Monsieur le Médiateur de la République, vous avez présidé les 10 et 11 juin derniers à Maradi, les travaux du premier Forum sur le mariage des enfants. Pourquoi l’organisation d’un tel Forum au Niger, et comment cette initiative a-t-elle vu le jour ?
Je tiens tout d’abord à vous remercier pour l’intérêt que vous accordez à la protection de l’enfant nigérien. Pour répondre à votre question, je dirai que l’idée de l’organisation d’un forum national sur le mariage des enfants, fait suite à une des recommandations faites lors des sessions de dialogues communautaires que j’ai effectués sur toute l’étendue du territoire national,en vue de sensibiliser les leaders d’opinion sur les conséquences néfastes du phénomène (conséquences sanitaires, psychologiques, socio-économiques et culturelles etc…). La croisade que nous menons contre le mariage des enfants a suscité l’intérêt des partenaires intervenant dans le domaine. Et ils ont sollicité mon leadership pour être le porteur de projet du forum national sur le mariage des enfants à Maradi. Il s’agit d’un consortium d’ONG nationales et internationales dont Save the Children, Oxfam, Songes, ANBF, SOS violence faite aux femmes etc… C’est ainsi qu’après avoir obtenu mon accord, il a été mis en place un comité national chargé de l’organisation dudit forum avec toutes les composantes des structures intervenant dans le domaine : les Ministères en charge de la Protection de l’enfant, de la Population, des enseignements secondaires et primaire, de la Santé, de la Justice, de la renaissance culturelle, de l’intérieur, l’UNICEF, l’UNFPA, Plan Niger, World Vision, Merciy Corps, CSI, Oxfam. Le comité a travaillé pendant près de 3 mois avec des réunions en plénière tous les jeudis dans mon cabinet afin d’élaborer les TDR devant permettre l’organisation du forum. Le comité a eu aussi à rencontrer les responsables des différentes structures que j’ai citées afin de leur présenter les TDR et demander leur accompagnement pour la tenue du forum. Il faut dire que ce forum s’inscrit dans les activités de l’axe stratégique 4 du plan stratégique national 2019-2021, pour mettre fin au mariage des enfants. Il vise à renforcer le dialogue entre les acteurs locaux que sont les chefs traditionnels, les leaders religieux, et les organisations de la société civile, les acteurs étatiques et les intervenants non gouvernementaux dans le domaine de la lutte pour la fin du mariage des enfants. Il s’agit donc de renforcer la synergie d’actions entre ces différentes composantes pour agir efficacement dans l’élimination du mariage des enfants au Niger. Il faut rappeler que le Niger est partie prenante à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CDE) et à la Charte Africaine des droits et du bien de l’enfant qu’il a ratifieé sans réserve. Le pays produit régulièrement les rapports aux organes de traités dont le dernier a été présenté en septembre 2018 au comité des droits de l’enfant de Genève. Ce comité a apprécié le rapport en constatant les progrès, en matière de santé, nutrition et éducation, mais aussi a formulé d’importantes recommandations dont la plupart ont trait au volet protection de l’enfant. En effet, il a été constaté que les progrès sont timides et voir même insignifiants par rapport aux violences, abus et exploitation des enfants et certaines données montrent une stagnation telles celles relatives au mariage d’enfants. Sur ce plan le pays présente le taux le plus élevé au monde. Selon des statistiques fournies par l’UNICEF en 2016, une proportion de 75% des filles sont mariées avant leur dix-huitième anniversaire, 28% d’entre elles sont mêmes devenues des épouses avant leur 16 ans. Cette pratique est particulièrement ancrée dans les familles défavorisées issues de communautés rurales, souvent peu instruites, et où les valeurs familiales traditionnelles sont très présentes. Cette prévalence est d’autant plus importante dans les territoires situés au sud du Niger, jusqu’à atteindre le taux critique de 89% dans la région de Diffa (FNUAP 2012). Les conséquences du mariage des enfants sont bien sûr très désastreuses. Il ya entre autres, la maternité précoce, ce qui peut causer la survenance de fistules obstétricales; la détérioration souvent irréversible de l’état de santé général de la jeune mère sur le plan physique, mental et psychologique à cause des grossesses précoces, rapprochées et répétées ; les risques élevés de mortalité maternelle chez les adolescentes, liés à leur immaturité physique (35% des décès des filles de 15 à 19 ans sont liés aux grossesses précoces); les enfants nés des adolescentes présentent plus de risques de malnutrition impactant sur leur survie et leur développement ; les mineures mariées font face à des responsabilités qu’elles ne sont pas préparées à assumer ; la survenance de nombreux cas de divorces de mineures, souvent dûs aux comportements infantiles de celles-ci ; l’abandon des victimes de fistules par leurs maris et parfois même par leurs parents en cas de problèmes obstétricaux; la stigmatisation et la marginalisation des victimes au sein de la société ; et l’abandon scolaire en bas âge. Le mariage des enfants bafoue les textes de la République, mais aussi les instruments juridiques régionaux et universels de protection et de promotion des droits humains souscrits par notre pays. Le mariage des enfants est une atteinte flagrante aux droits de l’enfant, qui doit donc être protégé contre les abus en tous genres.
Quels ont été les acteurs de ce Forum et pourquoi avez-vous porté votre choix sur eux ?
Nous avons organisé ce Forum en partenariat avec le Ministère de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant, qui est le Ministère de tutelle, et comme je le disais avec l’appui technique et financier de plusieurs structures dont l’UNICEF, l’UNFPA, PLAN-NIGER, SAVE THE CHILDREN, OXFAM, WORLD VISION et MERCY CORPS, qui tous interviennent dans la protection de l’enfant. Ce Forum a aussi regroupé les représentants de certains Ministères partenaires, des Partenaires Techniques et Financiers, de l’Association des Chefs Traditionnels du Niger, des leaders religieux, des jeunes et des ONG et Associations intervenant dans la lutte contre le mariage des enfants. Notre choix s’est porté sur eux parce que la lutte contre le mariage des enfants fait partie de leurs principaux objectifs. Donc ils sont les mieux placés pour nous apporter leur soutien et leur expertise dans ce combat.
Comment s’est déroulé le Forum en tant que tel ?
Le Forum a été scindé en plusieurs panels. Le panel des intervenants à savoir le Ministère de tutelle et tous les partenaires, s’est penché sur une analyse minutieuse de la problématique. Le contexte de l’élaboration du Plan Stratégique, les causes socio culturelles et les causes structurelles du mariage des enfants, les conséquences, les axes stratégiques du Plan, les résultats attendus, les actions menées et les défis ont été passés au peigne fin. Le plan Stratégique comporte quatre axes stratégiques qui sont : l’autonomisation des filles avec des informations, des compétences et des réseaux de soutien afin de leur permettre de participer de manière significative aux décisions qui affectent leur vie, y compris l’éducation, les stratégies de subsistance et l’élévationde l’âge du mariage ; la découverte d’options améliorées par les parents et les membres de la communauté en mettant en place une politique de renforcement des capacités de ces derniers afin de les encourager à envisager de donner d’autres opportunités à leurs filles pubères qui les rendront plus prêtes pour le mariage une fois les 18 ans passés. Ils seront mieux équipés pour identifier des alternatives. Il faut aussi améliorer prioritairement l’accessibilité et la qualité des services d’éducation, de protection et d’autres services sociaux pour les filles, et il faut créer de nouvelles plateformes pour le dialogue social et envisager la coordination d’un mouvement social pour mettre fin au mariage des enfants, qui est une norme sociale nécessitant un abandon collectif. Il y avait aussi pendant ce forum le panel des jeunes, le panel des Chefs traditionnels et le panel des leaders religieux. Tous ces différents panels ont apporté de manière efficiente leurs contributions dans l’élaboration des stratégies de lutte contre le mariage des enfants.Les Chefs traditionnels fortement représentés à ce forum ont réitérés leur engagement à accompagner le processus d’éradication du mariage des enfants au Niger. Les leaders religieux,se sont également engagés à se prononcer sur la question après une consultation au niveau des 8 régions du pays, tout en reconnaissant les différentes préoccupations que le mariage ne peut avoir lieu sans une aptitude physique normale affichée et aussi le consentement de la mariée.
Quelles sont les grandes conclusions issues de ce forum ?
A l’issue des travaux du forum, une lettre de doléances m’a été adressée par les participants. Dans cette lettre, il est dit qu’au regard de tous les constats faits par les différents intervenants au cours de ce forum, les participants ont convenu de reconnaître que le mariage des enfants a des conséquences néfastes sur la jeune fille tant sur le plan sanitaire, éducationnel, que sur le plan socioéconomique du pays. Cette question de première importance au regard du contexte de notre pays, mérite l’action conjuguée des pouvoirs publics (Etat), les partenaires bilatéraux et multilatéraux, les structures de la société civile œuvrant dans le domaine, les chefs traditionnels et les leaders religieux. Les participants ont aussi lancé des appels notamment à l’endroit du Médiateur de la République sur l’harmonisation du cadre législatif et coutumier ; à l’endroit du Ministère de tutelle sur la mise en place d’un cadre de concertation multi-acteurs ; une étude sur la mise à jour des statistiques sur la prévalence du mariage d’enfants au Niger ; l’harmonisation et l’adaptation d’une des approches uniques sur la lutte contre le mariage des enfants et la coordination et la vulgarisation des approches. A l’endroit des leaders religieux il est attendu l’organisation d’un forum des leaders religieux pour décliner les actions à entreprendre dans la lutte contre le mariage des enfants ainsi que leurs engagements. A l’endroit de nos Chefs traditionnels, le forum a demandé leur implication dans toutes les actions à entreprendre, l’harmonisation des pratiques et approches porteuses, et leur vulgarisation dans les autres entités administratives. Le forum a également demandé aux organisations de la société civile et aux ong nationales et internationales d’accompagner le Ministère de tutelle dans la mise en œuvre du plan d’action stratégique national.
Réalisée par Oumarou Moussa(onep)