
Dr Boubacar Thiombiano
L’automédication est l’utilisation d’un médicament par une personne sans avis médical, pour traiter une maladie. Au Niger, ce phénomène de l’automédication prend de plus en plus de l’ampleur. Cette vieille pratique est ancrée dans les habitudes des populations. Autant dire que les habitudes ont la peau dure. En effet, les raisons courantes de l’automédication incluent le plus souvent le coût élevé de la prise en charge des malades dans les formations sanitaires, mais surtout la banalisation de certaines maladies. Toutefois, si elle peut offrir une solution rapide et pratique, elle comporte des conséquences indésirables et des risques importants sur la santé humaine.
L’automédication n’est pas une pratique médicale recommandée, ni pour un agent de santé, ni pour autrui. Elle traduit une action qui relève d’une initiative individuelle et personnelle consistant pour un individu de s’auto administrer un principe actif par voie orale dans un but thérapeutique sans requérir au préalable une consultation médicale, ni une prescription ou un avis médical. Cette pratique est très courante de nos jours en milieu rural comme en milieu urbain. Dès l’apparition d’un symptôme ou de signes annonciateurs d’un problème de santé ressenti par une personne ou un proche, le premier réflexe des gens consiste à faire de l’automédication.
L’automédication est favorisée par l’accès facile aux médicaments et autres substances toujours disponibles sur les marchés, dans les quartiers et même auprès des vendeurs ambulants en vente libre et par l’expérience vécue de certaines personnes qui s’adonnent activement à cette pratique. Le plus souvent, il s’agit de patients ayant eu un ou plusieurs contacts avec le milieu professionnel de santé ou avec des tradipraticiens qui s’auto-prescrivent ou proposent des produits à d’autres personnes. En termes de bénéfice, il faut noter qu’il n’y a aucun avantage dans la pratique de l’automédication, bien que l’aspect économique et la rapidité de prise en charge soient souvent mis en avant.

Les risques liés à la pratique de l’automédication sont réels et permanents pour l’environnement social, économique et sanitaire de l’individu et de la communauté. Selon Dr Boubacar Thiombiano, médecin en soins infirmiers, l’automédication entrave la fréquentation des formations sanitaires malgré les dispositions issues de la déclaration d’Alma Ata de septembre 1978 sur les Soins de Santé Primaires (SSP) dont un des principes fondamentaux est basé sur l’accessibilité géographique et financière des médicaments ; et renforcé en 1987 par l’initiative de Bamako qui met l’accent sur l’accès aux Médicaments Essentiels Génériques.
En plus de cette situation, poursuit-il, on observe les risques physiopathologiques liés à l’automédication qui se manifestent par une intoxication, un choc anaphylactique, un surdosage, une addiction, une résistance et bien d’autres conséquences graves. « Il faut noter que les produits souvent mis en cause sont les antibiotiques, les antalgiques les anti-inflammatoires, les antihistaminiques, les tonifiants, les antipyrétiques, les anxiolytiques et les antiacides », précise-t-il.
Dr Boubacar Thiombiano a, par ailleurs, expliqué que la consommation du médicament de la rue dont la qualité et l’efficacité sont bien plus douteuses par rapport à la satisfaction du consommateur qui en fait usage tous les jours, fait qu’il va au final se retrouver sur un lit d’hôpital au dernier stade de sa maladie avec une insuffisance de fonctionnement de ses organes nobles, la présence d’œdèmes et de confusion mentale. L’abus de ces médicaments et la pratique courante de l’automédication conduisent l’individu exposé à cette habitude, à l’observance de manifestations pathologiques se traduisant par le cancer, l’insuffisance rénale, l’hépatique, le cardio-respiratoire ou des manifestations neurologiques diverses, et le plus souvent une accoutumance irréversible.
Cependant, toute prescription médicale tient compte des indications et contre-indications de chaque produit. Quant au patient, il doit respecter les consignes liées à la posologie et la voie d’administration. « Certains consommateurs, avertis très tôt, en prennent conscience et abandonnent définitivement cette pratique, tandis que d’autres ayant fait de l’automédication une habitude ou une pratique courante auront besoin d’une assistance spécialisée pour venir à bout de leur souffrance. En conclusion, nous pouvons retenir que tout médicament est une arme à double tranchant », a-t-il mentionné.
L’ampleur de ce phénomène est tellement accrue au point où certains médicaments ont perdu leurs noms. En lieu et place, on parle de « Bonkoga », « Dori hakku », « Mai mouchoir », « Haini hainizo », « Indo da bouta », « Ef », « Mai djiga », « Tchamuss tchamuss », « A kollé », « Bor singa anzouray bay », etc.
Pour éviter cette pratique néfaste, Dr Boubacar Thiombiano a souligné que le système de santé a toujours prévu un mécanisme de prévention de l’automédication sous toutes ses formes, ainsi que ses conséquences dont la réglementation pharmaceutique, la mise en œuvre de la couverture sanitaire universelle, les soins promotionnels, etc.
Selon lui, ces mesures visent à réduire, par des méthodes souvent répressives, la vente et la consommation des produits illicites, prohibés, périmés et nocifs pour la santé humaine. Aussi, on note la dotation des structures de soins en Médicaments Essentiels Génériques (MEG) de quantité et en qualité suffisante et efficiente dans les officines agréées par les autorités compétentes. D’autre part, la gratuité des soins demeure un point fort et vise aussi la réduction de la consommation des produits pharmaceutiques sans aucune prescription. « En tout état de cause, avant toute prise en charge médicale, il faut requérir l’avis d’un professionnel de santé. Il faut éviter de partager une prescription d’un cas à une cause sur la base des symptômes et mettre en avant les consignes du praticien médical. Aussi, la sensibilisation reste un des moyens efficaces pour éradiquer le phénomène de l’automédication », a-t-il notifié.
Témoignages des adeptes de l’automédication
Se soigner sans prescription médicale demeure une solution alternative pour beaucoup de citoyens nigériens. Face à des douleurs courantes pendant les périodes menstruelles, telles que des maux de ventre, de tête, des troubles digestifs ou une fatigue accrue, bon nombre de femmes font recours à l’automédication. C’est notamment le cas de Hadiza Boubacar, une jeune fille de 22 ans qui, pendant sa période de menstruation, utilise de l’ibuprofène pour alléger ses maux de ventre. Néanmoins, la forte prise de ce produit a fait que la quantité qu’elle prenait avant ne fait plus d’effet sur son organisme. « Lorsque je vois mes règles, je prends de l’ibuprofène afin d’atténuer mes maux de ventre, c’est une amie qui me l’a conseillé. Au début, je prenais deux comprimés matin et soir. Maintenant, il faut que je prenne quatre comprimés le matin et quatre autres le soir pour que ça fasse de l’effet », a-t-elle témoigné sans se soucier du danger auquel elle s’expose.
Mme Ibrahim Balkissa, mère de quatre enfants, explique n’avoir jamais été à l’hôpital ni pour sa propre santé ni pour celle de ses enfants. Selon elle, les consultations médicales sont pour les familles de classe supérieure car, c’est difficile pour elle d’assurer la garde des enfants sachant que leur père est à l’exode et qu’il n’envoie pas fréquemment de l’argent. « J’ai quatre enfants et aucun d’eux n’a jamais été hospitalisé ou conduit à l’hôpital pour une consultation. A chaque fois qu’ils présentent des symptômes, je paie des comprimés auprès des boutiquiers du quartier. Des fois, ça passe dès le lendemain et d’autres fois ça dure quelques jours. Je ne peux pas les amener à l’hôpital car je n’ai pas les moyens », a-t-elle confié.
Asthmatique depuis son jeune âge, Aissa Amadou est une femme à la cinquantaine révolue. Elle dit avoir fait recours aux médicaments de la rue pour soigner ses problèmes respiratoires. D’après ses explications, elle utilise un médicament surnommé « Ef » en cas de déclenchement des symptômes. « J’ai grandi avec ces comprimés, cela fait plus de 20 ans que je les utilise. Chaque semaine, je paie une plaquette à 200F. Je ne peux pas faire trois jours sans en prendre, déjà avec le poids que j’ai, si je parcours certaines distances à pied, je me sens essoufflée. Et je suis obligée d’en prendre sinon la maladie va s’aggraver », a-t-elle confié.
Mariama Souley (Stagiaire)