
Au Niger, les innovations, les inventions dans le secteur industriel et commercial ne manquent jamais d’émerveiller les observateurs de l’évolution du secteur privé ou de la vie économique du pays de manière générale, comme l’illustrent quelques récentes expositions telles que SAHEL-Niger, « Made in Niger », etc. Mais, force est de constater que cette créativité, pour ce qui est de l’écrasante majorité, ne bénéficie d’aucun droit de propriété. Sur 7.514 entreprises enregistrées en 2024 par le Centre de formalités des entreprises (CFE), seules 50 marques l’ont été au niveau de la Direction générale de l’Agence nationale de la propriété intellectuelle et de la promotion de l’innovation (AN2PI). En effet, par ignorance ou par laxisme, les entreprises nigériennes s’exposent à perdre le monopole de leurs créations, sans se soucier de protéger et faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle.
Lorsqu’une entreprise développe un nouveau produit impliquant de nombreux processus, beaucoup de temps et d’argent, il est normal qu’elle puisse à priori s’en garantir l’exclusivité, sécuriser son invention. Selon le directeur de l’Agence nationale de la propriété intellectuelle et de la promotion de l’innovation, M. Abdoulaye Sadou Garba, la propriété intellectuelle est importante et essentielle en ce sens qu’elle protège non seulement les idées ou les concepts de l’entreprise mais également les véritables actifs commerciaux qui sont essentiels aux produits et aux services. Aussi, elle donne un contrôle exclusif aux inventeurs de l’utilisation de leur propriété intellectuelle tant en termes d’utilisation que d’avantages financiers.

« La propriété intellectuelle et les actifs corporels deviennent de plus en plus importants pour l’économie mondiale, atteignant une valeur globale de 61.900 milliards de dollars en 2023. Elle occupe une place de choix dans l’économie mondiale parce qu’elle crée des richesses. Elle participe au développement économique des Etats. Ainsi, compte tenu du rôle qu’elle joue en encourageant la créativité et en favorisant le développement, la propriété intellectuelle revêt une importance primordiale pour l’humanité », a déclaré M. Abdoulaye Sadou Garba.
En effet, les avantages de la propriété intellectuelle sont nombreux et dépendent du type de propriété intellectuelle en question. Ainsi, on note que la marque permet à une entreprise de se distinguer de ses concurrents, de gagner la confiance des consommateurs et de les fidéliser. Les brevets sont quant à eux utilisés pour rassurer les investisseurs ou augmenter les marges. Aussi, fait remarquer M. Abdoulaye Sadou Garba, le dépôt de demande de propriété intellectuelle permet à l’inventeur d’interdire à d’autres d’en tirer des avantages financiers. « Personne, aucune autre entreprise n’a le droit de vendre le même produit qui a le même nom que celui enregistré par l’entreprise créatrice. Elle a le monopole, cela veut dire que, si un concurrent enfreint les lois sur la propriété intellectuelle qui protègent les inventeurs, l’entreprise peut exercer son droit de poursuivre en justice. Et si quelqu’un d’autre a besoin de cela, il est obligé de s’adresser à elle. Les entreprises qui veulent peuvent négocier une licence avec le propriétaire », a-t-il expliqué.
La propriété intellectuelle permet ainsi de protéger d’abord le produit, protéger le titulaire et protéger la population. Aussi, elle encourage la création en favorisant le développement durable. Cependant, pour acquérir les droits de propriété intellectuelle sur une invention, certaines conditions sont exigées.
Des conditions pour obtenir le statut de propriété intellectuelle
Pour obtenir le statut de propriété intellectuelle, il faut remplir des conditions spécifiques. Par exemple, pour avoir un brevet, il faut que l’invention ait des caractéristiques bien précises. « Le premier critère c’est d’abord la nouveauté ; il faut que ce que la personne propose soit nouveau et la nouveauté doit être absolue à l’échelle internationale », précise le directeur de l’agence nationale de la propriété intellectuelle et de la promotion de l’innovation. A ce niveau, M. Abdoulaye Sadou Garba a fait savoir que présentement il y a un chercheur nigérien qui a mis au point un colorant qui permet de détecter le paludisme en quelques secondes. Cela, a-t-il souligné, n’a jamais été fait au monde. Autrement, l’entité qui accorde la propriété intellectuelle doit s’assurer que la création est originale, authentique et qu’elle n’est pas reprise d’une innovation.
L’autre condition a-t-il poursuivi, il faut qu’il y ait ce qu’on appelle l’activité inventive. C’est-à-dire, il faut que cela soit évident, qu’on prouve que la personne a fait un effort intellectuel. Et enfin, il faut qu’il y ait ce qu’on appelle l’application industrielle ; qu’on peut le produire en grand nombre.
Outre les conditions à remplir, il faut noter que l’acquisition du droit de propriété intellectuelle exige la constitution d’un dossier qui, après examen au niveau central, sera transmis à l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI). « Le dossier sera examiné, ce n’est pas traité ici. Comme je l’ai dit tantôt nous représentons l’organisation de la propriété intellectuelle ici au Niger composé de 17 Etats membres. Dans chaque Etat membre, il y a une structure de liaison, tout ce qui est propriété intellectuelle est centralisé à notre niveau, on envoie au niveau de l’OAPI, mais nous accompagnons nos inventeurs pour qu’ils puissent présenter des bons dossiers acceptables au niveau de l’OAPI », a argué le directeur de l’AN2PI.
Pour l’année 2024 ce sont 50 marques qui ont été enregistrées et protégées au niveau de l’AN2PI. Mais à ce jour, au total plus de 300 marques ont été enregistrées et protégées.
Des sanctions en cas d’usurpation de titre ou de marque
En effet, il existe plusieurs dangers si les droits de propriété intellectuelle ne sont pas protégés. « Par exemple, le fait de ne pas protéger la propriété intellectuelle peut permettre à quiconque de bénéficier des avantages de l’invention non protégée, de manière non autorisée. Aucune loi ne peut empêcher quelqu’un de reproduire et de chercher à tirer des avantages financiers de l’innovation de quelqu’un d’autre, si la propriété intellectuelle n’est pas déposée. Si une marque n’est pas protégée, le tribunal ne peut pas aider l’inventeur car, il n’est pas possible de revendiquer la propriété et ou de poursuivre quiconque en justice pour infraction », a-t-il fait savoir.

Par ailleurs, a rassuré le spécialiste en propriété intellectuelle, le législateur convaincu de l’importance de la propriété intellectuelle a mis au point des protections. Ainsi, des sanctions sont prévues en cas d’usurpation de titre ou de marque. « La propriété intellectuelle, c’est une protection juridique, c’est la loi qui te protège donc si quelqu’un enfreint à ta propriété, tu es en droit de l’attaquer en justice et je vous dis présentement il y a des gens à qui on a demandé de payer 1 milliard de dommage-intérêt pour avoir utilisé frauduleusement les titres des autres », a confié le Directeur général de l’AN2PI. Toutefois a précisé le Directeur général de l’Agence nationale de la propriété intellectuelle et de la promotion de l’innovation, pour contester la similarité avec son produit, l’inventeur a un délai de trois (3) mois pour s’opposer, passer ce délai, il ne peut plus avoir de recours.
Des facilités mises en place par l’OAPI pour accompagner les inventeurs
Acquérir un droit de propriété intellectuelle au Niger, n’exige pas de disposer d’une fortune. Pour obtenir le brevet, a indiqué, M. Abdoulaye Sadou Garba, le coût s’élève à 1 million de francs CFA mais, avec la subvention de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) qui prend en charge les 80%, l’inventeur nigérien paie 22.500 FCFA. Pour ce qui est du nom commercial, 10.000 FCFA pour les personnes morales et 20.000 FCFA pour les personnes physiques. S’agissant de l’obtention de la marque, le coût s’élève à 360.000 FCFA, sur dix ans. « Toutes les dispositions sont prises pour permettre aux chercheurs et inventeurs nigériens de protéger leurs œuvres. Je dois préciser, leurs œuvres industrielles, car nous ne prenons pas en charge les œuvres artistiques à notre niveau. Pour ce qui concerne des œuvres artistiques, elles sont prises en charge par le Bureau national du droit d’auteur », a-t-il indiqué.
Très malheureusement, malgré toutes ces facilités, la plupart des entrepreneurs qui créent des produits se contentent plus de vendre que de préserver ce qui leur appartient d’où l’existence parfois de plusieurs entreprises qui œuvrent dans le même secteur avec les mêmes idées. Protéger son invention est primordiale, a insisté le directeur de l’Agence nationale de la propriété intellectuelle et de la promotion de l’innovation, pour éviter les mauvaises surprises. Cependant, quand on parle de la protection des droits de propriété intellectuelle, il faut d’abord comprendre l’importance de l’enregistrement de son entreprise.
Rahila Tagou (ONEP)
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« Le nom commercial est exclusif et à ce titre il ne peut pas être utilisé par une autre entreprise(…)», M. Harouna Soungaize Abdoul Razak, Directeur du CFE

Monsieur le directeur, quelles sont les formalités à remplir pour créer une entreprise au Niger ? A combien s’élève le coût et quel est le délai requis ?
La Maison de l’Entreprise (ME) créée par décret en date du 30 mai 2012, auprès de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Niger (CCIN), a pour mission principale le renforcement du tissu économique en contribuant à l’émergence d’entreprises compétitives et à l’amélioration du climat des affaires. Elle comprend aujourd’hui le Centre d’Appui aux Entreprises et la Bourse de Sous-Traitance et de Partenariat Industriel (CAPE/BSTPI), la Direction des Opérations de soutien aux entreprises (DOSE) et un Centre de Formalités des Entreprises (CFE) qui héberge un Guichet Unique pour les formalités de création d’entreprises. Ce Guichet Unique, regroupe et traite toutes les formalités pour le compte des opérateurs économiques nationaux et étrangers, personnes physiques et morales.
Ils accomplissent en un même lieu, à un coût réduit et dans un délai minimum, les formalités et déclarations auxquelles ils sont tenus par les lois et règlements en vigueur dans les domaines juridique, administratif, social, fiscal et statistiques liés à la création, à la modification ou à la dissolution des entreprises et établissements secondaires. Le CFE dispose d’antennes dans les chefs-lieux des régions.
Depuis la mise en service du guichet unique en 2016, le nombre de création a considérablement augmenté. Pour preuve, nous avons enregistré 4609 entreprises en 2016, 4.828 en 2017, 4.911 en 2018, 5.255 en 2019, 5.558 en 2020, 8.094 en 2021, 8.903 en 2022, 10.425 en 2023 et 7.514 en 2024. La baisse constatée pour l’année 2024 s’explique par la situation économique difficile qui résulte des sanctions iniques et cyniques prises à l’encontre du Niger suite aux événements du 26 juillet 2023.
Dans le cadre de l’amélioration du climat des affaires, l’Etat du Niger a pris plusieurs mesures tendant à simplifier les formalités de création d’entreprises, dont les plus emblématiques comprennent l’ordonnance N° 2009 – 26 du 6 novembre 2009, portant loi des finances pour l’année budgétaire 2010 et qui dispose que «…les droits de timbres relatifs à l’inscription au registre du commerce et du crédit mobilier sont plafonnés à 11.500 FCFA qui comprend un timbre fiscal de 1.500 FCFA pour l’inscription au registre au lieu de 25.000 FCFA avant, et un timbre de 10.000 FCFA pour frais de signature au lieu de 49.500 FCFA ».
Toujours en parlant des réformes qui ont contribué à la facilitation de création des entreprises au Niger, il faut aussi noter l’adoption du décret N°2014-503/PRN/MC/PSP/MJ qui consacre l’application des nouvelles dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit des Sociétés commerciales et du GIE révisé, adopté le 30 janvier 2014, et portant sur l’adoption du statut type pour la SARL, la réduction du capital minimum pour la création d’une SARL de 1.000.000 FCFA à 100.000 FCFA et le rôle facultatif des notaires pour l’authentification des statuts d’une SARL, modifié et le décret N°2017-284/PRN/MC/PSP/MJ/MF du 13 Avril 2017 qui dispose que « le capital social d’une SARL est fixé par les associés dans les statuts qui déterminent la valeur nominale des parts sociales ». A cela, il faut également ajouter la nomination de trois (3) Greffières, d’un agent de la CNSS, d’un Chef de Service d’Immatriculation des Contribuables (accompagné d’une équipe d’agents de la DGI), d’un agent chargé de l’enregistrement des statuts. Tous ces responsables ont reçu des délégations de signature auprès de leurs administrations réceptives pour valider les documents de création d’entreprise.
Précision importante à retenir, le recours au notaire est obligatoire pour la création d’une société anonyme (SA), d’une société par action simplifiée (SAS), d’une société en nom collectif (SNC) et d’une société en commandite simple (SCS). Donc, aujourd’hui toutes les formalités de création d’entreprises se font exclusivement à la Maison de l’Entreprise. Il est important de noter qu’il existe un guichet de banque au sein de la ME à la disposition des promoteurs pour l’ouverture de compte et le versement du capital social. Il faut noter que les frais de formalités de création de tout type d’entreprise, individuelle comme société, sont fixés à 17.500 FCFA.
Il existe aujourd’hui une multitude d’entreprises, est ce qu’il n’y a pas de doublon ? Avez-vous une base de données qui vous permet d’identifier ou de signaler qu’une entreprise existe déjà ?
Fréquemment, nous rencontrons des doubles demandes qui sont systématiquement rejetées après des recherches d’antériorité dans les bases de données.
Qu’est-ce qui vous permet d’identifier les entreprises qui ont le même sigle ? Est-ce que, avoir le même sigle ne constitue pas une source de litige ?
Le sigle correspond à un diminutif de la dénomination sociale. Il peut être utile lorsque la dénomination sociale de la société est longue. En effet, s’il existe déjà un sigle identique, il sera à priori impossible de l’utiliser, grâce aux recherches d’antériorité que nous effectuons dans nos différentes bases de données. La seule exception est que l’entreprise ne soit pas spécialisée dans le même domaine.
Monsieur le directeur, on a l’impression que toutes les entreprises ont le même objet -biens et services, divers. Est-ce que vous tenez compte de l’objet des entreprises lors des formalités de leur création ?
Effectivement une grande partie des entreprises nigériennes sont dans le commerce général et la prestation de services, mais au niveau du guichet unique nous disposons de conseillers d’entreprises pour guider les promoteurs par rapport à la formulation de l’objet social et de toutes les autres questions en lien avec la création de l’entreprise.
D’ailleurs, c’est pourquoi au niveau de la Direction des Opérations et de Soutien aux Entreprises (DOSE) qui a pour mission d’assurer la mise en œuvre des programmes de conseils et d’assistances techniques aux entreprises, il a été mis en place des instruments pour appuyer et faire la promotion des entreprises du secteur de la transformation, de la commercialisation des produits agroalimentaires, des bétails, des TIC et de l’innovation technologique.
La Bourse de Sous-Traitance et de Partenariat Industriel a aussi vocation à accompagner les entreprises. Elle est chargée de promouvoir le développement des relations de Sous-traitance et du Partenariat. Ce qui permettra de garantir un suivi des jeunes entreprises grâce aux contrats d’exécution des marchés qui leurs seront délégués.
Disposez-vous d’un système de contrôle et suivi des entreprises après la création ?
Par rapport à cet aspect, nous ne disposons pas, actuellement de mécanisme permanent de suivi et de contrôle après la création des entreprises. Cependant, la ME a prévu, dans son PDS 2022-2026, axe stratégique 1 qui concerne le renforcement de l’offre de services aux entreprises, la mise en place d’un observatoire des entreprises. Cet observatoire est un service qui offrira une photographie claire et renseignée sur les entreprises au Niger. Il s’agit d’un dispositif qui proposera des études sectorielles, des analyses techniques, empiriques et stratégiques des entreprises, au profit de tous les décideurs (Gouvernement, secteur privé, partenaires au développement).
Une étude a été déjà réalisée sur le devenir des entreprises créées de 2014 à 2018. Cette étude a permis de faire l’état des lieux, la cartographie des entreprises créées au cours de cette période et d’analyser les déterminants de la création d’entreprises au Niger.

Toujours dans son PDS 2022-2026, afin de faciliter les démarches administratives de création d’entreprises, la ME a prévu une plate-forme des Services de création en ligne. La dématérialisation du processus de création d’entreprises vise à simplifier les procédures classiques, à réduire encore au maximum les délais de création et à sécuriser les dossiers des promoteurs.
En cas de cessation d’activité, est ce qu’une autre personne à le droit d’utiliser le même nom pour créer son entreprise ?
Le nom commercial est exclusif et à ce titre il ne peut pas être utilisé par une autre entreprise, même en cas de cessation d’activité du titulaire du nom.
Existe-t-il une relation de travail entre la ME, l’AN2PI et la DGI ?
Avec l’AN2PI, nous avons une bonne collaboration en matière d’information et de sensibilisation des acteurs économiques. En effet, plusieurs agents de la Maison de l’Entreprise ont bénéficié de renforcement de capacités sur la propriété intellectuelle. La ME sert également de canal de communication en informant et en orientant les promoteurs désireux de protéger leur dénomination, leur marque vers l’AN2PI.
Avec la DGI, le Service d’Immatriculation du Contribuable a été délocalisé au niveau du guichet unique du CFE. Aussi, dans le cadre du dialogue public-privé, un groupe de travail thématique « création d’entreprise et renforcement des capacités des MPME » a été mis en place et présidé par le SG de la CCIN. La DGI en est membre. Ce groupe couvre les préoccupations du secteur privé, ainsi que celles du secteur public en matière de formalisation du secteur privé à travers, notamment, les facilités de création d’entreprises et le renforcement des capacités des MPME. Aussi, plus globalement, il existe d’autres canaux de discussions entre la CCIN et la DGI.
Rahila Tagou (ONEP)