Le conte est une pratique culturelle relevant de la tradition orale et ancestrale africaine, un court récit d’aventures imaginaires, de caractère merveilleux et légendaire. Quant à ses origines, le conte apparaît à travers différentes versions, car il est très souvent adapté aux circonstances locales. Cet art de récit traditionnel se trouve au cœur de la culture au Niger où des grands contes comme ‘’Abou Bakoye’’, Dan dallio masaki’’, ‘‘Sofouwa may miya gouro’’, ‘’Jin jina nama intchi, ‘’Mowa’’, et ‘’Kawo may damo’’ marquent l’imaginaire populaire et deviennent des référents d’enseignement de la sagesse, des valeurs sociales, de la solidarité, de la parenté à plaisanterie, entre autres. Dans les sociétés nigériennes, le conte représente une façon de se raconter, de se perpétuer à travers la mémoire. Cependant, confronté à l’évolution fulgurante et bouleversante de la technologie, avec notamment l’essor des nouveaux médias, le conte est aujourd’hui en voie de disparition.
Art de proximité misant sur l’interaction du conteur ou de la conteuse avec son public, les contes sont véhiculés depuis des générations. Par le conte, l’enfant s’inscrit dans l’histoire de l’homme. C’est un lieu d’échange entre vieux ou vieille du village et les enfants (garçons comme filles). Il s’agit d’histoires imaginaires sur les animaux sauvages ou même sur les personnes, des histoires qui donnent parfois l’impression d’être réelles. Les enfants d’antan accordaient beaucoup d’importance à cette pratique du fait de ses diverses significations et de leçons à en tirer. Bref, c’est instructif. « À notre époque, certains enfants passaient la nuit là où on racontait des histoires, tellement c’est impressionnant et émerveillant », témoigne la conteuse Mme Illa Sâa Adamou plus connue sous le nom de Samu mai touwo ta Zabarkan.
La quinquagénaire souligne l’importance et la valeur de cette ancienne pratique. « En ce qui me concerne, c’est dès le bas âge que j’ai eu l’amour du conte, j’accordais de l’importance à la culture. Actuellement, je suis animatrice à la radio Alternative de Niamey. Dans le passé, je pouvais sans arrière-pensée faire des travaux domestiques chez une personne dans le seul but de lui raconter des histoires imaginaires. Je le faisais avec plaisir. Aujourd’hui, Dieu merci, c’est avec à cette ingénieuse activité que j’arrive à subvenir à certains de mes besoins et de ma famille et j’en suis fière », se réjouit-t-elle.
La plupart des récits traditionnels renseignaient sur des histoires tragiques, pathétiques, ou même comiques. Chaque catégorie de récits à sa propre signification mais qui, au fil du temps, sont complètement délaissés aux détriments des autres pratiques. « Nous voulons à ce que cette pratique soit bien consolidée au même titre que les autres activités culturelles », dit la conteuse Mme Illa Sâa. Elle rappelle qu’à l’époque de leur enfance, le phénomène de la télévision ou de la radio n’existait pas dans les foyers nigériens ou n’était pas aussi généralisé, et comme il n’y avait pas assez d’écoles dites modernes, certains enfants ne se retrouvaient qu’à ‘‘l’école des contes’’. Le fait de véhiculer des messages à travers les histoires imaginaires a beaucoup contribué à la bonne éducation de beaucoup de sages d’aujourd’hui. « Nous avions reçu un enseignement de bonne qualité à travers nos aînés et nos grands-parents. Il y avait la cohésion sociale, l’unité nationale, l’entraide et aussi le respect de son prochain. En dehors des récits traditionnels, le proverbe ‘’habaytchi’’ en haoussa et ‘’yassay’’ en zarma occupait une place primordiale dans le quotidien des gens qui vivaient au village. Toutes ces choses précitées sont malheureusement en train d’être délaissées. Dans le passé, les gens communiquaient couramment avec des rhétoriques basées sur des proverbes dont certains sont tirés des contes. De nos jours, c’est rare », se désole Mme Illa Sâa.
« Nos autorités doivent nous aider dans la démarche, pour intégrer cette pratique merveilleuse dans les programmes de formation et de l‘enseignement des enfants afin de consolider, garder ces acquis. Un temps doit être prévu pour que les enfants participent activement en rejouant l’histoire. La sauvegarde de cette pratique culturelle reste encore entre les mains des passionnés qui estiment tant sa valeur, sa simplicité, son universalité et aussi sa créativité. L’introduction du conte dans les écoles va permettre à l’enfant de se développer dans la construction identitaire, de sa personnalité mais aussi sociétale », estime la conteuse.
Du conte traditionnel au conte moderne
Le conte s’est adapté au fil du temps car, aujourd’hui, si on tente de raconter un conte traditionnel dans sa forme, beaucoup de personnes ne peuvent pas comprendre. Les référents ont changé. « Quand on prend le conte traditionnel, on ne peut pas faire deux ou trois phrases sans qu’il ait de proverbe. Et chaque proverbe renferme une histoire, renferme des leçons, et c’est des énigmes qui sont dedans », rappelle M. Saleh Ado Mahamat, alias ‘‘tonton’’ Ado Mandé, conteur-comédien et metteur en scène. « Contrairement au conte moderne, dans le conte traditionnel, on ne peut pas raconter une histoire de deux ou trois minutes sans utiliser quatre ou cinq proverbes. Pour même commencer, on utilise des proverbes ou des devinettes », a-t-il fait savoir.
Selon « tonton » Ado Mandé, connu du public nigérien, pour être l’un des rares à faire des scènes de conte, ces dernières années, lors des grands événements, l’art qu’il chérit tant résiste aux temps et s’adapte au mieux. Aujourd’hui encore, se réjouit le conteur, les Nigériens, plus particulièrement ceux qui parlent le zarma, apprécient beaucoup les récits de Djado Sékou que Djéliba raconte. « Le conte fait partie de nos valeurs culturelles. Dès qu’on raconte une histoire, les gens s’intéressent, ils veulent suivre et écouter », dit-t-il.
« En 2009, le Ministère de la Culture dans le cadre des festivités du 18 décembre, avait organisé le festival des contes, ‘’légendes épopées et ensemble lyrique’’ à Diffa. A cette époque, les organisateurs avaient demandé aux gens de raconter des contes. Le conte a beaucoup évolué, beaucoup changé parce qu’il est devenu un spectacle. Cela a quitté le milieu traditionnel où les vieux sont assis devant un auditoire, et maintenant il y a des règles. Cela dépend si c’est en français ou en langue locale, et c’est sur scène. Si c’est sur scène, il y’a beaucoup d’exigences. Il faut avoir la voix, créer des suspenses et attirer le public », explique Ado Mandé.
Le conte traditionnel a suivi ainsi certaines transformations pour devenir un conte moderne en spectacle. « Généralement, on puise dans le conte traditionnel et on l’adapte à la thématique demandée. Par exemple, en 2020, avec la Covid 19, l’Union Africaine à travers le CELTHO avait organisé un concours de conte au niveau continental, dans tous les pays francophones et il y avait dix (10) valeurs citées qui sont : le courage, la tolérance, la paix, le vivre ensemble, etc. Moi aussi, j’avais adapté un de mes contes traditionnels sur la thématique ‘’ tolérance acceptation de l’autre’’ et j’avais eu le premier prix, sans oublier M. Iro et le fils de Sani Bouda de Maradi », mentionne le conteur.
En 2005, lors des jeux de la francophonie, le Niger a eu la médaille d’argent catégorie conte, avec des contes traditionnels qui ont été réécrits en langue française. « L’édition qui s’est passée à Kinshasa, j’avais encadré un jeune conteur du nom de Iro Salissou. On a adapté son conte, on l’a travaillé avec des formateurs et des écrivains nigériens en respectant les thématiques et les règles. Bien que nous racontions nos contes en langue française, nous laissons nos traces africaines, nos empreintes nigériennes, notre culture, notre identité. Quand il a participé, nous avons encore eu la médaille d’argent. Le conte traditionnel peut s’adapter pour devenir un conte moderne. Le conte c’est souvent l’histoire d’hier racontée aujourd’hui, pour servir demain », a-t-il ajouté.
Il faut noter qu’il n’y a pas une grande différence entre le conte traditionnel et moderne, il y a toujours un perturbateur, une situation initiale qui est là, tout va bien, ensuite, un élément perturbateur qui dérange, crée un bouleversement. « Par exemple, tous les matins, une fille part puiser de l’eau et elle revient à la maison. C’est la situation initiale. Et un bon matin, elle est partie, elle n’est plus revenue, on a trouvé sa calebasse et ses chaussures, élément perturbateur qui est venu, un certain obstacle. Et à la fin, on retrouve la fille, et quand on retrouve la fille, il y a toujours une synthèse qu’on tire à la fin qu’on appelle ‘’une leçon de morale’’. On demande aux mères de ne pas envoyer les enfants à n’importe quelle heure de la journée pour chercher de l’eau, parce que c’est dangereux », illustre M. Saleh Ado.
« Dans les contes, nous essayons d’amener les gens à comprendre qu’on a des vertus qu’on est en train de perdre. Si on prend l’exemple de la honte, les gens ne l’ont plus de nos jours. Mais plus on raconte des histoires, cela permettra aux gens en question de prendre conscience. On espère qu’en donnant nos histoires, ça va faire rire et on profite aussi pour éduquer. C’est surtout apporter notre contribution à un changement positif de mentalité », précise Ado Mandé.
Farida. A. Ibrahim (ONEP)