On les appelle communément ‘’bonnes’’, ‘’servantes’’, ‘’filles de maison’’, ‘’aides ménagères’’. Ces dernières jouent un rôle essentiel dans la gestion de nos foyers, elles allègent la charge de travail liée à certaines tâches quotidiennes. Aujourd’hui elles font partie intégrante des foyers Niaméens et des foyers nigériens et indiciblement soutiennent ceux-ci. L’exode rural continu et la migration sous-régionale ont fait proliférer une main d’œuvre bon marché constituée par ces filles venues des milieux ruraux mais aussi des pays frontaliers. Pourtant, le travail domestique reste encore marginalisé et les filles et femmes de ce secteur demeurent exploitées. Elles travaillent parfois péniblement en l’absence de toute protection sociale et juridique avec des contrats verbaux qui demeurent encore de nos jours fragiles avec les abus qui subsistent de tous côtés. Dans le cadre des seize (16) jours d’activisme, un des acteurs intervenant dans le domaine, M. Saley Garba Coordonnateur de l’Association Nigérienne pour le Traitement de la Délinquance et la prévention du Crime (ANTD) invite à protéger le travail domestique des aides ménagères.
Monsieur le Coordonnateur, quelle appréciation faites-vous du travail domestique des filles et des femmes dans les ménages nigériens ?
Les filles et les femmes travailleuses domestiques sont utilisées par des familles nanties pour servir de bonnes. Certaines proviennent des zones rurales du Niger mais à des degrés différents. D’autres sont originaires des pays comme le Nigéria, le Bénin, le Togo, le Ghana, le Mali, le Burkina Faso, la Cote d’Ivoire. Les 2/3 sont des filles qui sont généralement analphabètes ou peu instruites. Elles sont souvent sujettes à de multiples exactions et exploitations. Elles logent dans des bidonvilles ou des quartiers périphériques et font souvent quatre fois les allées retours chez leurs patrons. Elles ne bénéficient d’aucune sécurité sociale. Il n’y a aucune donnée fiable sur leur nombre. Généralement ces filles et femmes domestiques travaillent au domicile des employeurs pour des tâches ménagères (lessive, préparation de repas, ménage, garde des enfants, nounous …). Elles font aussi la vente ambulatoire de certains articles. Parmi les employeurs, on trouve les classes moyennes qui emploient plus des Nigériennes et les classes aisées qui préfèrent employer des femmes et filles étrangères.
Les filles et femmes deviennent domestiques généralement par un placement dans des maisons par le/la logeuse qui cherche les employeurs à travers la ville. Les revenus des filles et femmes travailleuses domestiques sont très modiques. Pour celles qui travaillent dans les familles de classes moyennes, les salaires varient entre 7.500 à 15.000 FCFA le mois. Pour celles qui travaillent chez les nantis, leurs salaires peuvent varier entre 15.000 à 45.000 F en moyenne. A côté de ces salaires, il faut noter que ces travailleurs domestiques sont nourris par les employeurs. Certaines sont même logées chez leurs employeurs.
Elles sont une force de travail invisible dans nos foyers, pourtant elles sont exploitées par les effets d’un système patriarcal encore dominant. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?
En réalité, le travail domestique des filles et des femmes est souvent imputable à la culture du milieu et à la pauvreté à cause de l’insuffisance du revenu des ménages familiaux. Mais la féminisation de cette pratique est surtout liée au caractère patriarcal de la société au niveau des zones rurales au Niger où les hommes sont destinés aux travaux champêtres (79 % de la population en zone rurale) tandis que les femmes assurent le ménage.
L’exode rural continu et la migration sous régionale, grâce à des réseaux dirigés par des agences de placement souvent ont contribué à amplifier ce phénomène, comment voyez-vous en tant qu’acteur œuvrant dans le domaine, la nécessité de protéger le travail des domestiques ?
Il faut absolument protéger ces travailleurs et pour cela nous proposons la création d’un centre d’écoute des filles et femmes travailleurs domestiques victimes d’abus pour leur assurer une éventuelle réparation. Les pouvoirs publics doivent assurer une assistance juridique et judiciaire pour les victimes d’abus, de violence. Les militants des ONGs et associations et tous les acteurs intervenant dans le domaine doivent aussi mener des activités médiatiques de sensibilisation de la population, en particulier les employeurs, à travers les médias (programmes TV/radio), faire des actions de sensibilisation des communautés de provenance des filles et femmes travailleuses domestiques sur les conséquences de ce travail domestique. La formation des forces de défense et de sécurité est nécessaire sur les droits et la protection de l’enfant y compris ceux travailleurs domestiques. Sans oublier d’élaborer un code de bonne conduite en faveur des filles et femmes domestiques à l’intention des employeurs, les logeuses… Il ne faut pas négliger le renforcement des acteurs de protection sur les instruments juridiques internationaux, régionaux et nationaux protégeant les enfants y compris les filles et femmes domestiques et faire des plaidoyers en faveur d’une loi spécifique protégeant les enfants travailleurs domestiques.
Que recommandez-vous aux acteurs (militantes engagées, décideurs politiques, partenaires techniques et financiers) qui luttent pour l’accès à plus de droits pour protéger ces femmes travailleuses domestiques ?
Aux militantes engagées de faire une sensibilisation de différentes parties prenantes ; et de dénoncer les cas d’exploitation, et d’abus et d’accompagner les victimes vers les services compétents pour réparation. Il faut aussi essayer de plaider en faveur de l’application des dispositifs nationaux et internationaux protégeant les filles et les femmes travailleuses domestiques. Aux décideurs politiques de faire en sorte d’appliquer le Code du Travail qui prévoit un salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) pour tous les travailleurs régis par la Convention Collective Interprofessionnelle, fixé par décret. Un engagement étatique fort est important qui doit se concrétiser par la prise en compte et l’intégration du problème du travail domestique dans les plans et programmes de tous les Ministères du Niger concernés par la problématique. Il faut savoir aussi mettre en place des programmes cibles de lutte contre la pauvreté pour réduire la vulnérabilité des ménages et particulièrement ceux des zones pourvoyeuses de travailleurs domestiques ; soutenir la formation professionnelle pour améliorer les perspectives d’emploi des travailleurs domestiques. Il est indispensable d’allouer des ressources adéquates et diffuser des directives claires à l’attention de la brigade des mineurs, lui enjoignant d’enquêter sur les cas de maltraitance, d’abus et d’exploitation des filles domestiques. De façon approfondie, il faut mener des recherches sur les vulnérabilités des filles et des femmes travailleuses dans les travaux domestiques, champêtres et autres, ainsi que sur les trajectoires des trafiquants. Il faut aussi garantir la sécurité sociale aux travailleurs domestiques en application du code de travail Nigérien qui définit le travailleur comme la personne qui s’engage à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une autre personne, physique ou morale, publique ou privée. Pour beaucoup, même au sein du mouvement de travailleurs, ‘’les gens de maison’’ sont implicitement repris dans cette définition. Dès lors, les dispositions du Code du travail, ainsi que celles de la convention collective interprofessionnelle, s’appliquent bel et bien à ces travailleurs. Selon cet argument, le personnel domestique est également concerné, de manière implicite, par le champ d’application de la législation sur la sécurité sociale.
Aux partenaires techniques et financiers, je demanderai d’apporter un appui technique et financier aux ONG nationales engagées dans la protection des filles et femmes domestiques ; de donner un appui technique et financier à l’Etat du Niger pour soutenir les efforts de réformes. Selon moi, il est fondamental d’avoir une restructuration et une règlementation du travail domestique au Niger. Il faut assurer également un soutien matériel et technique dans le domaine de la recherche sur le travail domestique des filles et des femmes pour analyser les formes d’abus et d’exploitation dont elles sont victimes et les perspectives de leur insertion socioprofessionnelle.
Par Aïssa Abdoulaye Alfary (ONEP)