Le département de Goudoumaria renferme un potentiel inestimable de cuvettes oasiennes. Ces dernières constituent des ressources naturelles à vocation agro-sylvo-pastorale. Malheureusement lorsqu’on observe de près l’évolution de ces écosystèmes, un constat désagréable et alarmant se dégage et cela sans appel. En effet, ce constat est celui d’une menace de dégradation exponentielle de ces écosystèmes exceptionnels. A l’origine de la dégradation de ces ressources naturelles indispensables pour l’équilibre écologique et la diversité des espèces biologiques se trouvent incontestablement deux facteurs majeurs : le phénomène naturel dont la manifestation visible repose sur le changement climatique, qui lui-même s’observe à travers l’ensablement, réduisant considérablement l’étendue des cuvettes oasiennes et les actions anthropiques.
Selon l’inventaire établi par les services de l’environnement, le département de Goudoumaria dispose de plus de 600 cuvettes oasiennes. Ce sont des espaces fertiles dans lesquels les populations locales tirent l’essentiel de leur subsistance, étant donné les terres productives (les champs de culture) sont appauvries et ne répondent plus aux attentes des producteurs. L’exploitation du natron ; les activités de culture de contre saison et les cultures sous pluies sont autant d’avantages que les cuvettes oasiennes procurent aux populations. Ainsi, de la production des spéculations traditionnelles (le mil et le sorgho) sur des sols totalement lessivés, infertiles et envahis progressivement par des dunes de sable, les populations ont systématiquement migré vers l’exploitation des cuvettes oasiennes fertiles à la recherche de leur subsistance. C’est dire que les populations locales sont conscientes du changement climatique et s’adaptent par conséquent à la nouvelle situation. Ce qui démontre leur capacité de résilience face aux effets irréversibles du changement climatique.
Par ailleurs, la quasi-totalité des cuvettes oasiennes est terriblement menacée par l’ensablement dans le département de Goudoumaria. Cependant, deux sites de cuvettes oasiennes emblématiques ont retenu notre attention. Il s’agit des cuvettes oasiennes de Rerewa et celles de Tissoua. Sur la route menant aux deux principales cuvettes critiques, la végétation est caractérisée par des arbres et arbustes rabougris ainsi que des immenses dunes de sable à perte de vue. Dans ce paysage pittoresque, reflétant les caractéristiques du désert, on y voit également des résidus de palmier doum et des dattiers qui servent à la fixation des dunes de sable. En outre, pour permettre la régénération des herbacées, les services techniques de l’environnement ont formellement interdit d’utiliser des matériaux biologiques dans le cadre de la fixation des dunes. Ce sont des espèces inédites qui sont permises d’utilisation pour atténuer les effets du changement climatique.
Sur ces sites critiques, des opérations de préservation du couvert végétal sont en cours pour permettre à la population locale d’avoir des espaces exploitables. Les services techniques de l’environnement ; de l’agriculture ; du génie rural et le projet de redressement de la région du Lac Tchad (PROLAC) sont à pied d’œuvre pour réaliser la fixation de dunes ; l’aménagement et la mise en valeur des hectares importants minutieusement clôturés.
La cuvette oasienne du village de Rerewa Amadou krillama
Située à 10 Km du village de Jajeri et à 40 Km au sud du département de Goudoumaria, la cuvette oasienne de Rerewa est menacée d’ensablement et le facteur anthropique. L’ensablement progressif de ladite cuvette a fait déplacer en 2008 les habitants du village de Rerewa. Impuissantes face ce phénomène de changement climatique auquel elles avaient contribué, peut-être sans se rendre compte à travers la coupe abusive des arbres et les arbustes, les populations de Rerewa ont trouvé refuge à quelques encablures de l’ancien site du village en question. Or, d’un point de vue sociologique, le déplacement d’un village par contrainte est un grand péril pour les habitants qui y assistent bon an mal an à l’abandon d’un cordon socioculturel fort.
Du haut de ses 68 ans, le chef du village de Rerewa Amadou Krillama M. Fassouna Doubbo se rappelle du processus d’invasion de leur village par les dunes de sables. « D’année en année, nous constatons que les dunes de sable s’approchent dangereusement de notre village. Le phénomène inquiétait plus qu’une personne dans le village, mais nous n’avions pas de solution. La seule et unique solution crédible qui s’était révélée concluante pour nous a consisté à se déplacer carrément pour éviter le péril d’être englouti par l’avancée inexorable de l’ensablement. L’ancien site du village est complètement réduit en dunes de sable dans lequel on y trouve tout de même des arbres comme le neem. L’étendue de la cuvette s’est considérablement amenuisée. Elle a été même coupée en deux parties distinctes par l’accélération de l’ensablement », déplore le chef du village.
En plus, l’apparition des dunes de sable a débuté il y’a de cela 30 ans. Et au fil des années, la cuvette a perdu des hectares dont il serait difficile pour les populations de dire avec exactitude l’étendue de l’espace conquis par l’ensablement. Faute de données fiables, les habitants du village de Rerewa affirment par la voix du chef du village que la cuvette a perdu au moins 30 ha de sa dimension. En termes des difficultés, les exploitants de la cuvette de Rerewa se plaignent du manque d’engrais, de semences, de matériels aratoires et de pesticides.
Cette cuvette ceinturée par des dunes de sable et entrecoupée présente un visage défiguré. Jusqu’aux années 1990, la cuvette était dense et touffue. Toutefois, les actions anthropiques auxquelles s’ajoute le facteur climatique ont rendu vulnérable la cuvette. Selon le témoignage d’Elhadj Ari Tchikama âgé de 45 ans, plusieurs espèces végétales et animales ont disparu de la cuvette. Pour les espèces végétales, on peut citer entre autres l’Andropogon gayanis ; l’Acacia radiana ; le Federbia albida etc. Quant aux espèces d’oiseaux et animales, il énumère non sans regret la disparition des pintades sauvages ; des outardes ; des hiboux ; des vautours et des gazelles.
Cependant, avec la remontée capillaire, explique elhadji Ari Tchikama, on assiste au retour timide de certaines espèces d’oiseaux. Véritable joyau de la nature, la cuvette oasienne du village de Rerewa est accessible aux visiteurs de ce jour 26 juillet 2023. Mais pour y accéder, il va falloir se soumettre à l’épreuve d’une descente bourbeuse. En effet, l’ensablement a charrié une montagne de sable qui est en train de rétrécir la dimension de la cuvette. A l’intérieur de celle-ci se dégage une atmosphère moite. Les populations exploitent 12 mois sur 12 cette cuvette oasienne qui dispose des remontées salines par endroit.
Selon le directeur départemental adjoint de l’Agriculture de Goudoumaria M. Madou Moumouni, par ailleurs chef de district agricole de Kodjimeri, au total 100 exploitants dont 70 femmes exploitent cet espace productif. Ces exploitants appartiennent à trois village notamment Rerewa Kalamba ; Ousmandi et Rerewa Krillama. Ils cultivent quasiment toutes les spéculations en contre saison. Il s’agit des cultures comme le blé, le chou, l’oignon, la tomate, la carotte, le concombre, le moringa, le maïs ; le manioc etc. Ainsi, l’intérêt des cuvettes oasiennes réside dans le fait qu’elles soient exploitables toute l’année et sans interruption aucune.
Les femmes ne sont pas aussi en marge dans l’exploitation des cuvettes oasiennes. Mme Fadji Katchella Ram est une exploitante de la cuvette de rerewa. Elle exploite 0,5 ha depuis sept (7) ans. Elle produit entre autres le moringa ; le chou ; la carotte ; l’oignon ; le maïs et la tomate etc. Les revenus issus de l’exploitation servent à la consommation familiale et une partie à la vente. C’est dire que les femmes participent activement à la mise en valeur des cuvettes à travers les cultures de contre saison.
L’atténuation, l’adaptation et la résilience comme réponse au changement climatique
Toutes les interventions de l’Etat et de ses partenaires dans le domaine de la protection de l’environnement n’obéissent qu’à ce seul et unique triptyque : l’atténuation, l’adaptation et la résilience des populations face aux effets néfastes du changement climatique. En effet, dans cette zone où les cuvettes oasiennes sont extrêmement importantes, le Projet de Redressement de Région du Lac Tchad (PROLAC) multiplie les interventions en ayant comme fil conducteur ce triptique. C’est dans cette optique que la cuvette du Rerewa a bénéficié du PROLAC de la fixation de 125 ha entre 2022 et 2023. Les bénéficiaires n’ont supporté en termes d’apport que la fumure organique. En plus, le PROLAC a aménagé 7 ha afin de permettre aux exploitants d’élargir l’étendue de leurs espaces cultivables. Dans le sillage de l’aménagement, il a été planté au total 24.000 plants en 2022 et 300 kg de semence d’herbacées.
A toutes ces réalisations viennent se greffer la construction de six (6) bassins ; un réseau californien et six (6) kits solaires composés chacun de six (6) panneaux. Avant l’intervention du projet, la cuvette était clôturée par des rachis de palmier doum. Mieux, la spécificité de la cuvette de Rerewa, c’est qu’il existe une partie dédiée exclusivement aux éleveurs qui ont d’ailleurs leur campement à quelques encablures de la cuvette. Cette répartition des ressources naturelles permet à tout point de vue de prévenir les conflits intercommunautaires liés au partage des ressources.
Pour véritablement appréhender le phénomène de l’ensablement des cuvettes oasiennes dans la région de Diffa, le capitaine des Eaux et Forets Kouloum Zerma, par ailleurs directeur départemental adjoint de l’environnement et de la lutte contre la Désertification de Goudoumaria est formel qu’il faut pousser un peu plus l’analyse tout en étant rigoureux. Lorsqu’on prend la zone du Lac Tchad, elle s’étend de N’guigmi jusqu’au Monio dans le département de Gouré. Avec le retrait progressif du Lac Tchad, explique le Capitaine Kouloum, il a été constaté que les nappes sont profondes. Pour creuser un puits maraicher, il va falloir aller un peu plus en profondeur avant d’avoir de l’eau.
Ce phénomène prouve à suffisance que le changement climatique est une réalité qu’il convient d’ailleurs d’intégrer dans nos réflexions et actions dans une perspective d’amener les populations à s’adapter, mais surtout d’être résilientes pour faire face à la situation. « C’est la raison pour laquelle dans notre rôle régalien, l’Etat à travers les services de l’environnement renforce les capacités des populations afin qu’elles prennent conscience du phénomène de changement climatique. Pour ce faire, nous apprenons aux populations les techniques appropriées pour qu’elles s’adaptent à la situation. En plus de cela, nous renforçons les capacités des populations par rapport à la résilience. Il s’agit de montrer aux populations comment résister, comment s’y prendre face à ce phénomène inéluctable », détaille le capitaine des Eaux et Forets.
Néanmoins, il faut reconnaitre que la nature ne saurait être la responsable de son autodestruction. Etant donné que l’être humain est la créature élevée sur toutes les autres sur terre, il ne pourrait absolument pas être innocenté dans le procès de la crise climatique devenue aujourd’hui mondiale. Selon le capitaine Kouloum Zerma, il est évident que le phénomène de l’ensablement des cuvettes oasiennes du département de Goudoumaria ne résulte pas que du facteur naturel (changement climatique). Les actions anthropiques ont fortement contribué à la destruction du couvert végétal. « C’est pourquoi, nous sensibilisons la population par rapport à la coupe abusive des arbres motivée par la quête des terres cultivables et la pauvreté ambiante de l’écrasante des populations surtout rurales », a souligné le directeur départemental adjoint de l’Environnement du département de Goudoumaria.
La cuvette de Tissoua menacée par l’ensablement
Tout comme la cuvette du village de Rerewa, celle de Tissoua est aussi menacée par le phénomène d’ensablement. Elle est située à l’Est de la ville de Goudoumaria à 7 km sur la RN1. Ici, l’espèce de hythaene Thebeca qui était dominante jusqu’à un passé récent, est en train de disparaitre à « petit feu » pour laisser la place à d’autres espèces. En effet, la dégradation de la cuvette de Tissoua est extrême. La morphologie du sol de la cuvette prouve à suffisance l’appauvrissement du sol. Elle est moins exploitée par les populations de Goudoumaria. Et pour cause, les propriétaires terriens n’exploitent pas cette cuvette et empêchent de façon systématique les autres à travailler. En plus, le coût de la mise en valeur de la cuvette n’est pas à portée des pauvres producteurs.
Le projet PROLAC a aménagé 5 ha. Elle dispose de quatre (4) bassins ; cinq (5) kits solaires et un réseau californien. Agé de 30 ans, M. Gambo Malam Hassane a élu domicile dans la cuvette de Tissoua. Il a construit une petite bicoque dans laquelle il vit depuis le début de la saison des pluies avec son frère. M. Gambo Malam Hassane vient du village d’Amadou Boultrom. Il est en train de semer du sésame lors de notre passage sur le site. Le sésame, explique-t-il, est une culture tolérante et résiste face au climat de la zone. Mieux, cette culture a moins d’ennemis de culture. « Face à la dégradation continue des terres cultivables, nous avons changé les habitudes en termes de culture. Au lieu du mil, sorgho, nous sommes en train de tendre vers la culture du sésame. Nous savons que le sol s’est appauvri au fil des années », a-t-il reconnu. Il y’a alors urgence d’agir pour sauver les cuvettes oasiennes qui constituent des ressources naturelles à partir desquelles les populations locales tirent beaucoup d’avantages.
Hassane Daouda (ONEP), Envoyé Spécial