Le Niger présente une diversité culturelle qui se manifeste à travers différents symboles, dont les croix, qui incarnent l’identité culturelle de son peuple. Les bijoutiers les présentent sous forme de collection de 22 Croix considérées comme emblèmes des localités ou des régions. Parmi les 22 croix, Onze (11) sont de l’Aïr (Agadez, Iférouane, Aïr, In Abangaret, Timia, Crip-Crip, Tchimoumounène, In gall, Taghmert, Takadenden, Bagzan), plus la récente croix dédiée à Mano Dayak, quatre (4) sont de la région de Tahoua (Abalak, Tilya, Tchintabaraden, In Wagar), quatre (4) représentent les autres centres du Niger (Tahoua, Madaoua, Bilma, Zinder) et trois n’ont pas de signification géographique.
La croix mondialement reconnue est celle d’Agadez, un symbole emblématique de la culture touarègue qui est un peuple nomade du Sahara, particulièrement présent au Niger. Cette croix est souvent fabriquée en fer ou en argent et se caractérise par sa forme distinctive, avec des bras longs et une structure en forme de croix. Elle est traditionnellement portée par les hommes et les femmes Touaregs et est souvent associée à des rites de passage, tels que le mariage. En tant qu’élément de la culture matérielle, elle représente non seulement l’identité touarègue, mais aussi l’héritage historique de ladite communauté.
Au-delà de son aspect esthétique, explique Professeur Adamou Aboubacar, Enseignant-Chercheur, Historien à la retraite et ancien doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, la croix d’Agadez revêt une signification spirituelle profonde. Elle est perçue comme un talisman, un objet protecteur qui éloigne les mauvais esprits et les malheurs. De ce fait, elle joue un rôle crucial dans la spiritualité touarègue, agissant comme un lien entre le monde matériel et le monde spirituel. Historiquement, la croix d’Agadez a également une importance sociale. Elle est souvent considérée comme un symbole de statut et de prestige au sein des communautés touarègues. Posséder ou porter cette croix peut indiquer un certain niveau d’autorité ou de respect, notamment pour les chefs de clan. Ainsi, elle contribue à la cohésion sociale en renforçant les liens entre les membres de la communauté et en soulignant leur appartenance à une culture riche et distincte.
Elle est aujourd’hui devenue un symbole de résistance et de résilience face aux défis contemporains, tels que la mondialisation. Elle est souvent utilisée dans des contextes artistiques et culturels pour promouvoir la culture touarègue au-delà des frontières du Niger. À travers son image, la croix d’Agadez continue d’incarner l’espoir et la détermination d’un peuple à préserver son identité culturelle et ses traditions face à un monde en constante évolution.
Historique de la Croix d’Agadez rapportée par Professeur Adamou Aboubacar, Enseignant-Chercheur, Historien
Au XIIè siècle, un roi touareg très méchant n’autorisait personne à entrer dans sa maison. Il avait une très belle fille aimée de tous et à qui tout le monde aurait souhaité parler. Mais seul un guerrier réussit à lui parler trois fois et conquérir son cœur. Comme il était difficile de la voir, celui-ci décida de lui envoyer un message. Pour cela, il consulta un forgeron et lui demanda de confectionner un bijou en guise de message d’amour. Le forgeron conçut une bague sous forme de deux lettres de l’alphabet touareg à savoir + (etta) et O (erra), ce qui veut dire tara (Amour). Quand le forgeron emmena la bague, le gardien du Sultanat lui demanda ce qu’il avait dans la main et celui-ci lui répondit : « c’est la Tineghlet », c’est-à-dire quelque chose issue de la fonte du métal. La princesse comprit le message. Avec l’une de ses servantes qui était de connivence, elle ouvrit la porte arrière du Palais afin que le guerrier puisse entrer. Quand le roi apprit que sa fille avait un ami, il appela ce dernier et décida de les marier. La princesse voulut alors que sa bague devienne un pendentif. Elle la rapporta au même forgeron, qui la modifia en ajoutant la lettre : (ekka). Cela donne le mot + O : qui se prononce « terak » et signifie cohabitation, mariage ou désigne des relations de proximité. Le forgeron place les lettres verticalement, à la manière dont on écrivait autrefois le ‘’tifinagh’’, ceci à former la croix d’Agadez. On commença à raconter cette histoire dans toute la région, et comme la princesse faisait partie de la famille noble possédant le pouvoir, la croix d’Agadez devint un objet de luxe. Dès lors, chaque époux dut mettre dans la valise de sa future femme une Croix d’Agadez dont le prix équivalait à celui d’un chameau.
Il existe, selon l’historien Adamou Aboubacar, quatre Croix considérées comme authentiques : Zakat, la croix d’Iférouane, Tinfek, la croix d’In Gall, Tenalet, la croix de Zinder et Tineghlet, la croix d’Agadez. Les autres croix sont nées avec l’ouverture du Musée National de Niamey. Tout récemment la croix Mano Dayak s’est ajoutée aux vingt et une croix fabriquées par les bijoutiers.
Mais, a-t-il précisé, la croix d’Agadez est la plus reconnue mondialement. Les autres croix sont des imitations. Dans le contexte artistique, la croix d’Agadez est souvent mise en avant dans les festivals, les expositions et les œuvres d’art. Des artistes Touaregs utilisent cette image pour évoquer leurs racines et leur histoire, contribuant à une réévaluation positive de leur culture sur la scène internationale. Par exemple, des peintres et des sculpteurs incorporent des éléments de la croix dans leurs créations, ce qui attire l’attention sur la richesse de l’héritage touarègue. Ces œuvres ne sont pas seulement esthétiques ; elles véhiculent également des messages de résistance et de résilience, rendant la culture touarègue visible et audible dans un paysage mondial souvent dominé par d’autres narrations.
De plus, la croix d’Agadez est devenue un symbole de solidarité pour les communautés. En portant ou en représentant la croix, les individus renforcent leur appartenance à un groupe uni par des luttes communes. Elle est souvent utilisée lors de manifestations culturelles ou de rassemblements politiques, symbolisant non seulement l’identité, mais aussi la lutte pour les droits et la reconnaissance des Touaregs dans les pays du Sahel. Cette dynamique souligne l’importance de la croix dans la promotion d’un sentiment d’appartenance et de solidarité au sein de la communauté. Les artisans du Niger ont un talent incroyable. Les chefs-d’œuvre exposés à l’occasion des foires et autres expositions nationales et internationales constituent un témoignage de leur ingéniosité.
L’extraordinaire talent des artisans nigériens
On ne peut parler des croix sans évoquer les artisans nigériens qui jouent un rôle central dans la préservation et la transmission des savoir-faire traditionnels du Niger. Ces métiers artisanaux sont profondément ancrés dans l’histoire et la culture du pays, et ils couvrent une large variété de disciplines, allant de la fabrication de bijoux, de vêtements et de poteries, à la construction, la vannerie et la forge. L’artisanat est non seulement une source importante de revenus pour de nombreuses familles, mais il constitue également un moyen pour les communautés de maintenir leurs traditions vivantes, notamment à travers des objets et des techniques qui reflètent l’identité culturelle locale.
En effet, les bijoutiers nigériens confectionnent les 21 croix du Niger sous forme de tableau, bracelets, colliers, boucles d’oreilles et bagues qui sont généralement forgées à la main, dans une tradition artisanale transmise de génération en génération. Le travail du métal, souvent de l’argent, est associé à des pierres semi-précieuses comme le corail, le lapis-lazuli et le turquoise. Le processus de fabrication est long et minutieux, impliquant la fusion, le moulage, le ciselage et la gravure, chacun de ces gestes étant un art en soi. Ces compétences reflètent non seulement l’histoire de chaque peuple, mais aussi leur mode de vie, leurs besoins et leur environnement. Leur maîtrise de la forge leur permet de produire des objets de grande qualité comme des croix en or, en argent, en bronze ou en cuivre avec des éléments décoratifs. Les croix du Niger sont très appréciées pour leur esthétique distinctive et leur symbolisme. « Nous confectionnons parfois selon le choix des clients, chacun préfère la croix de sa région. Mais la croix la plus demandée est celle d’Agadez. Les étrangers achètent le plus souvent celle d’Agadez car, elle est non seulement la plus connue, mais aussi la mieux appréciée de tous », confie M. Abdourahamane Mala, bijoutier au Musée National de Niamey.
La demande pour des croix en argent reste, selon lui, particulièrement forte en raison de leur rôle symbolique et culturel profondément enraciné. Ces croix ne sont pas seulement des objets ornementaux, mais des éléments essentiels de l’identité personnelle et collective. « Les personnes viennent souvent acheter nos tableaux ou juste une croix de leur choix pour offrir en cadeau lors des grandes cérémonies, aux personnalités en visite au Niger ou même aux amis qui viennent d’autres pays, ou quand ils vont partir à l’étranger pour amener des cadeaux à leurs amis ou familles, servant à renforcer les liens familiaux et communautaires », souligne-t-il. Ces pratiques ancrées dans les traditions sociales font des croix en argent non seulement un moyen de se distinguer, mais aussi un patrimoine vivant que l’on cherche à préserver à travers les générations.
Au-delà de leur dimension symbolique, ces croix constituent un secteur économique majeur, contribuant de manière significative à l’économie locale, particulièrement dans les zones rurales où l’artisanat représente souvent l’une des principales sources de revenus. La confection de croix en argent implique des techniques artisanales qui nécessitent un savoir-faire de qualité, transmis par des artisans expérimentés à de jeunes apprentis. En ce sens, l’artisanat constitue un secteur clé de subsistance pour de nombreuses familles, tout en jouant un rôle dans la conservation des traditions culturelles. Le fait que ces objets soient perçus comme des symboles de richesse et de prestige, contribue à maintenir une demande constante, même dans un contexte économique difficile.
Les marchés artisanaux où les bijoux en argent, particulièrement les croix du Niger, sont vendus, deviennent des lieux de rencontre pour les acheteurs locaux, les visiteurs et les touristes. Cependant, malgré la richesse de l’artisanat nigérien, les artisans font face à plusieurs défis. Le manque d’infrastructures, la faiblesse des réseaux de distribution, et l’absence d’un marché structuré limitent souvent leur accès à de nouvelles opportunités. De plus, la disparition d’argent sur le marché qui rend leurs conditions de travail difficiles et l’instabilité socio-économique compliquent la pérennité de ces métiers. « Nous avons des difficultés à trouver la matière argent sur le marché, nos clients ne comprennent pas cette situation, ce qui fait qu’aujourd’hui nous rencontrons de sérieux problèmes. Les clients veulent toujours acheter nos produits au même prix qu’avant, mais ils ne savent pas que l’argent se fait de plus en plus rare », explique M. Abdourahamane Mala, bijoutier au Musée national de Niamey.
Selon le Directeur général adjoint du Musée national, M. Gabidan Abdouramane, toutes les croix sont issues de la technique de la cire perdue (on fait le moule, on dessine la croix et on fait couler le métal dedans et après on enlève le sable). On ne tape pas le marteau sur des croix, mais pour la finition, on peut gratter pour un peu ajuster. D’abord, précise-t-il, authentiquement, toutes les croix sont en argent (Azirfa), les croix fabriquées avec de l’or ou autre métal ne sont pas les vraies. Aussi, le Niger dispose présentement de vingt-deux (22) croix et non vingt-une (21). Dix-neuf (19) croix font référence à des lieux, une (1) communément appelée ‘’Bartchaka’’ fait référence à la décoration de la tente touarègue ; une (1) appelée ‘’Karaga’’ fait référence au lit touareg et une (1) reconnue récemment (1996) fait référence à une personnalité, à savoir la croix Mano Dayak. La croix d’Agadez, souligne le Directeur général adjoint du Musée National, est la plus connue et est fabriquée par la technique de la cire perdue par des artisans Touaregs.
Elle représente les quatre points cardinaux (Est, Ouest, Sud et Nord) et fait aussi référence à une région. Quand vous la portez, vous n’allez pas vous perdre dans le Sahara, vous vous referez toujours à ses quatre points pour vous retrouver. Aussi, a fait savoir M. Gabidan Abdouramane, ces croix sont essentiellement fabriquées par des forgerons Touaregs. La croix Mano Dayak née en 1996 est la plus récente. Il est aussi rare de la voir sur des tableaux confectionnés par nos artisans. Les nigériens n’ont pas encore connaissance de cette 22è croix, c’est pourquoi ils continuent de parler de 21 croix au lieu de 22.
Aïchatou Hamma Wakasso (ONEP)