Le processus de la mise en place de la Bibliothèque Nationale du Niger date de plus de 10 ans. Monsieur le Directeur Général, peut-on dire, avec le récent atelier que vous avez organisé sur le dépôt légal que la Bibliothèque Nationale est désormais fonctionnelle ?
Merci pour l’intérêt que vous portez sur la Bibliothèque Nationale. Je vais commencer par rappeler les textes portant création de la Bibliothèque Nationale du Niger. Il s’agit de l’ordonnance N°2009-24 du 3 novembre 2009, portant loi d’orientation relative à la culture, et le décret N°2018-107/PRN/MRC/A/MS du 9 février 2018 à travers lequel les statuts de la Bibliothèque Nationale du Niger ont été approuvés. Mais, nous, les premiers responsables de cette institution, nous avons pris fonction à partir de fin décembre 2020 en ce qui me concerne et début 2021 pour la secrétaire générale. A ce jour, à part les deux responsables et quelques appelés du service civique national qui nous aident beaucoup, nous n’avons pas encore de personnel affecté. Toutefois, à partir de l’atelier que nous avons organisé le 7 février dernier, la Bibliothèque nationale est fonctionnelle. Nous avons eu la chance d’être aidés par notre ministre de tutelle, M. Mohamed Hamid et le ministère des finances qui nous ont fournis le local, le mobilier. Est-ce que nous sommes fonctionnels ? Je ne dirai pas à 100%. Nous avons de la place pour la lecture, nous sommes ouverts, nous pouvons recevoir, etc. mais cela ne suffit pas ; il faut bien plus.
Vous parlez de votre disponibilité pour accueillir ceux qui veulent lire ; concrètement quelles sont vos missions ?
Vous avez bien fait de poser la question, car je crois qu’on confond la bibliothèque nationale avec la bibliothèque ordinaire. La bibliothèque nationale du Niger a pour mission de collecter, conserver, cataloguer et exploiter la production nationale. En fait c’est un lieu où tout le patrimoine national doit se retrouver. Nous sommes donc au-delà d’une simple Bibliothèque. On peut venir pour lire, faire de la recherche. Mais la Bibliothèque nationale ce ne sont pas que des livres, c’est aussi des photos, des films, du son, de l’art, etc. Je crois que l’idée de Bibliothèque nationale dans le monde, c’est de regrouper tout ce que le pays a de patrimoine culturel en un seul endroit si possible. Mais si on doit regrouper les productions des arts visuels, de la littérature, du cinéma, etc. notre local ne suffirait pas pour contenir tout cela. C’est la raison pour laquelle nous envisageons la numérisation, parce que nous devons normalement faire cela. Si nous numérisons, nous pouvons sauvegarder le maximum d’œuvres. Nous avons déjà des œuvres physiques provenant du ministère, notamment de la direction du livre et si nous les déballons elles vont prendre déjà beaucoup d’espace. Je peux donc vous dire qu’on est là pour permettre l’accès des œuvres aux lecteurs, chercheurs. Certaines de nos collections sont au niveau de beaucoup d’organismes…
A bien vous suivre on peut se demander si vous n’avez pas la même mission que les archives nationales ?
Normalement les archives nationales n’ont pas vocation de faire ce que je viens de dire, c’est-à-dire collecter, cataloguer et déposer. Mais en attendant la création de la Bibliothèque nationale, certaines de ses attributions ont été confiées aux archives nationales. Ce n’est pas un doublon. La dernière fois, à l’atelier que nous avons organisé le directeur des archives nationales était là pour justement qu’on clarifie ces points, pour dire voilà ce que nous faisons, voilà les lignes sur lesquelles nous pouvons travailler avec la Bibliothèque nationale. Je crois qu’il n’y a pas de doublon, sauf que pour le moment les éléments essentiels sont au niveau des archives nationales que nous devons normalement récupérer, ne serait-ce que sous formes de numérisation ; il y a certains éléments qui sont à l’IRSH, que nous devons récupérer en tout cas numériser et ramener ici, nous avons des documents au niveau de l’Université de Niamey, (les mémoires, les thèses,) que nous devons amener ici. C’est pour dire que nous avons le devoir de chercher toutes les productions qui concernent le Niger, que ce soit dans le pays ou à l’extérieur, pour les mettre à la disposition des nigériens, des chercheurs du monde .
Qui sont les usagers ou les partenaires de la Bibliothèque Nationale? Ce sont eux qui doivent venir vers vous ou bien vous devez aller à la recherche des œuvres et de toutes ces productions dont vous parlez ?
Vous faites bien de le demander, parce que c’est ça que nous avons voulu clarifier avec les partenaires lors de l’atelier du 7 février dernier sur le dépôt légal. C’est une loi, c’est-à-dire c’est une obligation pour tout artiste, pour tout créateur qui produit une œuvre de faire un dépôt légal d’au moins deux exemplaires, à part les collections de grosses œuvres un peu chères pour lesquelles on demande un exemplaire. Il y a une sanction, amende qui est prévue contre ceux qui ne respectent pas cette loi. Avant de mettre les œuvres à la disposition du public, il faut faire le dépôt légal. C’est une loi qui existe, peut-être qui n’a pas été appliquée bien jusque-là. Mais au-delà de ça, nous devons aussi conduire le programme de recherche sur le patrimoine, c’est-à-dire il ne s’agit pas seulement de récupérer. Personnellemnt je pense au «takaï», au «gambara», qui sont en train de disparaitre. Nous avons aussi pour mission de créer des réseaux avec les autres bibliothèques du Niger, du monde, on peut traiter aussi des manuscrits. A ce sujet je pense à Amadou Ousmane, Abdoulaye Mamani, Boubou Hama, ces écrivains qui sont décédés et dont les enfants ont leurs manuscrits qui doivent être ici. Bien sûr il faut rassurer les gens que ces éléments-là seront dans de bonnes mains, et que la Bibliothèque nationale va les conserver pour que nos arrières, arrières petits enfants puissent les voir.
Vous parlez de l’obligation pour les créateurs, auteurs de procéder au dépôt légal ; il ne s’agit donc pas seulement d’avantages ou une question de choix ? Comment faire pour que cela soit effectif ?
La première étape a été faite ici, nous avons réuni tout ce qu’il y a comme organisation, structure, pour toucher individuellement tous ces acteurs-là. Ce n’est pas répressif, il faut juste se conformer à la loi, c’est très relaxe. Mais l’avantage premier que cela comporte, par exemple l’œuvre numérisée ici, peut être vue en un clic grâce aux réseaux des bibliothèques nationales ; ça protège aussi les droits des auteurs, nous avons aussi invité le Bureau Nigérien du droit d’Auteur(BNDA), car il s’agit de propriété intellectuelle. Vous faites une œuvre, sans protection, Vingt ans, trente ans après quelque peut se l’approprier en mettant juste son nom là-dessus et vos enfants ou petits-enfants ne pourrons peut-être rien faire. Or si vous déposez l’œuvre au BNDA qui est partenaire de la Bibliothèque nationale, personne ne pourra trafiquer votre production. Aussi, imaginez que nous ayons regroupé toutes les œuvres sur le Niger ici, un chercheur n’a pas besoin de courir à gauche, à droite dans les universités, les centres culturels, pour faire sa recherche puisqu’’il y a la bibliothèque nationale. On peut consulter aussi en ligne si les documents sont numérisés.
Je rappelle une anecdote concernant le grand artiste Yagi Dogo, qui lors d’une visite aux Etats Unis a été impressionné de découvrir le premier journal du pays, Le Temps du Niger, peut être un numéro que nous n’avons pas ici. Cela pour dire qu’il nous faut trouver les bons contacts, la bonne formule pour retrouver beaucoup de documents sur le Niger.
Il y a aussi une chercheure qui a travaillé pendant plus de 10 ans avec Djeliba Badjé le grand généalogiste décédé et dont elle a plus de 100 heures d’enregistrements. Elle veut bien donner ces éléments, mais il faut qu’on s’entende, qu’elle soit rassurée qu’ils seront sécurisés. Je pense qu’avec un cadre officiel, avec tout ce que nous sommes en train de mettre en place sur le plan juridique ce serait possible d’avoir cela et dans cinquante ans ou plus encore si quelqu’un vient il peut écouter la voix de Djeliba. Et pourquoi ne pas faire autant pour les autres œuvres comme celles de Djado Sékou aussi, des éléments visuels, sonores, des tableaux, des médailles, tous ces éléments…
Au niveau du FESPACO où je compte y être pour sa 28ème édition, ce serait bien que nous soyons là-bas puisqu’il y a un atelier sur les archives sonores et films afin de savoir qu’est ce qui appartient au Niger, qu’est-ce que nous n’avons plus et que nous pouvons ramener ne serait-ce que des copies, selon ce que la loi ou réglementation permet.
Aussi sur ces points, je voudrai ajouter que l’atelier que nous avons organisé ici, nous comptons le faire à l’intérieur du pays pour rencontrer les acteurs dans les régions afin qu’ils comprennent de quoi il s’agit. Je rappelle que nos palais de chefferies traditionnelles sont remplis de choses extraordinaires que nous sommes en train de perdre faute de conservation.
Vous insistez sur la numérisation; est ce que vous avez les moyens humains, technologiques pour faire ce travail ?
Nous ne les avons pas actuellement, mais nous avons la possibilité, puisque notre statut nous le permet, d’avoir les partenaires techniques et financiers. Je crois dans d’autres pays aussi les bibliothèques nationales le font également. Nous sommes en train de préparer la semaine de la bibliothèque nationale et ça va dans ce cadre-là. Nous pensons rencontrer des partenaires, avoir une plus grande visibilité. Il y a des partenaires qui peuvent nous aider dans ce sens-là. Nous comptons écrire à tous les ministères, les démembrements de l’Etat dans le cadre du processus de numérisation de leurs archives.
Quel est le programme de cet événement dont vous venez d’annoncer la tenue prochaine ?
La semaine de la Bibliothèque nationale va avoir pour thème « lire, comprendre et transformer notre univers ». L’objectif général c’est d’avoir une grande visibilité de la Bibliothèque nationale. Et on aura plusieurs activités sur le livre, la lecture publique, la mission de la Bibliothèque nationale, des conférences débats, des caravanes de sensibilisation sur le dépôt légal à l’intérieur du pays, de collecte de copie légale. Nous comptons aussi organiser des concours surtout pour le logo de la Bibliothèque nationale, des visites guidées de la Bibliothèque nationale, des caravanes d’exposition-vente de livres nigériens, concours de nouvelles sur le thème de la fraternité pour la plume d’or de la Bibliothèque Nationale. Autour de tout cela, sans me dévoiler, nous aurons le dépôt légal des œuvres d’un des plus grands photographes du Niger et nous comptons les exposer. Puisque la Bibliothèque nationale ce n’est pas seulement que les livres, on aimerait bien qu’il y ait de façon officielle un photographe de renom qui va venir et déposer légalement ses œuvres.
Par Souley Moutari(onep)