandes valeurs qui nous ont jadis caractérisés et les ramener à l’ordre du jour si notre volonté est de nous affirmer dans le concert des nations, tout en restant nous-mêmes dans toute la plénitude de notre identité. Des choix qui inscrivent cette œuvre dans une démarche hautement contemporaine quand on sait que surprendre avec des motifs inattendus, juste supposer par des symboles, sans s’enfoncer dans la narration pour interpeler, parfois même déranger, sont des principes fondamentaux en art contemporain, un art qui, parti de la scène artistique new yorkaise, à la fin du 20ème siècle, a fini par conquérir le monde, réussissant partout un alliage intéressant avec les cultures locales des artistes.
Kouroukanfougan, par cette proposition, Habibou Abdoulaye persiste et signe : la révolution pour l’indépendance totale qui fait la fierté des peuples dans la Confédération des Etats du Sahel aujourd’hui, n’est que l’étape actuelle d’une tradition séculaire d’aspiration à la liberté et à la dignité de tous. C’est un combat générationnel dans lequel chacun dans notre espace – soldats, intellectuels, paysans – a sa partition à jouer ; une lutte menée en première ligne par les artistes, courroie de transmission de nos chères valeurs culturelles. Pour le peintre de Wadata, la souveraineté est avant tout culturelle. Kouroukanfougan, le combat de tout un peuple en un joyau de tableau, approprié.
HAMIDOU IDRISSA Moussa Chercheur sur les arts et la culture