
Farmo Moumouni
Le suffixe « ien » indique généralement une profession ou une origine. Ajouté à certains mots, il forme la désinence « rien ». C’est une disposition de la grammaire française.
L’Algérien, le Comorien, pas plus que l’Ivoirien, ne s’offusquent de la présence de cette particule dans leurs noms et nationalités. Cette présence, attribuable aux tournures de la langue française, ne constitue guère à leurs yeux une préoccupation majeure, et quand ils l’évoquent, c’est en termes de raillerie.
Il semble que ce ne soit pas le cas du Nigérien, qui fait une fixation sur la particule « rien » qui, en l’occurrence, n’a aucune connotation négative.
Le Nigérien considère que cette particule souille son nom et sa nationalité. Il y trouve quelque chose d’insultant, d’injurieux. Il fait d’un détail grammatical une question nationale. Pour laver l’affront du « rien » dans sa nationalité, il envisage de substituer au suffixe « rien » le suffixe « ois » pour former le masculin (Nigérois) et le suffixe « eine » pour former le féminin (Nigéreine).
Si on s’en tient à la logique de l’interprétation mise en avant : Nigériens, nous sommes actuellement rien. Il suffit de changer la désinence pour que nous devenions rois et reines.
D’où vient cette tendance « monarchisante » ?
Peut-être de cette propension décrite par Cheikh Anta Diop :
« Les réflexes profonds de l’Africain actuel se rattachent davantage à un régime monarchique qu’à un régime républicain. Le riche comme le pauvre, le paysan comme le citadin, rêve d’être un petit ou un grand seigneur plutôt qu’un petit ou un grand bourgeois. »
Et si on allait jusqu’au bout de cette logique singulière, on aurait un pays peuplé de rois et de reines : une curiosité pour le monde et un casse-tête pour la typologie politique.
En vérité, cette initiative linguistico-monarchiste dérive de la volonté exprimée par nombre de personnes de changer le nom du pays. Changer le nom du pays participe de l’œuvre de refondation. Se débaptiser, nommer son pays et se nommer soi-même relèvent de la souveraineté. Mais la démarche linguistico-monarchiste ne répond de manière adéquate à aucune de ces exigences. En manipulant des suffixes, elle ne refonde pas, elle se contente de rafistoler. En renommant, elle part de la racine « Niger », qu’elle laisse intacte. Elle laisse aussi intact le sentiment que nous avons été nommés par d’autres et celui de devoir notre nationalité à ceux qui nous ont nommés.
Notre pays tient son nom du fleuve qui le traverse, non pas du nom de Djoliba, du nom de Issa Béri ou du nom de Kwara, que les peuples riverains autochtones lui ont donné, mais du nom de Niger, par lequel des étrangers l’ont désigné.
Ce nom de Niger, désignant notre fleuve, apparaît pour la première fois sous la plume de Juba II, roi de Numidie et de Maurétanie, au premier siècle avant J.-C. Le terme Niger, en latin, langue dans laquelle le roi écrivait, signifie noir. Le terme est repris par Pline l’Ancien au premier siècle après J.-C., puis par Al-Hassan ben Mohamed Al Fasi, dit Léon l’Africain, au XVIᵉ siècle. Ce sont là, sans doute, les références les plus anciennes dont le colonisateur s’est servi pour nommer notre pays.
Ce qui importe, ce n’est point de se sacrer roi ou reine, c’est d’abolir ce radical, expression de notre subalternation et de notre colonisation. C’est ce qu’ont fait, fort heureusement, le Burkina Faso en renvoyant la Haute-Volta coloniale aux calendes grecques ; le Ghana en choisissant, contre la Gold Coast anglaise, l’appellation du premier grand empire ouest-africain ; le Zimbabwe en foulant au pied la Rhodésie pour se donner le nom du grand empire de Monomotapa ou du Grand Zimbabwe (la maison construite en pierre, en shona) ; et enfin l’Eswatini qui, en laissant choir le Swaziland colonial, a opté pour son nom précolonial : pays des Swazis, dans la langue locale.
Au demeurant, changer le nom du pays, c’est affirmer notre identité dans le monde. C’est une affaire sérieuse, qui appelle plus qu’un rafistolage linguistique : une réflexion et une recherche sur notre histoire et notre culture, de même qu’une étude portant sur les implications nationales et internationales.
Farmo Moumouni.