Monsieur le fondateur, quelle est la contribution actuelle des écoles privées dans le dispositif de l’enseignement au Niger ?
Nous intervenons sur plusieurs aspects de la société car nous travaillons dans un cadre de développement humain. Selon les statistiques en notre possession, bien qu’elles ne soient pas aussi récentes, les écoles privées contribuent à hauteur de plus de 30% des effectifs globaux de l’enseignement. Ce taux est de 6 à 7% au niveau de l’enseignement primaire.
On déplore une baisse de la qualité de l’enseignement dans plusieurs écoles privées. Qu’est-ce qui explique cet état de fait ?
La baisse de niveau ne concerne pas uniquement les écoles privées du Niger. C’est un phénomène qui touche l’ensemble des écoles au niveau national et même mondial. En principe, dans les écoles privées, on ne cherche que la qualité. Dans plus de 50% des écoles privées du pays, vous avez un enseignement de qualité.
Mais aujourd’hui, beaucoup de gens considèrent l’école comme un objet marchand où il faut aller trouver de l’argent. Et là aussi, c’est parce que tout celui qui veut peut tranquillement ouvrir une école privée. C’est ça le problème des textes qui régissent l’enseignement privé et c’est aussi cela qui explique la baisse de niveau dans les établissements privés. En plus, du point de vue rendement, si l’enseignant n’est pas bien payé, il ne peut pas faire un bon rendement. Donc, l’enseignement demande de la discipline, de la disponibilité, du courage et de la persévérance.
Dernièrement, vos structures se sont plaintes, dans un communiqué public, de nombreux facteurs qui entravent leur bon fonctionnement. Pouvez-vous nous résumer ces difficultés ?
Depuis 1968, date de la création de la première école privée au Niger, le secteur a beaucoup évolué. L’Etat donnait une subvention aux écoles privées pour qu’elles soient à jour et qu’elles recherchent la qualité justement. Mais aujourd’hui, cette subvention a disparu alors même que des pays autour de nous la renforce, jusqu’à hauteur de 40 milliards pour certains.
Deuxième problème, c’est qu’on demande aux écoles privées de payer des impôts alors qu’elles ne sont pas des activités commerciales. La seule ressource des fondateurs, c’est la contribution des parents, c’est à dire les frais de scolarité. Or, on atteint chaque année à peine 70% de recouvrement des frais de scolarité, ce qui est à peine suffisant pour évacuer les charges annuelles d’une école, à l’ère de la modernité.
La troisième difficulté est relative au plafonnement des frais de scolarité qui fera du ministère du commerce un de nos collaborateurs. Mais sur quels critères le ministère du commerce va-t-il fixer les frais de scolarité dans les écoles privées? Nous, nous n’en voyons pas.
Il y’a aussi le problème de la caisse nationale de sécurité sociale et la rareté de bons enseignants sur le marché du travail, surtout dans les matières scientifiques. Même si vous êtes disposé à payer le prix fort, vous vous rendrez rapidement compte que les vrais enseignants, c’est-à-dire ceux qui ont les compétences et l’amour d’évoluer dans le métier de l’enseignement du savoir, manquent cruellement. Et en plus de tout cela, vous avez la caducité des textes qui règlementent l’enseignement privé et que j’ai expliqué plus haut.
Vous militez pour une révision des textes qui régissent l’enseignement privé, notamment en ce qui concerne les normes à respecter et le plafonnement des frais d’études. Quelle sont les raisons qui motivent cette prise de décision ?
La révision des textes, c’est pour mettre de l’ordre et tendre vers une professionnalisation du secteur. C’est pour éviter que les gens viennent dans l’enseignement privé sans avoir des connaissances sur le secteur éducatif. Moi qui suis un enseignant professionnel, fondateur d’une école, je ne peux pas ouvrir une clinique, une pharmacie ou un cabinet de soins parce que ce secteur est encadré: Si vous n’êtes pas du corps médical, vous ne pouvez pas exercer dans ce secteur. Mais pourquoi est-ce qu’on permet à n’importe qui d’ouvrir une école privée? Il faudra donc réviser les textes pour professionnaliser le secteur de l’enseignement privé. C’est la seule solution qui remettra de l’ordre dans le système éducatif privé.
Avez-vous engagé des négociations avec les autorités de tutelle ?
Nous sommes toujours en pourparlers avec les autorités parce que nous, nous sommes des bâtisseurs. Le bâtisseur ne va pas dans la rue pour crier et faire des déclarations inutiles. Le bâtisseur crée un cadre de négociation et développe des arguments assez sérieux, convaincants, pour permettre au gouvernement de prendre des décisions conséquentes.
Nous sommes toujours en pourparlers avec les ministres en charge de l’éducation. Ils nous reçoivent et nous discutons cordialement. Nous avons souvent gain de cause mais il y’a des moments où nous n’avons pas une oreille attentive, surtout pour nous écouter sur le problème des impôts. Nous venons d’écrire au Président de la République pour lui demander une audience afin d’échanger avec lui et nous attendons qu’on nous communique la date de la rencontre.
Dans ces conditions, selon vous, quelles sont les perspectives pour l’enseignement privé en cette veille de rentrée académique 2021-2022?
Les écoles privées s’inscrivent aujourd’hui dans la nouvelle politique gouvernementale par rapport à l’école. Nous avons l’impression que le Président de la République fera de l’école sa deuxième préoccupation, après l’insécurité, surtout que dans son programme, il avait annoncé son intention de travailler avec l’ensemble des partenaires de l’école nigérienne, de manière inclusive et participative. Nous sommes totalement partants et nous sommes contents de cette déclaration. Nous allons l’accompagner pour le rayonnement de l’école Nigérienne.
En quoi faisant ?
Par exemple, dans un premier temps, nous allons discuter avec lui pour qu’il nous dise ce qu’il attend de nous. L’école nigérienne sera sauvée que si le Président a confiance en nous et s’il nous dit exactement ce qu’il attend de nous, pour que nous puissions tous travailler dans l’intérêt des nigériens et de l’école. Aujourd’hui, la compétition de toutes les familles, c’est l’école. Ce n’est pas autre chose : chaque famille veut inscrire son enfant dans la meilleure école.
A un autre niveau, plusieurs fondateurs se plaignent que l’Etat leur impose un règlement et des normes que lui-même ne respecte pas. Quelle est votre position?
Les fondateurs doivent se préoccuper de leurs écoles et ne pas trop les comparer avec celles du public. Ils doivent mettre de l’ordre pour qu’on ne leur reproche rien dans la gestion de leurs écoles et que les normes environnementales soient respectées. Si les gens quittent les écoles publiques pour celles privées, c’est justement parce qu’ils recherchent un certain confort et une certaine qualité éducative pour leurs enfants.
En parlant de normes environnementales, vous faites allusion à l’espace que doit occuper une école?
D’abord l’espace, mais il y’a aussi la dimension des classes qui sont de 9 m sur 7 m. Il n’y’a pas de chambre de cette dimension. Les écoles qui sont dans des villas sont dans des chambres. Va faire tes classes de 9X7m, mettre tes latrines à jour, chercher tes aires de jeux. Met l’eau et l’électricité dans ton école, respecte les textes qui réglementent les effectifs dans les classes, recrute de très bons enseignants qui ont les niveaux requis et la formation professionnelle qu’il faut. Voilà ce que doit faire une école privée et c’est ce que je conseille à mes camarades fondateurs. Les écoles privées doivent mettre de l’ordre en leur sein pour dispenser un enseignement de qualité car c’est seulement en ce moment qu’elles trouveront de la clientèle.
Avez-vous fait un plaidoyer pour présenter une alternative, ne serait-ce que provisoire, par rapport à la situation des écoles qui ne respectent pas les normes?
L’année dernière, beaucoup d’écoles qui ne respectaient pas les normes ont été fermées et certains fondateurs interpellés. On a négocié pour que le ministère leur donne un délai. Nous leur avons dit que l’Etat même ne peut pas trouver 1.000m2 pour implanter une école à Niamey. Il faut donc faire une dérogation pour les écoles privées. Au lieu de 2,5ha prévu par les textes, si un fondateur se débrouille pour avoir un 800m2, permettez lui de s’organiser et de construire ses classes, ses laboratoires et autres sur les 800m2. Les fondateurs ont tout intérêt à ne pas perdre leur temps au niveau de l’urbanisme: vous n’aurez pas de terrain. L’Etat n’en a pas lui-même.
Votre mot de la fin?
Je félicite les fondateurs pour leurs excellents résultats aux examens passés en devançant partout les écoles publiques : il n’y a qu’environ 5 écoles publiques dans le top 100 des meilleures écoles au BEPC 2021 à Niamey. Je leur demande également de s’unir pour faire aboutir leurs revendications. Le deuxième pourvoyeur d’emplois après l’Etat, c’est nous. Si on s’unit, on peut peser au niveau des prises de décisions par l’Etat et les partenaires.
Réalisée par Souleymane Yahaya(onep)