Mme la directrice générale, depuis plus de dix ans, le Niger a créé l’Agence Nationale d’Assistance Juridique et Judiciaire, pourquoi la création d’une telle structure ?
Merci de me donner l’occasion de parler de l’Agence Nationale d’Assistance Juridique et Judiciaire afin d’édifier nos compatriotes sur les raisons qui ont amené les autorités à la créer. En effet, au niger, toutes les études menées dans le cadre de la politique sectorielle du Ministère de la Justice ont permis de mettre en exergue le fait que l’accès à la justice était non équitable et non universel. Les principales causes relevées sont l’inadaptation du cadre juridique, l’éloignement des juriductions vis-à-vis des justiciables, le langage trop technique utilisé par les acteurs judiciaires, le coût des procédures, l’analphabétisme des populations, la concentration des avocats dans quelques centres urbains, la non mise en place des fonds prévus pour l’aide judiciaire.
Ainsi, dans le cadre de la réforme de son système judiciaire et en vue de renforcer la démocratie et l’Etat de droit, le Niger a adopté la loi n°2011-42 du 14 décembre 2011 fixant les règles applicables à l’Assistance Juridique et Judiciaire. Aussi, c’est dans cette dynamique et sur la base d’une étude menée sur l’accès à la Justice que fut créé par la même loi, un établissement public à caractère administratif dénommé Agence Nationale de l’Assistance Juridique et Judiciaire (ANAJJ).
Comment fonctionne l’agence?
L’ANAJJ a son siège à Niamey et dispose d’un organe délibérant (le Conseil d’Administration) et d’un organe exécutif (la Direction Générale) et des bureaux locaux qui sont au nombre de dix auprès des Tribunaux de Grande Instance (TGI) à savoir Agadez, Arlit, Diffa, Dosso, Konni, Maradi, Niamey, Tahoua, Tillabéry et Zinder qu’on appelle BAJJ (bureaux locaux d’assistance juridique et judiciaire).
Comment les citoyens peuvent bénéficier des prestations de l’ANAJJ?
Les citoyens peuvent bénéficier des prestation de l’ANAJJ en adressant leur demande à ces bureaux qui sont à Niamey et dans les autres TGI de l’intérieur. Pour rappel le bureau local est composé du président du TGI qui est le président du BAJJ, du greffier en chef qui en est le secrétaire, d’un représentant du ministère de la population, d’un représentant des associations de défense des droits de l’homme et d’un représentant des avocats ou des DCO(Défenseur Commis d’Office).
Les personnes détenues peuvent adresser leur demande par le biais du chef d’établissement pénitentaire pour bénéficier de l’assistance de l’agence.
Dans quels cas les citoyens peuvent-ils saisir l’ANAJJ ?
L’ANAJJ peut être saisie pour des besoins d’assistance juridique ou judiciaire par toute personne vivant sur le territoire de la République du Niger.
L’assistance juridique consiste en un ensemble de prestations destinées à améliorer la compréhension du droit, de la justice et de ses institutions, à prévenir les conflits et favoriser le règlement des différends. Elle est accessible à tous, sans distinction de nationalité, de sexe, d’âge ou de toute autre considération (riche ou pauvre). Elle est gratuite et applicable à tous les domaines du droit et peut être sollicitée en dehors de toute procédure judiciaire ou administrative.
L’assistance judiciaire, quant à elle, consiste en un ensemble de prestations apportées au cours d’une procédure judiciaire au profit de certaines catégories de personnes vulnérables ou de celles qui ne disposent pas de revenus nécessaires pour faire face aux frais d’un procès. Elle est applicable en toutes matières.
L’assistance judiciaire comporte donc l’assistance dans le cadre d’un procès y compris la défense par un avocat professionnel ou par un DCO et la prise en charge des frais afférents à la procédure.
L’assistance judiciaire s’étend aux différents stades de la procédure à savoir la première instance, l’appel et la cassation.
A vous comprendre Mme, c’est comme si les personnes de nationalité étrangère vivant au Niger peuvent aussi bénéficier de l’assistance de l’ANAJJ.
Oui, bien sûr. La loi ne fait pas de distinction dans la fourniture de l’assistance.
Est-ce que l’ANAJJ peut prendre l’initiative d’assister les personnes en cas de litige?
A ce niveau il faut nuancer. L’ANAJJ peut prendre l’initiative de fournir l’assistance juridique à travers des séances de sensibilisation, des journées portes ouvertes ou même des atelies de formation sur des thématiques bien précises.
Cependant, en cas de litige, l’ANAJJ doit être saisie pour fournir l’assistance judiciaire.
Lorsqu’un litige est porté devant les juridictions, l’Agence fournit-elle gratuitement de l’assistance aux citoyens qui n’ont pas les moyens ?
Oui, elle le fait selon les conditions définies par la loi.
Il faut distinguer deux (2) catégories d’assistances judiciaires à savoir l’Assistance Judiciaire sous condition d’indigence et l’Assistance Judiciaire d’Office.
L’assistance judiciaire sous condition d’indigence est gratuite. Elle est accordée à toute personne reconnue indigente, c’est-à-dire toute personne dont les moyens matériels et financiers sont insuffisants et ne lui permettent pas de faire face aux frais occasionnés par un procès.
L’Assistance Judiciaire peut être demandée au cours de l’instance. Elle est verbale ou écrite.
L’assistance judiciaire d’office est accordée sans exigence de production de preuve à certaines catégories de personnes considérées vulnérables.
Je précise qu’à ce niveau il s’agit des mineurs poursuivis pour crime, délit ou contravention ; des mineurs victimes devant une juridiction répressive, des personnes handicapées prévenues ou parties civiles incapables de se défendre du fait de leur handicap ; des personnes accusées comparaissant devant une cour d’assises à présent chambre criminelle.
Elle est également fournie aux femmes victimes de violences visées aux chapitres II, III, VI, VIII du titre III du code pénal (CBV) et autres crimes et délits volontaires, meurtres et autres crimes capitaux, attentat à la liberté individuelle, esclavage, violation de domicile et attentats aux mœurs et aux femmes sollicitant le paiement d’une pension alimentaire, la liquidation d’une succession ou la garde d’enfant.
Que peut-on retenir en termes de réalisations de l’agence?
Depuis sa création, l’ANAJJ a, à son actif, plusieurs réalisations. A titre d’exemple, de 2018 à 2022, 59 791 personnes ont bénéficié de l’assistance juridique et 6668 sont bénéficiaires de l’assistance judiciaire à travers nos bureaux locaux d’assistance juridique et judiciaire. En outre, plus de trente cinq (35) ateliers de formation ont été organisés et ont concerné deux mille cinq cent (2500) personnes composées des magistrats, des avocats, des défenseurs commis d’office, des acteurs des médias et des acteurs de la société civile.
Pour ses activités de sensibilisation, l’ANAJJ est appuyée par les animateurs des cliniques juridiques dans le cadre du Programme Spotlight. Ce programme est le fruit d’un partenariat entre l’Union Européenne et les Nations Unies, mis en œuvre conjointement avec le Gouvernement du Niger. Il contribue à l’élimination des violences sexuelles basées sur le genre, des pratiques néfastes et des obstacles à l’accès aux droits à la santé sexuelle et reproductive. Il couvre 300 villages des quatre (4) régions d’intervention que sont Maradi, Tahoua, Tillabéry et Zinder. Pour la période de 2021 à 2022, 168 075 personnes ont été sensibilisées en matière de Violence Basée sur le Genre (VBG).
L’ANAJJ est une jeune structure qui contribue énormément à l’effectivité de la jouissance de l’Etat de Droit au Niger, quels sont les défis dans l’accomplissement de sa mission et quelles sont les perspectives?
Comme difficultés et défis, nous pouvons relever l’insuffisance des ressources. Les allocations budgétaires au profit de l’ANAJJ restent en deçà des objectifs à atteindre. En effet, non seulement les montants ne sont pas toujours suffisants et en plus les 50% de ces montants sont systématiquement reversés au barreau. Ce qui handicape sérieusement l’exécution de certaines activités et qui explique que l’ANAJJ n’est présente que dans les dix TGI. Un autre souci, c’est la non fourniture de l’assistance judiciaire aux bénéficiaires dans les régions du Niger autres que Niamey par les avocats professionnels. En plus lorsque vous regardez le profil des DCO qui font du bénévolat, ils ne sont pas des juristes.
Comme perspective, je peux relever que l’ANAJJ dispose d’un plan d’actions 2023-2027 constitué de trois axes stratégiques. L’axe stratégique 1 est relatif à la redynamisation de l’Agence et partenariat, le second axe stratégique met l’accent sur l’amélioration des conditions d’offre et de demande de l’assistance juridique. Quant au 3ème axe stratégique, il porte sur l’amélioration des conditions d’offre et de jouissance de l’assistance judiciaire.
Ce plan d’actions s’appuie sur un buidget d’’un montant global de 5 485 900 000 FCA. Sa mise en œuvre contribuera à l’effectivité de l’accès à la justice de la population de notre pays.
Mme la Directrice générale, on constate que le travail est titanesque, les besoins sont énormes, est-ce que l’agence reçoit l’appui des partenaires ?
Oui, l’ANAJJ bénéficie de l’appui des partenaires techniques et financiers au titre desquels nous avons le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’International Developement Law Organization (IDLO), l’Association du Barreau Américain, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), le Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, Eucap sahel.
Ces partenaires, en plus de l’appui en matériel de bureau et matériel informatique, interviennent aussi bien sur le volet assistance juridique que judiciaire.
Sur le volet assistance juridique, ces partenaires soutiennent les formations des acteurs, la tenue des séances de sensibilisation, le recrutement des coordonnateurs des cliniques juridiques et des parajuristes communautaires, l’organisation des journées porte-ouvertes etc.
Pour ce qui est de l’assistance judiciaire, certains partenaires dont IDLO principalement, appuient l’organisation et la prise en charge des dossiers lors des sessions des chambres criminelles, la prise en charge de certains frais de justice, le paiement des prestations des avocats ou défenseurs commis d’office et l’assistance aux victimes.
Il est à noter que l’appui des partenaires contribue fortement à l’atteinte des objectifs de l’agence.
Proposé par Zabeirou Moussa (ONEP)