Neuf (9) morts, c’est le nombre de pertes en vies humaines liées aux confrontations entre les agriculteurs et les éleveurs en 2023 au Niger. Selon le directeur général du développement pastoral, de la production et des industries animales, M. Maman Sani Maman, à la fin de l’année 2023 deux cas de confrontation ont été enregistrés dont l’un dans la région de Tahoua, département de Keita, occasionnant six pertes en vies humaines, et le second cas dans la région de Maradi, précisément dans le département de Guidan Roumdji, avec malheureusement trois pertes en vies humaines.
L’agriculture et l’élevage constituent deux principales activités ancestrales au Niger. Elles dominent la vie de l’écrasante majorité de la population et génèrent une richesse économique indéniable pour le pays. Ces activités exercées par la majorité de la population réunissent deux acteurs inséparables dont l’un ne saurait exister sans l’autre. Une coexistence tachée souvent par des violences allant jusqu’à mort d’homme. En effet, chaque année, au cours de l’hivernage, il n’est pas rare de dénombrer des affrontements entre les agriculteurs et les éleveurs, malgré les innombrables mesures législatives et préventives prises par l’État et les associations des agriculteurs.
Ces violences entre agriculteurs et éleveurs qu’on pourrait qualifier d’actes répréhensibles tirent leurs origines des dégâts champêtres et des sévices portés sur les animaux. Malgré l’existence de plusieurs textes qui prônent le règlement des différends à l’amiable, la passion des cœurs l’emporte sur la raison. Parmi ces textes réglementaires, l’Ordonnance 93-015 du 02 mars 1993 fixant les principes d’orientation du Code rural, la loi 2015-01 portant statut de la chefferie traditionnelle ; l’ordonnance 2010-029 relative au pastoralisme ainsi que le décret instituant les commissions paritaires de conciliation en cas de conflits entre agriculteurs et éleveurs.
Selon le directeur général du développement pastoral, de la production et des industries animales, M. Maman Sani Maman, cette récurrence des conflits dans les zones rurales est due, d’une part, à la méconnaissance des textes, et d’autre part à la non-application des textes par les acteurs en charge de les appliquer, auxquelles s’ajoute le contexte d’insécurité qui a pour impact l’amplification et la résurgence des conflits dans les zones rurales du fait de l’inaccessibilité aux ressources pastorales et productives.
Un différend entre deux secteurs d’activités au destin commun
D’après le président du conseil d’administration de la plateforme paysanne, M. Djibo Bagna, le différend entre agriculteur et éleveur n’oppose pas les communautés, mais oppose plutôt des activités. « C’est-à-dire que c’est l’agriculture qui a des problèmes avec l’élevage et l’élevage a des problèmes avec l’agriculture. Il faut faire la différence entre ces deux activités qui sont en conflit et les individus. Ce n’est pas parce qu’un éleveur, qu’il soit peuhl, touareg ou arabe est en faute, qu’il faut s’en prendre à sa communauté », dit-il. Horrifié par certains comportements et certaines actions de représailles de la part des deux acteurs, M. Djibo Bagna rappelle que les gens sont obligés de vivre ensemble. Ils sont destinés à se respecter en tant qu’êtres humains qui réfléchissent sur ce qui doit être fait ou non. « Une personne, ce n’est pas quand même l’équivalent d’une botte de mil ou d’un animal » martèle-t-il.
Ainsi, la période par excellence pour ces conflits au Niger est précisément, explique-t-il, en début d’hivernage, avec la montée des éleveurs vers le Nord, et en fin de récolte aussi appelée le retour des animaux. Effectivement, dit-il, il n’est pas rare que les éleveurs reviennent un peu tôt. Une situation qui, selon les dires des éleveurs, est imputable au contexte d’insécurité et au manque d’eau dans les zones pastorales. « De l’autre côté, quand vous écoutez les agriculteurs, ils disent que les éleveurs reviennent avant qu’ils ne finissent la récolte », ajoute M. Bagna.
En effet, au Niger, pour comprendre l’élevage, il est important de distinguer deux types d’éleveurs qui sont les éleveurs citadins voisins des agriculteurs et les éleveurs transhumants qui sont de passage. Ces derniers sont pour la plupart originaires des pays voisins comme le Bénin ou le Nigeria. « Ce sont eux qui causent les dégâts et poursuivent leur chemin », affirme M. Djibo Bagna. Ainsi ,la conséquence de ces gestes vient frapper de plein fouet les éleveurs citadins qui payent les pots cassés à travers les représailles des agriculteurs.
Le Code rural, un outil de résolution pacifique des différends
Le Code rural mis en place par l’État du Niger précise clairement la démarche à suivre pour régler un différend lorsqu’il y a un dégât ou lorsqu’un animal est tué ou blessé. L’une des premières procédures, explique M. Djibo Bagna se passe entre l’agriculteur et l’éleveur qui peuvent s’accorder pour régler le différend par un consensus en déterminant la somme qui sera versée en guise de dédommagement. Le cas échéant, l’affaire est transférée chez le chef du village qui dispose d’un comité dont il en est le président. Ce comité, nous détaille-t-il, est composé du chef de village, du représentant des agriculteurs, du représentant de l’agriculteur victime du dégât, du représentant de l’éleveur qui a commis le dégât, du représentant des éleveurs, du service de l’agriculture et de l’élevage si la localité en dispose, d’un représentant du service de l’environnement et de l’Imam du village.
Tous, poursuit-il, se transportent sur les lieux pour constater de visu les dégâts. « Si ces derniers se révèlent exacts, une estimation du nombre de bottes de mil que pourrait donner l’espace s’il n’avait pas subi de dégâts est établie. Ensuite, dit-il, en fonction du prix de la botte sur les marchés environnants, le prix est multiplié par le nombre de bottes estimé, puis la somme est remise à l’agriculteur avant l’établissement d’un Procès-Verbal dressé par la commission si les deux parties sont d’accord et le litige est réglé. « Ce n’est pas ce qui a été consommé qui est payé, mais c’est l’acte qui est sanctionné », a tenu à souligner le président du conseil d’administration de la Plateforme paysanne du Niger.
.Au cas où l’une des parties n’est pas satisfaite, le litige est porté à la connaissance du chef de canton qui dispose d’un comité à l’image de celui du village. Ainsi, suivant la même procédure, ce comité part constater les dégâts et fait une estimation de la somme qui doit être remise à l’agriculteur. Si toutefois le comité du chef de canton n’arrive pas à gérer le différend, l’affaire est directement portée au niveau du juge qui est compétent pour juger. « Ce qui ne veut pas dire que lorsque l’éleveur paye, le reste du mil saccagé lui appartient, non, c’est l’action de commettre le dégât qui a été sanctionnée et non le mil ou les bottes qui ont été broutées », a-t-il nuancé. La même procédure est suivie lorsqu’un agriculteur frappe ou tue un animal. Il lui est demandé de le soigner si c’est par exemple la patte qui est cassée. Au-delà, si l’animal n’est plus en mesure d’être soigné ou est tué, l’agriculteur est obligé de le payer et la viande revient naturellement à l’éleveur et non à l’agriculteur.
L’agriculture et l’élevage, deux secteurs complémentaires, mais aux multiples pratiques conflictuelles
Dans les zones agrosylvopastorales du Niger, les acteurs de cette vie faite d’élevage et d’agriculture sont dans une perpétuelle et latente confrontation dont l’expression se traduit par des actes non prévus et non conformes au Code rural. Le président du conseil d’administration de la Plateforme paysanne, M. Djibo Bagna fustige certaines attitudes qui consistent pour des gens à aller chercher les animaux et à créer un système de fourrière dans les villages pour ensuite exiger le versement d’une somme contre la libération de l’animal. « Aucun texte ne prévoit une telle mesure », dit-il, déplorant cette attitude qui a tendance à générer des frustrations. Il précise ensuite que seul l’animal égaré doit être jeté à la fourrière. « Au cas où l’animal cause un dégât à une tierce personne, si le propriétaire est connu, l’animal ne doit pas être amené à la fourrière. Car la personne peut demander qu’on la dédommage et on doit la dédommager », a-t-il ajouté.
« Les textes prévoient deux fourrières par commune et les animaux qui y sont mis sont sous la responsabilité du maire qui est tenu de les nourrir. L’animal est détenu quinze jours au niveau du village et un mois à la mairie. Passé ce délai, si le propriétaire ne se présente pas, la mairie a le droit de les vendre et de garder l’argent durant un an et, au cas où personne ne se présente, elle peut utiliser l’argent dans l’objectif commun », ajoute-t-il.
Loin d’être la seule pratique qui viole le Code rural, une autre plus drastique inquiète autant en ce sens qu’elle constitue un problème très grave. Il s’agit de la pratique qui consiste à compter le nombre de têtes qui sont rentrées dans un champ pour fixer un prix sur chacune. Une pratique inacceptable et discriminatoire, affirme M. Djibo Bagna car, dit-il, ce n’est pas parce que vingt (20) têtes de bœufs sont rentrées dans un champ qu’elles seront comptées et facturées cinq mille chacune, aucun texte ne le dit. « C’est le dégât qui est évalué. Souvent, on fixe le prix de la chèvre à deux mille cinq cents (2500) francs la nuit. Malheureusement, dans les villages, les gens s’adonnent à cette pratique. S’il y a quarante têtes qui sont rentrées, ils multiplient les deux mille cinq cents fois quarante. Par exemple, une seule vache peut rentrer dans un champ et commettre un dégât que vingt (20) vaches n’ont pas fait ; si on remet cinq mille francs au propriétaire du champ, ce n’est pas juste, tout comme vingt (20) vaches peuvent rentrer et ne pas faire que le dégât d’une seule vache. Si on compte cinq mille fois vingt cela veut dire que l’éleveur aussi est grugé. Actuellement, cette situation est accentuée par les terroristes parce que les éleveurs ne peuvent plus aller au Nord où ils pouvaient garder longtemps les animaux », a-t-il ajouté en insistant sur le caractère urgent pour l’État de trouver une piste de solution.
L’absence des aires de pâturages, une épine de plus dans le pied des éleveurs
Le président de la Plateforme paysanne relève certes que l’État doit mettre les moyens pour trouver de l’eau dans certaines localités pour éviter que les éleveurs descendent de façon précoce. Cependant M. Bagna trouve marrant l’argument des éleveurs qui justifie leurs mouvements par l’absence d’aire de pâturage dans leur commune. Une situation qu’il qualifie d’intenable et d’inacceptable. « Puisque ta commune a des animaux, les villages ont des animaux, prétendre que vous n’avez pas d’aire de pâturage, qu’est-ce que vous allez faire avec votre cheptel ? Vous pensez qu’un autre maire va accepter que vos animaux viennent ? Alors que toi-même dans ta commune, tu n’as pas d’aire de pâturage, ce sont des problèmes», souligne-t-il.
« C’est notre patrimoine à nous tous, déclare-t-il, on ne peut pas se permettre aujourd’hui de dire que moi, je n’ai pas d’aire de pâturage ou bien que les champs doivent forcément être libérés avant la période de récolte. Les éleveurs doivent aussi faire attention. Ils doivent discuter et négocier avec les agriculteurs, car l’agriculteur a passé tout son temps en train de cultiver et à la dernière minute, on l’empêche de récolter, mais ce sont des problèmes », a-t-il poursuivi.
La plateforme paysanne, un outil pour prévenir les différends entre les agriculteurs et les éleveurs
« Nous essayons de regarder de part et d’autre et surtout d’interpeller les autorités parce qu’au lieu de fixer les dates de libération des champs, les gens attendent à la dernière minute. J’ai vu par exemple des arrêtés fixant les dates alors que les champs sont déjà complètement libérés par les agriculteurs. Les gens doivent prévenir, ils ne doivent pas attendre. La fixation des dates doit se faire très tôt. On doit aussi organiser le retour des animaux », propose-t-il à l’État.
Que fait alors la plateforme paysanne ? Elle essaie d’intervenir, dit-il, dans les zones où les conflits sont récurrents pour attirer l’attention des paysans. « Nous leur disons que ce n’est pas parce qu’un dégât est causé dans son champ qu’on doit cogner l’éleveur et vice-versa. Nous leur rappelons que nous sommes tous tenus à vivre ensemble. L’éleveur a besoin de l’agriculture puisqu’il a besoin de la boule au moins, ou de la patte, ce n’est pas un produit de l’élevage mais de l’agriculture. Et vice-versa, l’agriculteur a besoin de la viande et du lait », a-t-il indiqué.
Lors de ses missions dans les régions, la Plateforme paysanne a toujours appelé les paysans à la retenue et à ne pas se faire justice en cas de litige. « Nous faisons également des formations et des caravanes avec l’appui aujourd’hui de l’ONG Swissaid », ajoute M. Bagna. Pour atténuer les tensions, la Plateforme paysanne préconise que chaque éleveur retourne dans sa zone ou son terroir d’attache. « Pendant notre mission, nous avons rencontré des éleveurs de Ibadan au Nigeria, des éleveurs de Sokoto qui ont causé des dégâts et sont partis, laissant les sédentaires avec leurs voisins dans des conflits », conclu-t-il.
Dura Lex Sed Lex (la loi est dure, mais c’est la loi) et M. Djibo Bagna invite également les autorités à sévir fort et sans aucune complaisance face aux individus (les bourreaux) qui se font juge afin de dissuader les futurs contrevenants.
Hamissou Yahaya (ONEP)