Abdoul, abasourdi, estomaqué et littéralement mis en ébullition par tant d’impertinence, d’indiscipline même, de la part de ces deux-là, Joe et Georges !
Comment osent-ils lui tenir un langage pareil sur un sujet aussi grave, et qui, selon lui, relève de sa sphère privée ?
Il resta ainsi à les regarder débiter ces remontrances, son égard, lui leur supérieur, certes dans une vie antérieure, mais tout de même, un chef reste un chef, même à la retraite ! Cela a toujours été la coutume à KALAWALA !
En bon officier, formé justement pour flairer les intentions de ses interlocuteurs ou adversaires pour les cerner en compilant dans ses analyses leurs gestes, les mots dits et/ou tus, leur body languages, il resta flegmatique.
Après un long silence, qui paraissait une éternité pour le duo qui sentait le feu brûler en eux, car ils connaissent les colères homériques de captain K et ses capacités physiques hors pair et surtout son énorme égo. Ils se sentaient comme des Kamikazes, s’il se fâche pour de bon, c’en est fait d’eux, car sans Abdoul, pas de Bar Délinquance et la pension de retraite, c’est une goutte d’eau dans l’océan de leurs besoins, surtout avec leurs nombreux « deuxièmes bureaux ». Mais, ils ont décidé de courir ce risque, aussi gros soit-il, car en vieux soldats aguerris, ils se sont rappelés que « QUI NE RISQUE RIEN, N’A RIEN ! »
Abdoul, finalement, leur répondit, sobrement ainsi : « je vous ai compris !» sans rien ajouter et retourna auprès de celle par qui tout cela est arrivé. Maïrah, bien sûr, voulait savoir l’objet de ces conciliabules, même si elle s’en faisait déjà une idée. Il la rassura en lui disant simplement que c’est juste un « truc de soldats » et que ce n’était rien de grave.
La conversation continua sur d’autres sujets, un peu plus légers. Ils commencèrent à parler de choses plus personnelles, chacun ouvrant une brèche dans son armure. L’officier, bon stratège, rompu à la connaissance de la psychologie humaine, aux techniques du renseignement adaptées aux nouvelles formes de guerres dites asymétriques, aux guérillas urbaines versus la femmes d’affaires avisée, habituée des batailles souterraines, féroces, pour arracher les gros contrats et accoutumée à déjouer les stratagèmes et autres pièges mortels de la concurrence impitoyable des milieux d’affaires.
Au milieu de la soirée, Maïrah proposa de continuer la soirée chez elle. Elle insista car, dit-elle, il n’est plus question qu’il passe ses nuits à Délinquance Bar. Abdoul accepta, même si ce changement brusque dans ses habitudes n’est pas du tout à son goût, mais il est tellement difficile de regarder cette Cléopâtre dans les yeux et lui dire non. En fait, c’est leur premier deal et c’est la première victoire dont Maïrah est vraiment fière.
La soirée continua donc chez Maïrah, jusque tard dans la nuit. Maïrah voulait que quelque chose se passe enfin entre eux de très personnel, voire intime, mais le luxe de cette demeure ramène dans l’esprit d’Abdoul cette idée têtue selon laquelle elle serait la maitresse d’un politicien pourri ou d’un de ces hommes d’affaires véreux ou d’un de ces ripoux pourris qui sont en train de saigner le pays, des gens qui lui donnent justement des urticaires.
Abdoul ne s’est pas gêné à lui poser la question : « t’as hérité de ton mari ou héritage de tes parents ? ». Maïrah se sentit quelque peu agacée et lui répondit que cette maison est à elle seule et ce n’est l’héritage de personne ; le mari que j’avais n’est pas mort, on a juste divorcé et mes parents sont des gens humbles qui ne possédaient pas de propriétés de ce genre, mais de la fierté et le sens de l’honneur. Elle ajouta aussitôt « tu vas arrêter ton interrogatoire et m’embrasser s’il te plait monsieur le Goujat ? », ne laissant pas la moindre fraction de seconde à ce soldat qu’elle le prit dans ses bras et lui posa ses lèvres si douces et si charnues avec un fond musical qui murmurait « Take my breath away …. » dans ce salon inondé de cette lumière tamisée, panachée de gerbes d’autres nuances du bleu ou de vert. Le décor créa cette atmosphère irréelle. Ils dansèrent le plus long slow et probablement le plus romantique de leur vie. Les faisceaux des lumineux donnaient un certain relief au salon décoré par une compatriote aux approches très avant-gardistes. La moquette, griffée, en fourrure de zibeline dégageait des effluves parfumés, avec un moelleux apaisant et caressant au contact des pieds. Ils restèrent ainsi enlacés et les airs les uns plus romantiques diffusés par alternance par les huit chaines HIFI avec leur trente sorties -le tout géré par un cerveau électronique central- installées dans les angles du vaste salon de près de 400 M². Salem GEBREHIWOT dans sa version de « I’ll rather go blind » ; Edit PIAF dans son « Hymne à l’Amour » et « La vie en rose »; Barry WHITE dans «I can’t get enough of your sweet love» , «Babe you are the First, the Last, My Everything» ; Chris De BURGH dans « The Lady in Red » et “Carry me” Bob DYLAN dans « knock, knock on heavens door » et «Mississippi » ; Elton JOHN dans «Candle in the wind » ;Bruce SPRINGSTEEN (The BOSS), dans «If I should fall behind» , «Living Proof » et « Better days » et Julio IGLESIAS dans «L’Amour est Fou »; Barbra STREISAND dans « Woman in Love » ;les versions SINATRA, FLACK et FUGEES de l’emblématique “Killing Me Softly” ; Francis CABREL dans « Je l’aime à mourir » et George BENSON dans « Nothing’s gonna change my love for you » !
Seuls au milieu de cet espace qui n’a plus rien de terrestre, leurs cœurs se sont parlé pendant ces longs silences d’éternité où leurs corps étaient anastomosés et leurs esprits fusionnés en unseul Être.
ALI BOUKARI CONTI (ABC)