J.P Eric Yombi, consultant, conférencier, journaliste indépendant spécialisé en Relations Internationales, a publié en 2021, un ouvrage de 288 pages intitulé « Le Poids colonial de la France ; entre façonnage, errances et auto-libération en Afrique noire francophone ».
Dans le cadre de la collecte de l’information et des témoignages, l’auteur a parcouru plusieurs pays dont le Niger, le Mali, le Burkina-Faso, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Togo.
« Six décennies après l’accession à la souveraineté nationale, on hume difficilement une fragrance de développement. Les indicateurs ont du mal à monter la pente irréversible du décollage. S’il existe des efforts, ils sont inversement proportionnels aux attentes incommensurables des masses. La cause de cette relative arriération est, entre autres, le façonnage par l’hexagone d’une bourgeoisie bureaucratique », dit d’emblée l’auteur dans l’avant-propos.
Le poids colonial de la France, c’est aussi le façonnage par la métropole d’une élite constituée d’un ensemble d’individus appartenant aux milieux économique et politique qui se sont approprié l’Etat.
Jouissant d’avantages et de privilèges, l’Etat, nous dit l’auteur, « c’est d’abord eux, l’Etat, c’est toujours avec eux. Autrement dit, l’existence, l’organisation et le fonctionnement de celui-ci se font avec leurs empreintes ».
En parcourant l’ouvrage et en s’attardant sur certains points, trois remarques, auxquelles J.P Eric Yombi lui-même a fait face tout au long de ses recherches, se dégagent.
La première, c’est que les populations appartenant à ces territoires ont une part de la France en elles induisant de ce fait une relation paternaliste.
La seconde, on constate que le développement en Afrique noire francophone est en retard par rapport aux autres pays qui sont de culture anglo-saxonne ou arabe. Et la troisième remarque, l’immobilisme a pris le pas sur l’action, le pragmatisme et la volonté de s’affranchir dans les différents pays francophones.
Dans les entrailles de cet ouvrage, la semence coloniale en Afrique noire francophone entre mécanismes, formes et profondeurs est analysée, les traités et accords spéciaux qui sont aujourd’hui dénoncés par les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel(AES), qui ne sont que des mécanismes d’embrigadement par la métropole sont passés à la loupe.
Après les indépendances, la France n’a en effet ménagé ni son énergie, ni ses stratagèmes pour établir un cadre formel où elle tirera avantages, profits et privilèges sur les territoires jadis sous son influence.
Il en est ainsi des accords de défense et de coopération militaire et technique qu’elle a signés, quelques fois aux forceps, avec les pays nouvellement indépendants.
C’est justement sur la base de ces accords que la France est intervenue plusieurs fois en Afrique et a profité pour s’y incruster.
C’est pourquoi, l’auteur souligne « qu’il apparait que pour des situations majeures et sensibles, la précarité de l’Afrique noire Francophone étant avérée, la Métropole exprime ses intérêts en se servant de ses bases militaires de même qu’en déployant différentes interventions militaires à l’étranger. Les déclarations des Chefs d’Etat de l’Hexagone n’ont pas fondamentalement rompu avec cette tradition interventionniste ».
Dans cet ouvrage, une réflexion est engagée sur l’immixtion de l’Hexagone dans les affaires intérieures des Etats qui étaient jadis sous sa domination.
Cet interventionnisme par détachements militaires imposés suscitent quelques interrogations : ces différentes interventions et la présence de ces bases militaires traduisent-elles une incapacité avérée des Etats africains en prendre en charge leur propre sécurité ?
Du reste, on se rend à l’évidence que la création de l’Alliance des Etas du Sahel(AES) qui, dès les premières heures, a dénoncé les accords coloniaux et autres conventions qui rament à contre courant des aspirations des peuples sahéliens est une réponse à cette interrogation.
Les pays membres de l’AES, eux, ont décidé de prendre leur destin en main en assurant la défense de leurs territoires et en bannissant tous les choix des tenants politiques qui ont, dans un tour de passe, cédé la défense et la sécurité aux puissances occidentales.
Par rapport justement à la classe politique et à l’armée, cette analyse du Capitaine Thomas Sankara est claire : « tous les hommes politiques voltaïques qui ont depuis l’indépendance jusqu’à nos jours joué un rôle politique de premier ou de second plan ont été pour l’ensemble des éléments politiques négatifs ayant livré le pays à l’exploitation et à l’impérialisme international et à l’impérialisme français. Ces hommes étaient tous acquis à la cause du néo-colonialisme et avaient sa bénédiction».
J.P Eric Yombi préconise, au chapitre 4 de son ouvrage riche et intéressant, un nouveau contrat social en Afrique noire francophone, une reconstruction du lien gouvernants-gouvernés car, la gouvernance a produit en Afrique noire francophone des fruits pas du tout satisfaisants.
Ce nouveau contrat social cadre parfaitement en vérité avec les grands principes de la refondation de la République en cours dans notre pays et les différents constats faits par le Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie(CNSP),Chef de l’Etat, le Général de Brigade Abdourahamane Tiani qui, après avoir fustigé le comportement maladroit des tenants du pouvoir politique et déploré l’insatisfaction générale et généralisée des besoins fondamentaux des populations, a décrié l’incapacité des pouvoirs politiques à honorer leurs engagements vis-à-vis du peuple .
En définitive, cet ouvrage est absolument à lire pour comprendre les enjeux de l’heure et surtout appréhender les contours du nouvel ordre géopolitique induit par la reconquête de la souveraineté nationale et de l’indépendance véritable dans les pays de l’AES , comprendre les tares qui obstruent le chemin de la liberté dans d’autres pays de l’Afrique francophone et cerner des sujets, des faits et évènements qui ont conduit à une prise de conscience collective au Burkina-Faso, au Mali et au Niger.
Alou Moustapha (ONEP)