Monsieur le directeur général, quelle est la pertinence de la création d’une agence de modernisation des villes après la série de fêtes tournantes ayant permis aux chefs-lieux des régions du Niger d’être dotés d’infrastructures modernes ?
De prime à bord je dirai qu’aujourd’hui si l’agence n’existait pas, il fallait absolument la créer. En effet, l’évolution actuelle de nos villes nécessite indubitablement qu’il y ait une structure spécialisée en matière de développement urbain surtout au regard du contexte des évolutions à l’international en termes d’urbanisme, mais surtout lorsqu’on regarde les tendances d’aujourd’hui. Ces tendances montrent de manière remarquable que tous les pays s’urbanisent, les pays changent de tendance qui va de la ruralité à l’urbanisation. Cette dernière ne fait que se développer. Il est de ce fait impérieux que les divisions de différents pays prennent les choses en main en accordant une attention soutenue au développement urbain. C’est justement ce que les autorités du Niger ont fait. D’abord par l’initiative des fêtes tournantes qui a créé une dynamique de développement adossée à des événements. La fête tournante a permis de rehausser le niveau en termes d’équipements, d’infrastructures de tous les grands centres urbains de notre pays. Cela a permis aussi de répondre à des préoccupations, des attentes dans ces territoires. Les attentes dans ces territoires, ce sont les besoins en services urbains tels que la mobilité, mais aussi d’équipements servant à ces populations pour leur épanouissement et surtout pour le développement économique et social de ces tissus urbains. C’est ainsi que la Capitale Niamey a bénéficié de ce vaste chantier de modernisation des villes sous l’appellation de ‘’ Niamey Nyala’’. Toutes les autres grandes villes du Niger ont sur la base d’un slogan identitaire, connu de programmes structurant de modernisation. En outre, à la suite de notre tournée, nous avons vu qu’il y a eu un impact significatif sur le développement économique et social de ces populations. L’agence vient aujourd’hui pour consolider cet acquis, mais aussi pour continuer à promouvoir le développement urbain. On parle de modernisation qui sous-entend un changement de paradigme, mise à jour de ces villes. J’évoque les concepts de changement de paradigme, de mise à jour parce que les villes évoluent très vite et les enjeux changent. Par conséquent, les pratiques, les politiques, les façons de faire, de gérer les villes doivent aussi évoluer. L’agence de modernisation a la responsabilité d’accompagner ces villes dans cette évolution, de les aider, éclairer, soutenir pour que ces villes mettent à jour leur façon de construire nos territoires urbains. D’où la nécessite pour l’agence de disposer des experts de la ville, des données sur la ville.
Il y a de cela quelques mois, vous aviez effectué une tournée dans plusieurs régions du Niger pour échanger avec les responsables de ces entités en l’occurrence les gouverneurs et les maires ; quels sont concrètement les tenants et les aboutissants de cette série de visites ?
C’était d’abord une prise de contact, des rencontres d’échange, de partage dans la mesure où personne ne détient une vérité sur les façons de faire ou de construire nos villes. La vérité, elle se cherche à travers les points de vue, les expériences et les vécus des populations et de ceux qui ont en charge la gouvernance de ces populations. Cette visite nous a permis de nous imprégner de la situation de chaque ville, des évolutions, des difficultés, mais surtout des attentes de ces responsables de ville d’une part et des populations d’autre part. C’est sur cette base que nous allons concevoir ensemble des projets après avoir fait un état des lieux de ce qui a été fait, ce qui est en cours et mettre en commun les préoccupations de ces populations et notre expertise sur le sujet. Cette tournée nous a permis dans un premier de temps de voir l’état des travaux dans le cadre des fêtes tournantes, des difficultés enregistrées et nous sommes actuellement dans le processus de la mise en œuvre des attentes qui ont été relevées à l’issue de cette tournée. Il y a d’abord des travaux qui ne sont pas terminés. Il faut créer les conditions pour les achever et puis s’inscrire ou en même temps engager des projets, qui peut-être ont manqué et qu’il faudrait compléter ou bien des projets que nous estimons pertinents à aménager ou à réaliser dans les meilleurs délais. Il faut noter que le Président de la République accorde un intérêt particulier à l’épanouissement des populations en milieu urbain.
Récemment, vous avez procédé au lancement de la deuxième édition de Niamey « Noman Rani », une initiative portée par l’Agence de Modernisation des villes pour accroitre la production d’une agriculture urbaine, est-ce une réorientation des objectifs de l’agence ou une partie intégrante de la vision globale du programme de la renaissance acte III ?
En parlant au début de l’agence, je vous disais que nous avons pour vocation d’insuffler un changement de paradigme, de façon de faire la ville. C’est un exemple d’actions que nous portons pour que les acteurs de la ville comprennent que la ville n’est pas faite que pour l’habitat. La ville est aussi une place à l’environnement. Ce qui nous crée beaucoup de soucis, ce sont les inondations et tout ce qu’il y a comme aléas climatiques. Cela est dû au fait que l’homme ne fait pas attention aux différents éléments de notre milieu, de notre écosystème. Je prends l’exemple de Niamey qui lorsqu’on interroge l’histoire, on se rend compte que les premiers occupants du territoire de Niamey étaient l’eau et la végétation. L’homme a occupé cet espace sans prendre en compte ces éléments de la nature. Le deuxième élément que je veux citer, c’était lorsque le gouvernement avait décidé de fermer les portes de Niamey pendant la pandémie à coronavirus, la première difficulté à laquelle les populations de cette ville étaient confrontées, a été le manque crucial d’aliments, de légumes, de quoi les habitants ont besoin pour se nourrir convenablement. C’est tout simplement parce que la ville n’a pas été conçue dans un métabolisme. Ainsi, le métabolisme urbain est le cycle complet qui nous permet de construire des villes durables qui se suffisent en elles-mêmes. Cet exercice de Niamey « Noman Rani » s’inscrit dans cette perspective d’insuffler aux gouvernants des villes que l’agriculture urbaine est une partie intégrante de la construction des villes. Nous avons fait cela à Niamey et nous le projetons dans les autres villes du Niger afin de promouvoir l’agriculture urbaine et la promotion des villes vertes. Il faut déjà retenir que nous avons au niveau national une des très bonnes politiques. La fête du 3 août ou fête de l’arbre est institutionnalisée dans notre pratique. C’est un élément important que nous continuons à perpétuer. Il faudrait qu’à l’échelle des villes, les institutions, l’Etat, les collectivités puissent s’investir davantage à rendre vert partout où cela est nécessaire notamment les rues, les espaces publics et surtout les entretenir pour pérenniser, rendre cette végétation comme un élément structurants de notre environnement. Pour embellir une ville sahélienne comme le Niamey, je pense que la première action consiste à planter des arbres. Il n’y a pas mille façons de décorer nos villes que de planter des arbres. C’est une belle façon de restaurer ou bien corriger une injustice qui fait aujourd’hui un déséquilibre sur notre environnement, sur notre territoire parce que nous avons tendance à l’occuper en négligeant l’environnement. « Niamey Noman Rani » vise cet aspect tout en créant de l’emploi à une bonne partie de notre population notamment les femmes, les jeunes.
Une agence en charge de modernisation des villes ne saurait passer sous silence la lancinante problématique de l’insalubrité dans nos villes. Qu’est-ce que vous envisagez de faire dans ce cadre en partenariat avec les collectivités territoriales ?
La question de l’insalubrité est une question partagée au regard de sa complexité parce que la prise en charge de l’assainissement relève incontestablement de la responsabilité des collectivités territoriales, mais aussi de toutes les structures qui interviennent sur la ville et les populations elles-mêmes, prises de façon collective ou individuelle. Pour cela, il faudrait avoir de la méthode. C’est pourquoi, nous sommes en train de préparer la matière d’entrée. Si ces structures n’existent pas à certains niveaux, il va falloir les créer et les organiser en vue de leur encadrement. Il s’agit de développer au niveau des collectivités de la connaissance, de savoir-faire en matière de gestion de déchets et voir la filière. Dans n’importe quelle ville où vous partez, vous avez une filière de déchets qui va de l’individu au ménage, au quartier à la commune jusqu’à la ville, et cela sous forme de chaine jusqu’au lieu ultime de rejet de ces déchets. Il faudrait définir les acteurs dans tous les maillons de chaine que nous avons déjà identifiés dans toutes les villes. Et nous devons agir sur chaque maillon de la chaine selon les spécificités, les intérêts et les moyens. Pour être beaucoup plus précis, nous avons aujourd’hui à l’échelle des ménages des « pousse-pousses » qui font de ramassage. Nous n’avons jamais posé la question de savoir où est-ce qu’ils amènent ces déchets. Il faut créer un mécanisme pour les organiser. Un travail avait débuté dans ce sens même s’il n’avait pas été suivi d’effet. Nous allons approcher les collectivités pour mettre ce mécanisme en place.
Le travail qui attend votre agence est immense au regard des ambitions que vous affichez sur le terrain, est-ce que vous avez des partenaires qui accompagnent l’agence de modernisation des villes ?
Il nous faut absolument des partenaires. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où il faut diversifier les partenariats, les projets. Je pense que les défis urbains sont énormes et la nécessité d’avoir les concours des autres me parait évidente. C’est pour cela que nous ne devons pas aller chercher les partenaires ailleurs. La ville en elle-même est une force. Il y a une multitude de forces, d’expertises et d’opportunités à saisir localement. A titre illustratif, la richesse humaine est un atout majeur parce que dans nos villes, nous avons une population majoritairement jeune. Je pense que vouloir construire ces villes sans responsabiliser, impliquer ou mettre à contribution cette jeunesse serait une grosse erreur. C’est pourquoi, au niveau de l’agence, nous avons une démarche de proximité et de soutien à l’endroit des organisations de jeunes. Ce qui les intéresse en premier lieu, c’est d’abord le sport, la culture. Nous utilisons ces leviers pour faire intéresser, amener les jeunes à aimer leur territoire. Il ya des plateformes telles que les tournois de grandes vacances et le concours des start-up en lien avec le développement urbain que nous soutenons. La ville a la particularité d’avoir beaucoup d’intervenants en matière de développement économique et social. Nous n’allons pas chercher la solution ailleurs parce qu’elle est sur place.
Quelles sont vos perspectives en termes de projets d’investissements pour une grande attractivité de nos villes ?
En termes d’investissements, notre priorité consiste d’abord à faire en sorte que les projets inachevés dans le cadre des fêtes tournantes puissent être terminés. Les projets qui n’ont pas eu lieu, nous allons créer les conditions pour qu’ils se concrétisent au bénéfice de nos laborieuses populations. D’autres projets seront bien évidemment initiés en l’occurrence la question des centres d’enfouissement technique des déchets ; la question d’adressage des villes. Il y a aura aussi pas mal d’initiatives innovantes dans la gestion urbaine, le transport urbain pour faciliter la mobilité des personnes et de leurs biens ; l’aménagement des espaces publics. Pour ce dernier exemple, nous avons le projet phare de l’aménagement de la corniche Yantala. En plus de cela, nous avons comme projet important, la vallée de la culture avec le centre culturel Boubou Hama sans oublier le projet de villes vertes pour lequel nous allons nous organiser en conséquence avec l’ensemble des acteurs dans ce domaine pour faire une grande promotion de villes vertes à l’échelle nationale. La question de résilience urbaine en termes de renforcement de capacité, de connaissance est extrêmement importante. Il y a beaucoup de facteurs qui nous imposent cette résilience urbaine. On peut citer le taux élevé de la démographie dans les villes ; le changement climatique avec des aléas, en l’occurrence les inondations. La solution, c’est de revoir nos façons de construire les villes. Les inondations de 2019 à Niamey nous ont beaucoup éclairés. Il ne faut pas voir le mal en toutes ces inondations, mais plutôt les leçons à tirer. Nous devons désormais nous inscrire dans une logique qui consiste à ne pas oublier ce qui s’est passé afin que nous puissions construire nos villes de façon responsable. Il ne faut pas lutter contre l’eau, mais plutôt faire avec l’eau. Pour y arriver, il va falloir faire une lecture pertinente du territoire. Cette lecture nous dit tout simplement qu’il y a des espaces qui sont dédiés à l’eau et ceux qui sont favorables pour la construction de l’habitat.
Par Hassane Daouda(onep)