
Pr Justin Yifu Lin lors ...
La guerre économique imposée par les États-Unis au reste du monde continue de secouer les petites et les grandes économies de la planète. En effet, deuxième plus grande économie au monde, la Chine écope de 145% de taxes douanières. Le lundi 21 avril 2025, lors d’une conférence de presse, le Professeur Justin Yifu Lin, doyen honoraire et professeur à l’Ecole Nationale de Développement de l’Université de Pékin, ancien économiste en chef et vice-président principal pour l’économie du développement à la Banque mondiale, a présenté son analyse sur les répercussions économiques de cette décision.
Au cours de cette conférence, M. Yifu Lin a analysé systématiquement les raisons des changements dans le paysage économique international, l’évolution de la concurrence sino-américaine et les forces et perspectives du développement économique de la Chine, en se concentrant sur le concept d’un « grand changement jamais vu depuis un siècle » et les perspectives économiques futures de la Chine.
Premièrement, Pr. Yifu Lin a souligné que la cause profonde de ce grand changement sans précédent depuis un siècle réside dans les profondes mutations de la structure économique mondiale. Il a comparé les données de 1900, 2000 et 2018, notant qu’en 1900, la production économique combinée de l’Alliance des Huit Nations représentait 50,4% du total mondial. « En 2000, ce chiffre pour le Groupe des Huit (G8) s’élevait encore à 47,7%. Cependant, en 2018, cette proportion était tombée à 34,7% », a-t-il rappelé. Il a par ailleurs déclaré que la structure économique mondiale a été remarquablement stable tout au long du XXe siècle, bien qu’au cours des 18 premières années du XXIe siècle seulement, leur part a diminué de 13,1 points de pourcentage, une baisse qui avait auparavant pris un siècle entier de 2,7 points de pourcentage.
Par conséquent, M. Yifu Lin estime que le déplacement du leadership économique mondial des économies développées est la cause profonde des turbulences mondiales actuelles.
Une guerre économique en réponse à la croissance rapide de la Chine
Pour M. Yifu Lin, la croissance économique rapide de la Chine a été un moteur majeur de cette transformation structurelle, car depuis le début des réformes et de l’ouverture, la croissance économique annuelle moyenne de la Chine a atteint 8,9%, avec une croissance par habitant de 8%. « En termes de parité de pouvoir d’achat, la part de la Chine dans l’économie mondiale est passée de 6,4% en 2000 à 16,8% en 2018. Cela a directement affaibli la domination du G8 sur les affaires mondiales. Depuis la crise financière de 2008 en particulier, le mécanisme du G8 s’est révélé inadéquat, et le G20 a pris sa place, marquant ainsi un changement dans le principal mécanisme de gouvernance mondiale », a-t-il expliqué.
Une confrontation non bénéfique aux deux protagonistes
Concernant l’évolution de la concurrence sino-américaine, M. Lin a noté que depuis le « pivot vers l’Asie » de l’administration Obama, en passant par les guerres technologiques et commerciales de Trump, et jusqu’à Biden, l’essentiel est resté un effort visant à tirer parti des avantages militaires, technologiques et financiers pour contenir la Chine et l’empêcher d’obtenir une voix plus forte dans les affaires internationales. Selon ses prédictions, la confrontation économique sino-américaine perdurerait à long terme. Il a toutefois souligné que le commerce est mutuellement bénéfique ; l’absence de commerce est mutuellement préjudiciable. « Si les petites économies tendent à en tirer davantage de bénéfices, les grandes économies subiraient des pertes plus lourdes », a-t-il mis en garde. Il a clairement affirmé que si les échanges commerciaux cessent, les pertes pour les États-Unis dépasseraient celles de la Chine, d’autant plus que les États-Unis sont un pays à revenu élevé dont les industries avantageuses se situent toutes dans les secteurs de la haute technologie.
« Ces entreprises de haute technologie dépendent du marché chinois, sans lequel elles ne peuvent maintenir leur rentabilité et soutenir leur leadership technologique. Par conséquent, le découplage économique aurait un impact négatif plus important sur les États-Unis », a-t-il annoncé. Pour ce qui est de l’avenir économique de la Chine, il a fermement rejeté la soi-disant « théorie de l’effondrement de la Chine ». Il a souligné qu’au cours des 40 dernières années, la Chine a été la seule grande économie à ne pas avoir connu de crise économique ou financière systémique. Citant l’expérience des économies d’Asie de l’Est, il a noté que l’Allemagne, le Japon et la Corée du Sud ont enregistré des taux de croissance moyens du PIB par habitant de plus de 8% durant leurs phases de rattrapage, des conditions que la Chine possède pleinement aujourd’hui.

En outre, l’économiste soutient que la quatrième révolution industrielle offrirait à la Chine une opportunité cruciale. « Ses caractéristiques reposent sur l’intelligence artificielle, le big data et des cycles de recherche et de développement ultra-rapides en matière de produits et de technologies », a-t-il énuméré.
Il a ainsi avancé trois avantages majeurs pour la Chine, à savoir un vivier abondant de talents technologiques ; un vaste marché intérieur ; la chaîne d’approvisionnement industrielle la plus complète au monde. A titre d’exemple, il a expliqué que « Tesla, après plus de dix ans d’implantation aux États-Unis, n’atteignait qu’une production annuelle d’environ 20 000 unités. Mais un an après son entrée en Chine, sa production a bondi à 100 000 véhicules », soulignant ainsi les atouts systémiques de la Chine.
Concernant les projections à long terme, M. Lin assure que si le PIB par habitant de la Chine atteint la moitié de celui des États-Unis, une nouvelle structure mondiale, plus stable, pourrait émerger. « D’ici là, la taille économique totale de la Chine serait deux fois supérieure à celle des États-Unis. Actuellement, seulement 16% de la population mondiale vit dans des pays à revenu élevé. Une fois la modernisation à la chinoise achevée, ce chiffre doublera, propulsant le monde vers un nouvel équilibre », a-t-il exposé. Le développement durable de la Chine, a-t-il soutenu, est non seulement vital pour le bien-être de ses 1,4 milliard d’habitants, mais aussi pour la stabilité économique mondiale et la refonte des systèmes de gouvernance internationale. « Je pense que maintenir une croissance supérieure à 5% est tout à fait réalisable. D’ici 2050, la contribution annuelle de la Chine à la croissance économique mondiale atteindra 30% », a-t-il projeté.
Hamissou Yahaya (ONEP), à Pékin