L’atmosphère est calme et le moral semble haut, mais le regret ne peut être dissimulé quand on aborde, même dans les salutations d’usage, le sujet du bilan de la campagne de la saison sèche qui vient de laisser place à celle de la saison pluvieuse, la deuxième de l’année. Il y a quelques mois, les riziculteurs étaient en froid avec leurs coopératives qui leur exigeaient de s’acquitter de leurs engagements en payant en nature alors que la récolte a été déficitaire voire catastrophique. Ils sont de retour, et espèrent le meilleur avec la saison pluvieuse. Les pépinières sont déjà densément vertes. Sur les parcelles un peu partout le sol est remué et imbibé d’eau, bref ce 9 juillet 2024 l’heure est au repiquage. Nous sommes dans les périmètres rizicoles de N’dounga II, (dans le département de Kollo, région de Tillabéri), à environ 20 km au sud-est de Niamey. Cette commune concentre à elle seule 3/10 des aménagements actifs du département, avec la plus large superficie de périmètres dédiés à la culture du riz sur près de 800 ha, selon les données des services techniques de Kollo.
Pour les exploitants de ces parcelles rizicoles, la dernière saison n’a pas été épargnée par l’impact des sanctions de la CEDEAO infligées au Niger au lendemain des événements historiques du 26 juillet 2023. La suspension de la fourniture de l’énergie a fait tourner au ralenti les installations de pompage et de distribution d’eau. Ce problème est venu en effet s’ajouter à celui de la cherté et de la mauvaise qualité de l’engrais. Ceux qui, de par le passé faisaient 15 à 20 sacs de 75kg du riz paddy sur 0,25 ha se sont retrouvés avec un maximum de 5 sacs, soit un rendement de 1,5 tonnes à l’hectare. Or, à la même période de la saison sèche, la campagne fait normalement 5 à 7 tonnes à l’hectare.
Ali Boureima exploitant d’une parcelle de 0,5 hectare soutient que « si toutes les conditions sont réunies, chaque parcelle de 0,25 ha peut donner vingt sacs de riz paddy ». Mais, se plaint le producteur, la campagne précédente, les exploitants ont eu des difficultés au niveau de l’approvisionnement en eau. Au moment où le riz était arrivé presque à maturité, le problème de l’électricité s’est aggravé. Ali n’a récolté que 11 sacs. Quand il parle de l’investissement qu’il a consenti, du premier labour jusqu’à la récolte, il a les yeux larmoyants et la mine triste. « Pratiquement, je n’ai pas eu plus d’un sac de bénéfice, ça n’a pas été à la hauteur de nos attentes », confie-t-il le producteur. Dire que la coopérative l’attendait aussi pour le compte.
Cela fait une trentaine d’années qu’Ali est producteur de riz. « Par le passé, nous utilisons des machines pour le tapage du riz. Nous ne payions pas la main-d’œuvre. Les machines étaient mises à la disposition des paysans par la coopérative. Maintenant tout se paie. Aujourd’hui, c’est des bœufs qu’on utilise pour le premier labour. Par le passé, le prix pour labourer la parcelle de 0,5 hectare était de 5.000 FCFA au maximum et présentement, c’est 11.000 FCFA, voire 12.000FCFA qu’il faut payer. Tout est coûteux aujourd’hui », se lamente Ali.
Un peu loin dans les parages, le frère d’Ali, Amadou Boureima supervisant le planage d’une de ses parcelles affirme également avoir beaucoup investi lors de la précédente campagne. « On a beaucoup travaillé, mais on a eu beaucoup de contraintes », a-t-il indiqué. Tout comme son frère aîné, il a travaillé sur 0,5 hectare et toute la famille a exploité au total deux hectares. « Sur ma parcelle, j’ai eu cinq sacs de riz paddy. D’habitude, j’obtiens vingt sacs. On est obligé de recommencer, de revenir, de persévérer et d’espérer chaque année parce que c’est de ça qu’on vit », déclare Amadou. En effet, la presque totalité des aménagements le long du fleuve ont connu cette difficulté.
« Nous avons eu un problème d’eau qui a fait en sorte que certains n’ont rien pu avoir finalement, même pas un seul sac. Ceux qui sont dans les vallées où il y avait plus d’eau, ont eu quelque chose. Mais dans l’ensemble, ça n’a pas donné », explique M. Amadou Idé, un enseignant des sciences de la vie et de la terre (SVT) au CES de Kollo et exploitant de parcelles rizicoles de N’dounga. « C’est dû au problème d’électricité que tout le Niger a connu pendant cette saison. Il se passait deux à trois jours sans que l’eau ne coule dans les canaux d’irrigation », a-t-il poursuivi.
Les producteurs organisés au sein des groupements mutuels (GMP) planifiaient de manière concertée et équitable la distribution de l’eau dans les périmètres. Face à cette épreuve qui dépasse de loin leur compétence, ils n’ont pas pu sauver leurs productions qui ont fini par s’assécher pour la plupart. Quelques rares riziculteurs font l’exception après avoir recouru aux motopompes pour parvenir à sauver leur riz. C’est le cas justement d’Idé, l’enseignant producteur. « J’ai travaillé trois parcelles de 0,25 ha chacune. Personnellement, je ne peux dire que Dieu merci. Là où la production a été faible j’ai eu 12 sacs. Au niveau des deux autres j’ai eu 17 sacs partout. Dès que j’ai constaté la menace d’assèchement, j’ai cherché et amené une motopompe. Dans l’une de mes parcelles par exemple, j’ai passé 5 nuits à arroser. Je paie 4 à 5 litres d’essence et à partir de 18h ou 20h, je mets en marche ma motopompe, j’irrigue soigneusement », a-t-il confié.
Pas de riz pour les coopératives, le compte a été difficilement réglé…
En termes de redevance, le paysan paie d’abord la facture d’eau répartie à l’ensemble des exploitants. La campagne précédente, ils en ont payé chacun environ vingt mille huit cent cinquante francs de facture d’eau, malgré les problèmes d’irrigation. A noter que, la semence coute 12.000FCFA le sac, le labour 7.500 FCA et le planage 5.000FCFA. Souvent, les exploitants roulent à perte, à l’image de la campagne précédente.
Pour la campagne précédente, les coopératives ont, au début, exigé que le paysan paie ses factures avec du riz, mais il y en n’avait pas eu assez. Par la suite, il y a eu beaucoup de remue-ménages et les coopératives sont revenues à de meilleurs sentiments pour s’en tenir seulement à la redevance eau. « Ceux qui ont pris de l’engrais à la coopérative ont versé de l’argent. Là aussi, on était obligé de vendre nos petits ruminants pour pouvoir nous en acquitter, à défaut, la parcelle risque d’être retirée. La coopérative ne prend jamais de perte, car si elle perd, c’est tous les exploitants qui perdent. L’année passée, les gens se sont engueulés, insultés jusqu’à voir les autorités pour régler à l’amiable la situation », témoigne Amadou Boureima.
De l’engrais cher et pas fertilisant…
Les dépenses sont déjà énormes pour les producteurs du riz sur les aménagements. Les factures de l’irrigation sont prises en charge par les groupements mutuels des producteurs. Et le prix du sac d’engrais est monté cette année autour de 30.000 à 32.000 FCFA. Alors qu’il faut deux sacs et demi pour fertiliser 0,5 hectares. « C’est énorme ! C’est à ce niveau que les gens ont des difficultés, puisqu’il faut prendre l’engrais à crédit, à rembourser après la récolte. Lorsqu’on fait les comptes, on se retrouve avec du crédit non remboursé pour certains », explique Ali Boureima.
« Au temps où la CAIMA s’occupait de la vente des engrais, on le payait à 13.500 CFA le sac. Actuellement le prix du sac tourne autour de trente mille. La différence est énorme. Au fil des années, les choses ont régressé dans le mauvais sens. Par le passé, l’exploitant ne dépense pas, pour toute la campagne, plus de cinquante mille. Désormais, il faut au moins injecter deux cent mille francs, c’est vraiment difficile pour le paysan qui n’a aucune autre source de revenus », déplore ce producteur.
Le frère d’Ali, Amadou Boureima confirme que l’engrais est de mauvaise qualité. « Nous avons eu le plus médiocre des rendements depuis que j’ai commencé l’exploitation. Le rendement était presque nul », a-t-il soutenu. Pour un paysan qui n’a pas eu à récolter grand-chose, se procurer de l’engrais est un véritable casse-tête, estime Amadou.
Malgré, ces difficultés, la production locale du riz au Niger a connu au fil des années une hausse non négligeable. De 86.000 tonnes en 2008, elle est passée à 141.877 tonnes en 2022 selon les statistiques du Ministère de l’Agriculture. Mais cette production n’est toujours pas à la hauteur de la demande croissante du pays, avec des besoins de l’ordre de 533.560 tonnes. Selon le Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, à ce rythme d’ici 2026 les importations de riz atteindront les 700.000 tonnes. Ainsi, les nouvelles autorités, sous l’égide du Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), Chef de l’Etat, le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, un Programme de la Grande Irrigation est lancé, depuis quelques mois. Il consiste à créer de nouveaux aménagements et à réhabiliter l’existant dans presque toutes les régions du Niger. Selon la direction départementale du Génie Rural de Kollo, ce programme qui vise à atteindre l’autosuffisance alimentaire du Niger touchera la majorité des communes dudit département et boostera la production en riz de la zone eu égard à l’engagement des paysans et à la volonté des autorités de développer l’irrigation.
Ismaël Chékaré et Hamissou Yahaya, (ONPE) Envoyés Spéciaux
Les adolescents tirent leur épingle du jeu
Sur les périmètres irrigués, ils sont nombreux les jeunes vêtus des courts pantalons, torses nues ou manches retroussées, pieds nus, à faire les allers-retours dans la boue soit pour désherber les parcelles après les labours ou pour repiquer le riz sous l’œil attentif de leurs parents ou surtout de leurs employeurs, car ils y sont pour des « petits contrats ». Majoritairement scolarisés, ces jeunes profitent des grandes vacances pour se faire de l’argent de poche et parallèlement économiser quelques billets pour réussir en beauté la prochaine rentrée académique.
Mahamadou Bachir Souleymane est un jeune dans la vingtaine qui vient de décrocher son BEPC au premier groupe. Il travaille avec ses frères et ses amis dans la parcelle de leurs parents. Depuis le lever du soleil, ils étaient en train de ramasser les mauvaises herbes après le labour effectué au moyen des charrues tractées par des bœufs. Un travail qui leur rapporte quelques billets, un geste de leurs parents en guise d’encouragement. Pour ce jeune, le travail dans les rizières est une tradition familiale qu’ils ont trouvée. « On est venu travailler dans la parcelle de notre père. Comme nous savons faire le travail, nous venons l’aider pour qu’il puisse économiser sur certaines dépenses. Souvent, il nous donne l’argent destiné à payer des ouvriers pour qu’on puisse subvenir à certains de nos besoins », explique Mahamadou Bachir Souleymane
Outre les travaux dans les parcelles familiales, ces jeunes acceptent par-ci par-là des petits contrats qu’ils remplissent à six personnes moyennant la somme de douze mille (12 000) francs CFA. « Nous sommes payés douze mille francs CFA par parcelle de 0,5 hectare. Par jour, nous ne pouvons que travailler une seule parcelle », indique-t-il.
Ces activités permettent à ces jeunes de N’dounga de gagner des revenus et de s’occuper le long des vacances pour s’offrir les vêtements de leur choix et certains effets scolaires. « En dehors des petites dépenses à gauche à droite, avant la fin des vacances, nous pouvons nous retrouver avec une somme considérable, surtout si la personne n’est pas trop dépensière. Nous faisons en sorte de faire un bon travail pour que quand la parcelle sera semée, que le riz pousse bien. Et cela n’est possible qu’avec un bon travail de préparation, car c’est la qualité du travail qui donne en partie un bon rendement », précise le jeune homme.
À la fin des vacances, M. Mahamadou Bachir Souleymane, achète de petits ruminants. À la rentrée, ça peut servir de fonds pour acheter un téléphone et des fournitures scolaires. « Parfois, je peux me retrouver avec quinze mille, puisque nous dépensons lorsqu’un ami se marie. À un certain niveau, on ne peut plus aller demander à nos parents de nous donner de l’argent. Même pendant l’année scolaire, nous partons à l’école et la soirée, nous sommes aux rizières pour travailler », affirme-t-il.
Le rêve du jeune Bachir Souleymane est de devenir porteur de tenue pour défendre sa patrie et toutes les conditions sont réunies pour qu’il puisse le réaliser avec son diplôme fraîchement acquis. D’où son choix de postuler pour le recrutement des élèves gardes nationaux. « Je compte par ailleurs faire de la riziculture même après avoir porté la tenue. J’ai cette ambition. Actuellement, nos aînés sont des chauffeurs gros porteurs, d’autres travaillent pour l’État. N’empêche, ils ont des parcelles. Ils envoient juste de l’argent pour l’entretien », souligne-t-il.
Abdoul Majid Idrissa est un autre jeune de 12 ans qui vient d’admettre au CFEPD. Comme ses frères, il travaille également pour se faire un peu d’argent. « L’argent que j’obtiens de ce travail, dit-il, je le donne à ma maman, quand elle n’en n’a pas, et je garde le reste pour moi ». Ainsi, du fait de son jeune âge, Abdoul Majid Idrissa trouve ce travail très pénible. « Je n’aime pas beaucoup ce travail parce que c’est trop difficile. Mais une fois que je serai grand, j’ai l’intention de le faire », affirme-t-il timidement.
Hamissou Yahaya, (ONEP) Envoyé spécial
Idé Amadou : un producteur atypique qui allie le savoir et le savoir-faire au quotidien
Natif de la commune rurale de N’dounga, Idé Amadou est ex-formateur sur l’irrigation, l’hydraulique et l’écologie à l’IPDR de Kollo. Actuellement enseignant des Sciences de la vie et de la terre (SVT) au CES de Kollo, et passionné de la riziculture, il met ses connaissances et son expérience en pratique, comme il l’a appris de sa famille. Fort de son savoir et de son savoir-faire, Idé tire son épingle du jeu. Car, malgré le déficit de la campagne précédente ce dernier s’en est sorti haut la main. Sur une parcelle de 0,25 hectare, il s’est retrouvé avec 12 à 17 sacs tandis que ses voisins en récoltaient 5 sacs. En cette période de grandes vacances Idé consacre ses journées dans ses parcelles afin d’entamer la deuxième campagne de l’année.
Du haut de ses 46 ans, avec sa silhouette robuste, malgré ses cheveux blanchissants, il garde la ligne, maintient le cap et s’investit à cœur joie. Dans ces périmètres de GMP1 de N’dounga, Idé jouit de l’estime des autres, les plus âgés y compris, car il fait partie de ceux qui réussissent exceptionnellement même quand les conditions générales ne sont pas garanties. « Je suis né ici, mes parents cultivent le riz depuis. J’ai appris auprès d’eux et à partir de 1999, j’ai commencé ma propre production », affirme M. Idé.
En effet, cet homme aguerri des travaux en rizières s’est forgé entre l’école moderne, l’école coranique et les vallées du fleuve. « A l’université, j’ai d’abord fait la faculté des sciences avant de poursuivre en maîtrise à la Faculté d’agronomie. J’ai décroché ma maîtrise en 2007 », s’empresse à dire, avec fierté, l’enseignant-riziculteur. Après ses études universitaires, Idé Amadou a d’abord enseigné, lors de son service civique, « l’irrigation » à l’Institut Pratique du Développement Rural (IPDR) de Kollo. Il a intégré ensuite l’enseignement. « Parallèlement, chaque année je produis. Dieu merci, je fais partie de ceux qui produisent véritablement ici », se glorifie l’enseignant-producteur.
Au complexe d’enseignement secondaire (CES) de Kollo, professeur Idé intervient à tous les niveaux, « de la 6ème à la Terminale ». Pendant l’année académique qui coïncide avec la campagne de la saison sèche, Idé travaille ses parcelles de riz dans les après-midis. « Aussi, les périmètres sont sur ma route pour l’école. En partant tout comme en rentrant je fais des petits tours pour superviser quelques travaux », a-t-il ajouté.
Marié et père de trois enfants dont l’ainé est âgé de 12 ans, Idé croit à la riziculture et en vit. « A la récolte, les cousins, les cousines viennent tu leur donnes : c’est une fierté. En bon musulman on enlève aussi la zakat. Au besoin on revend quelques sacs, on assiste les siens, on s’occupe de sa famille, on en mange etc. Le riz a une dimension inestimable pour nous », a-t-il souligné.
Il croit fermement que le secteur connaîtra une évolution, une modernisation pour une production à grande échelle, à la hauteur des besoins du pays », pour ainsi faire de la souveraineté alimentaire une réalité. « La Riziculture, c’est l’eau à suffisance, du fertilisant de qualité, du matériel et des techniques modernes », estime l’agronome producteur. « La riziculture est un maillon qui doit aider à se développer. C’est une activité économique qui crée de l’emploi, qui crée de la richesse et qui nourrit le pays », martèle-t-il.
Ismaël Chékaré, (ONEP) Envoyé Spécial