Dans une étude intitulée « Souffrances sous silence : enquête sur la mendicité forcée des enfants talibés au Niger » parue en mars 2022, le phénomène de la mendicité des talibés est analysé dans toutes ses dimensions. Et en concluant cette étude, les auteurs affirment que la mendicité forcée des talibés constitue une atteinte aux droits fondamentaux de l’enfant et un réel problème sociétal.
Selon l’étude, le phénomène s’accroît très fortement, particulièrement dans les grands centres urbains, échappant presque entièrement au contrôle des autorités publiques. En dépit de l’explosion démographique, l’urbanisation effrénée et les sécheresses récurrentes au Niger, les causes de la mendicité forcée des talibés ne peuvent être uniquement réduites à des facteurs économiques. Le maintien du système d’éducation coranique est sous-tendu par un attachement à des normes sociales, pratiques et des valeurs traditionnelles. Les conséquences de la mendicité forcée des talibés sont également multiples et menaçantes, en particulier dans le contexte d’insécurité et de mobilité interrégionale au Niger (mouvements transfrontaliers et influence de groupes terroristes). « Les talibés, n’ayant ni formation, ni perspectives d’avenir et étant déracinés de leurs familles, constituent, en effet, des recrues idéales pour les réseaux criminels et groupes terroristes. Les talibés doivent être considérés par les responsables politiques et acteurs humanitaires comme de réelles bombes à retardement au niveau géopolitique » note l’étude. Elle ajoute que si au Sénégal ou au Mali, les talibés commencent à bénéficier d’une attention politique, ce n’est pas encore le cas au Niger. « Bien qu’au Niger, les écoles coraniques soient placées sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et sous la bannière des affaires religieuses et coutumières, il n’existe pas de disposition spécifique quant à l’ouverture et au fonctionnement des écoles coraniques. La question de l’accréditation des maîtres coraniques ne s’est jamais posée » souligne -t-elle. Elle rappelle que l’État nigérien a ratifié plusieurs instruments juridiques régionaux et internationaux et a adopté un certain nombre de textes nationaux visant à protéger les enfants contre les atteintes à leurs droits et à leur intégrité physique. Néanmoins, l’application concrète de ces textes s’avère extrêmement limitée. « Si, chaque année, des journées sont dédiées à la célébration des droits de l’enfant, celles-ci n’accordent pas d’attention particulière aux élèves des écoles coraniques, les maintenant ainsi aux marges de la conscience collective populaire. La lutte contre la mendicité des enfants au Niger nécessite donc des initiatives multilatérales (organisations gouvernementales et inter-gouvernementales, ONG et OSC) et urgentes. L’éradication de la mendicité forcée des talibés au Niger requiert le lancement d’un vaste chantier de réforme de l’enseignement coranique dont les modalités auront été définies préalablement au cours d’un processus de consultation large et inclusif » indique l’étude. Très attachée à l’enseignement coranique, la majorité de la population nigérienne n’appelle pas à l’abrogation pure et simple de cette forme d’enseignement mais à la réglementation des écoles coraniques par l’État qui en fixerait ainsi les conditions d’ouverture et de fonctionnement, y mènerait des inspections régulières et rigoureuses et pourrait subventionner les maîtres coraniques qui respectent les normes minimales préalablement établies. « Dans la mesure où une telle réforme devrait s’inscrire dans un processus de long terme, il est important d’initier, en parallèle, un dialogue au niveau communautaire et d’appuyer les communautés et les maîtres coraniques dans la recherche de solutions fortes, adaptées et pérennes à la problématique de la mendicité. Cela peut passer notamment par le développement d’AGRs ou de jardins/cantines scolaires, la sensibilisation et la formation des maîtres coraniques aux droits de l’enfant ou encore, la création de réseaux de parents adoptifs dans les communautés» conclut l’étude.
Oumarou Moussa (ONEP)