Le cinéma est un témoignage vivant de ce qu’il y aurait à prendre ou à laisser à une génération, la mémoire d’un peuple. À travers lui, les jeunes générations voient, de façon imagée, les différentes mutations de leur communauté. Le cinéma présente un avantage majeur. C’est un art qui se consomme même sans un quelconque niveau de lettrisme. Déjà dans les années 30, les pays tels que l’URSS, les USA, la France commencèrent à considérer l’image comme étant d’une grande importance. Ludique à ses débuts, le cinéma devenait de plus en plus un enjeu culturel et politique.
Les fonctions du cinéma
Pour mieux cerner les fonctions du cinéma et de son impact dans la restauration de la souveraineté nationale au Niger, on doit évoquer l’histoire coloniale, avec la course impérialiste aux territoires, en Afrique comme ailleurs.
Pour Osange Silou, le cinéma colonial de propagande était né à la veille de la seconde guerre mondiale en 1938 et c’était « Pascot, le chef d’escadron de l’artillerie coloniale, affecté au deuxième bureau qui l’avait inventé et défini ses principes généraux en ces termes » :
« La plus large part doit être réservée au film documentaire commenté. Le cinéma doit être un instrument d’enseignement et de propagande, le film documentaire représentera les faits marquants de l’activité humaine. Les manifestations de notre puissance militaire, aérienne et navale, y figureront en bonne place. L‘indigène doute de ce qu’il ne voit pas. Par contre, ce qu’il voit est enregistré avec un certain grossissement. N’hésitons pas à nous montrer à ses yeux tels que nous sommes…Evitons, par manque de compréhension à cet égard, de laisser le doute entrer dans l’esprit de nos protégés…Montrons notre force pour n’avoir pas à nous en servir. Les films à scénario doivent tirer leurs sujets du folklore local… le film à scenario servira à son tour la propagande française…Notre mission civilisatrice outre-mer se traduira essentiellement par la mise en valeur de l’empire et du maintien de son intégrité…l’installation et le développement de l’équipement radiophonique et cinématographique de nos colonies entrent dans le cadre de l’activité que nous allons déployer pour atteindre ce double but… »
S’agissant toujours de la France, on peut lire chez Charlotte Meyer (2004) que :
« C’est dans un contexte d’indifférence générale que les partisans de l’expansion coloniale cherchent à fabriquer une image (un imaginaire) des colonies françaises justifiant leur présence outre-mer. A cet effet, toute une propagande est mise en place, véhiculée par le discours des hommes politiques (notamment du parti colonial), les journaux d’information, les cartes postales, les caricatures, les livres scolaires, les films coloniaux, et les exposions coloniales ».
A travers ces propos, les fonctions sociale et politique du cinéma sont clairement mises en exergue dans la conquête ou la reconquête de la souveraineté nationale d’un pays ou pour un peuple.
Clément Tapsoba (1995) du Burkina Faso dit à cet effet que le cinéma africain a un double défi à relever. Le premier consiste à restituer l’image dénaturée des noirs à travers les images faites sur eux par le colonisateur dans le but de servir ses desseins hégémoniques et d’acculturation. L’autre défi consiste pour le cinéma africain à sensibiliser, à éduquer les populations.
Et, c’est cela que doit être le cinéma pour un pays. Pour ce faire, l’Etat doit avoir un droit de regard dans toutes les productions filmiques à travers des commissions d’autorisation de tournage, de censure, des droits de visas de diffusion de films, etc. Des dispositifs d’encadrement qui existent bien dans les pays où le cinéma est une véritable industrie (USA, France, etc.).
Le cinéma ; un média dans la géostratégie
Le cinéma pour les Occidentaux est un canal de propagande, de diffusion de la culture occidentale à travers leurs système éducatif, politique, médias, instituts et centres de recherche, des aides à nos Etats, les coopérants, les missionnaires, les ambassades, etc. Et, certains des nôtres, les moins portés sur le patriotisme, ignorent l’enjeu du cinéma, épousent l’idéologie occidentale pour faire ancrer et nourrir l’impérialisme culturel aux dépens de la nation.
Déconstruction de l’idéologie occidentale par le cinéma
Pour contribuer à l’éveil de conscience du peuple et la restauration de la souveraineté nigérienne, les acteurs culturels en l’occurrence les cinéastes et l’autorité de tutelle se doivent de déconstruire les idéologies occidentales à partir d’une règlementation souverainiste et des récits filmiques qui mettent en lumière :
- les langues nationales pour impacter plus sur les populations ;
- minimiser ou accorder moins de temps d’antenne sur les contenus de l’impérialisme culturel ;
- contrôler les chaînes cryptées au profit des films locaux ;
- montrer l’engagement des chefferies traditionnelles, de la société civile, des autorités militaires et civiles, des citoyens lambdas dans cet élan patriotique et la résilience des nigériens ;
- réaliser des films sur nos héros nationaux ;
- montrer l’organisation sociale dans nos villages sur la solidarité nigérienne ;
- diffuser sur les télévisions nationales des films à fort potentiel culturel ;
- accompagner et encourager les cinéastes dont les projets de films portent sur la préservation et la valorisation de nos cultures, le patriotisme et les actions de souveraineté ;
- censurer les films qui dénigrent le pays.
En somme, on retient que le cinéma reste et demeure un outil d’éducation des masses et de diffusion de la culture. Aussi, il permet de préserver des cultures pour les générations d’aujourd’hui et de demain, un média d’éveil de conscience dans la réhabilitation de leurs pratiques sociales et surtout de la détermination d’une souveraineté nationale dénudée de toute ingérence de l’extérieur. Les films des pionniers montrent cette appropriation à travers les adaptations des contes et légendes (voir les films de Moustapha Alassane), de l’appropriation des cultures locales (voir les films de Oumarou Ganda), etc.
Pour N. Franck Ukadike : « pour les pionniers du cinéma Africain des années 60 et 70, le film était un exercice culturel et politique. Les cinéastes montraient la vraie image de l’Afrique qui avait été victimisée par les caricatures hollywoodiennes entre autres. Et, c’est précisément cela qui pourrait nous conduire à parler de rapport entre Cinéma et Histoire. On note plus souvent que les personnes d’une société se reconnaissent à travers un film. Le film Si les Cavaliers de Mahamane Bakabé, qui est une adaptation de l’ouvrage Si les cavaliers avaient été là… de l’historien nigérien André Salifou, retrace l’organisation de la chefferie traditionnelle de Zinder pour faire partir le colonisateur qui bafouait les droits élémentaires de la population.
Aujourd’hui, les cinéastes nigériens doivent montrer à l’écran les combats multiformes enclenchés par les autorités militaires à leur tête le Général Tiani. Cela servirait dans 100 ans ou plus à ne plus travestir l’histoire du peuple résilient du Niger et continuer à faire face à toute adversité.
Youssoufa HALIDOU HAROUNA
Docteur en études cinématographique et critiques de cinéma